25 mar 2024

Qui est Jaouad Bentama, le peintre qui déchire ses toiles exposé à Paris ?

À l’affiche d’une exposition dans l’hôtel particulier Le Molière du 27 au 30 mars, le peintre français basé à New York Jaouad Bentama y présente une série de toiles récentes, réalisées à l’aide d’un geste destructeur – et constructeur : la déchirure.

Jaouad Bentama : un peintre obsessionnel exposé au Molière

 

Le dessin appliqué au râteau chez Hans Hartung, la fente tracée au couteau chez Lucio Fontana, la peinture tirée à la carabine chez Niki de Saint Phalle, ou encore le collage d’affiches chez Jacques Villeglé et Raymond Hains… Des dizaines de peintres parmi les plus célèbres ont mis au point des gestes et outils caractéristiques qui rendent leurs œuvres reconnaissables entre mille, tout en repoussant les limites d’un médium qui fait autorité dans l’histoire de l’art. Inspiré par ses aînés, Jaouad Bentama a choisi les siens : le cutter et les ciseaux, avec lequel il lacère sa toile pour y créer des relief qui parfois la désagrègent. Un procédé obsessionnel qui a récemment donné naissance aux Déchirures, série de peintures de que le plasticien français présente du 27 au 30 mars à l’hôtel particulier Le Molière, dans le deuxième arrondissement parisien.

 

Sur ces formats verticaux identiques – environ 76 centimètres par 1 mètre –, l’artiste de 41 ans fait jaillir à l’huile ou à l’acrylique des couleurs vives, souvent primaires : jaune poussin, rouge carmin, bleu azur ou marine, vert sapin… Sur certaines, on croit apercevoir une étendue d’eau ou une végétation luxuriante, tandis que sur d’autres, où deux blocs colorés se superposent distinctement, l’influence des célèbres tableaux abstraits de Mark Rothko se fait prégnante. C’est ici que le geste du peintre, à la fois destructeur et constructeur, intervient : appliquée par-dessus sur les dizaines de lignes qui strient la toile telles des “cicatrices”, la peinture se dote d’un relief étonnant et capte la lumière environnante. Sur l’une d’entre elles, les rouges orangés se font d’ailleurs si ardents qu’ils semblent avoir transpercé le bleu pétrole, comme la lave qui surgirait sur les flancs d’un volcan noir.

De Mickey Mouse à l’abstraction : l’évolution de l’œuvre de Jaouad Bentama

 

Artiste autodidacte, Jaouad Bentama regardé de près le geste créateur depuis l’enfance, où il voyait déjà sa mère tisser à la main des tapis dans la tradition marocaine. Au début des années 2010, il se fait connaître en collant sur la toile de petites peluches à l’effigie de Mickey Mouse, avant de les recouvrir de peinture monochrome ou multicolore. Ce personnage deviendra un leitmotiv de son œuvre, autant que ce procédé, qu’il appliquera aussi bien à des tee-shirts qu’à d’autres objets récupéres. Difficile de ne pas y voir un clin d’œil au pape du pop art Andy Warhol, et plus tard Jeff Koons ou encore Kaws, connus pour s’emparer de la culture populaire avec un humour parfois grinçant. C’est d’ailleurs à New York, ville-mère de ces trois Américains, que Bentama a posé ses valises il y a une dizaine d’années, inspiré par la riche histoire de l’art contemporain associée à la Grosse Pomme.

 

Un événement tragique vient toutefois perturber sa trajectoire : fin 2021, le plasticien français est victime d’un grave accident de scooter qui le plonge dans le coma. Une expérience qui l’amène à opérer un virage plastique vers une pratique plus sombre et contemplative, où les figures familières laissent peu à peu place à l’abstraction. Armé de ses ciseaux et cutters, Jaouad Bentama commence alors à triturer et déchirer la toile : étirée et détendue, gonflée et gondolée, froissée, pliée ou encore défroissée, celle-ci fait saillir des reflets et lumière sur les couleurs qu’il applique, tout en créant des jeux de textures qui invitent à une expérience presque tactile. Alors, comme les blessures qui affleurent la peau et y laissent des traces parfois indélébiles, les Déchirures deviennent l’expression d’une fragilité intérieure, remontée à la surface.

 

“Jaouad Bentama. Déchirures. De New York à Paris”, du 27 au 30 mars 2024 au Molière, Paris 2e.