Preview: Olafur Eliasson floods Versailles
Maître des éléments, l’artiste Olafur Eliasson s’empare des phénomènes naturels pour les transformer en installations monumentales. Le Danois prend cette année possession du château de Versailles à partir du 7 juin. Découvrez son projet en avant-première.
Par Thibaut Wychowanok.
LES GRANDES EAUX D’OLAFUR ELIASSON
Mais qu’a bien pu inventer l’artiste danois Olafur Eliasson, invité cette année du Château de Versailles, pour faire oublier les aventures de son prédécesseur ? En 2015, les installations du Britannique Anish Kapoor avaient créé la polémique – enfin, pour être plus précis, avaient connu un petit quart d’heure de célébrité au JT national – pour avoir été dégradées par des extrémistes pudibonds. “Dégradante”, c’est ainsi que ces collets montés antisémites (au talent de graffeur très discutable) considéraient une œuvre gigantesque faisant clairement référence au sexe féminin, et aussitôt surnommée “le vagin de la reine”. Face à autant de bêtise crasse, Olafur Eliasson a-t-il pensé qu’un lavement s’imposait ? Qu’il ait eu en tête les vertus purificatrices de l’eau ou pas, c’est bien cet élément, sous ses formes liquide, solide et gazeuse, qui sera au cœur de ses interventions monumentales dans les jardins du château de Versailles, du 7 juin au 30 octobre.
“JE TRAVAILLE AVEC LES PHÉNOMÈNES NATURELS”
L’artiste de 49 ans arrive à Paris en terre conquise. L’une de ses premières expositions majeures, de celles qui allaient l’imposer comme beautiful artist contemporain, se tint en 2002 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. En 2014, la Fondation Louis Vuitton accueillait son exposition Contact. Entre-temps, Olafur Eliasson avait connu les honneurs des plus grandes institutions mondiales. En 2003 à la Tate Modern, son Weather Project plaça dans le grand hall du musée londonien un soleil géant irradiant au milieu d’une brume et provoquant un halo mystérieux. “Je travaille avec les phénomènes naturels, l’éphémère et la lumière [comme à la Fondation Louis Vuitton]”, résume l’artiste lorsqu’on le rencontre dans un salon du Plaza Athénée à Paris quelques semaines avant l’inauguration à Versailles. “Je propose d’y faire l’expérience sensible de l’eau sous toutes ses formes. L’idée de dématérialisation m’intéresse évidemment, ainsi que la psychologie : je réfléchis toujours à la manière dont le public va appréhender mentalement l’exposition et en faire l’expérience.”
DES INSTALLATIONS SPECTACULAIRES
Les trois interventions au sein des jardins du château de Versailles devraient réserver aux touristes des sensations et un spectacle d’envergure. Pas moins d’une quarantaine de collaborateurs (sur la centaine que compte le studio berlinois de l’artiste) aura travaillé sur les installations. La première, et sans doute la plus impressionnante, consistera en une immense cascade placée dans l’axe du Grand Canal. “Une idée de cascade avait été abandonnée pour des raisons techniques à l’époque de la création des jardins, explique l’artiste. Pour moi, ce projet est une manière de rendre l’impossible d’hier possible aujourd’hui, de faire en sorte que le rêve devienne réalité.” Avant d’ajouter : “Tout au long de ma formation d’artiste, j’ai été fasciné par la puissance théâtrale du baroque incarnée pleinement par Versailles. Mais l’usage de ce style m’intéresse plus pour son aptitude à souligner la présence d’une idée, de dire le tout par un détail, d’approfondir une capacité sensorielle et critique, que comme une échappée mélancolique vers le passé.”
DU GROENLAND À VERSAILLES
Au sein du bosquet de la Colonnade, Olafur Eliasson rejouera son intervention réalisée à Paris au moment de la Cop21. Soit des blocs de glace en provenance directe du Groenland riches en minéraux qui fertiliseront la terre. La fin d’un monde se voit ainsi transformée en l’opportunité d’un nouveau départ. “Les couches de glace du Groenland sont issues de neige accumulée pendant des centaines de milliers d’années, expliquait l’artiste en 2015. La glace recèle la mémoire des changements qu’ont subis le climat et l’atmosphère.” Ce rapport si particulier de l’artiste au temps et à l’histoire ne pouvait trouver meilleur réceptacle que Versailles. “Versailles a voyagé à travers les siècles pour me rencontrer. Mais j’ai également effectué ma part du voyage, explique-t-il. J’avais bien sûr en tête ce que j’avais appris à l’école sur Louis XIV et sur la Révolution française. Mais aussi un événement beaucoup plus récent : le Congrès du Parlement convoqué par François Hollande à la suite des attentats de novembre. Versailles est un lieu d’histoire, passée bien sûr, mais aussi totalement actuelle. Je veux faire de Versailles le lieu du contemporain.”
NUIT DEBOUT À VERSAILLES ?
Depuis ses débuts, Olafur Eliasson a toujours considéré les institutions culturelles comme des forums que les citoyens devaient se réapproprier. “J’initie un récit à travers mes œuvres mais ce sont bien les visiteurs qui le finalisent par leur présence. L’œuvre n’existe que parce qu’un spectateur en fait l’expérience.” Verra-t-on pour autant une réappropriation citoyenne des jardins façon Nuit Debout ? À ses détracteurs qui reprochent à ses interventions récentes de s’approcher davantage d’une campagne publicitaire bien sentie que d’un geste artistique (qu’on espère toujours plus radical ou courageux), l’artiste semble répondre indirectement lorsqu’il évoque la frénésie à laquelle devraient inviter ses œuvres. Ainsi espère-t-il que l’imposante structure circulaire qui créera dans le bosquet de l’Étoile un nuage de fine rosée “suscitera non seulement des arcs-en-ciel et des phénomènes lumineux, mais donnera aussi envie au public de traverser l’œuvre, de courir autour d’elle dans un geste de folie.”
L’ŒIL DU CHÂTEAU
Expériences, sensations, prise de conscience de soi en se confrontant aux phénomènes naturels… les grands thèmes d’Olafur Eliasson seront tous bien présents. Jusqu’à celui de l’exploration, qui semble lui tenir particulièrement à cœur à Versailles. “J’ai eu la chance de pouvoir me balader, seul, la nuit, dans le château, confie-t-il. Je ne m’éclairais qu’à l’aide d’une petite lampe de poche à énergie solaire que j’ai développée avec mon studio. J’ai ouvert des portes dérobées, je suis passé sous les escaliers et dans les couloirs réservés aux domestiques. Les vibrations que j’ai ressenties ont nourri mon acte créateur.” Cette exploration aura inspiré à l’artiste des œuvres éphémères et subtiles qui s’intégreront à l’architecture du lieu. Restant brumeux sur les détails, Olafur Eliasson préfère préciser les grandes lignes de son intervention. “Il ne s’agira pas d’objets traditionnels installés sur des socles. Certains tiennent dans la paume de ma main. Les visiteurs qui ne seront pas prêts à explorer Versailles comme je l’ai fait pourraient passer à côté.” Cet objet auquel fait référence l’artiste pourrait bien consister en un œil, celui du château lui-même. “J’ai voulu, à travers mon intervention, effectuer un renversement. Ce n’est plus le spectateur qui regardera Versailles, mais Versailles qui regardera le spectateur.” Des jeux de miroirs, symboles s’il en est de Versailles, devraient sans doute venir affirmer cette intention. “Je me suis demandé ce que voyait vraiment un miroir, ce que pouvait être son subconscient”, conclut mystérieusement l’artiste.
“CHACUN DEVIENDRA UN PETIT ROI-SOLEIL”
Ce magicien de l’eau et chaman des temps modernes n’est jamais à court de formules qui font mouche. Surtout lorsqu’il faut promouvoir son dernier produit, sa petite lampe Little Sun à visée humanitaire (imaginée à l’origine pour venir en aide aux pays d’Afrique) et qui lui a justement permis de découvrir Versailles ! “Vous pourrez l’acheter dans la boutique du château, s’enthousiasme-t‑il. Pour 22 euros, chacun pourra devenir un petit Roi-Soleil.”
Olafur Eliasson à Versailles, du 7 juin au 30 octobre.