Pourquoi faut-il aller voir l’exposition Brancusi au Centre Pompidou ?
Précurseur de la sculpture moderne, Constantin Brancusi a fait connaître son travail au sein de son célèbre atelier parisien, légué après sa mort à l’État français, puis reconstruit au pied du Centre Pompidou. Pendant sa fermeture pour travaux, le musée consacre en son sein une rétrospective historique à l’immense artiste d’origine roumaine, jusqu’au 1er juillet 2024.
Par Camille Bois-Martin.
L’atelier historique de Brancusi reconstitué dans le Centre Pompidou
Au dernier étage du Centre Pompidou, une série de scies, de marteaux, de ciseaux, de maillets et une multitude d’outils tapissent des murs et remplissent des établis. Tout autour, des esquisses en plâtre des célèbres sculptures de Constantin Brancusi (1876-1957) telles que L’Oiseau dans l’espace et La Muse endormie côtoient ses ébauches de socles en bois et en pierre qui jonchent le sol. Nous voilà face à une reconstitution d’un des quatre espaces de l’ancien lieu de travail, de vie et d’exposition occupés par l’artiste impasse Ronsin, dans le 15e arrondissement de Paris. Outre les murs, tous les outils et les œuvres ont été déplacés dans le musée pour y être réinstallés conformément à leur disposition originelle.
Grand trésor du musée national d’Art moderne, l’atelier de Brancusi a été légué à l’État français par l’artiste quelques années avant sa mort – soit 137 sculptures, des dizaines de socles, de moules et de dessins, et plus de deux mille photographies. Depuis 1997, ce riche témoignage de son attachement au pays qui l’a accueilli à bras ouverts était conservé dans une annexe dédiée, signée par l’architecte Renzo Piano sur la piazza du Centre Pompidou et ouverte au public de façon permanente. D’importants travaux ont contraint le musée parisien à fermer ce lieu temporairement, qui a profité de ces circonstances exceptionnelles pour déménager l’atelier dans son bâtiment principal et consacrer à l’artiste sa première rétrospective française depuis vingt-cinq ans.
C’est en taillant la pierre que l’on découvre l’esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et suit la pensée de la matière” – Constantin Brancusi.
Pendant quelques mois, une partie du lieu de travail de Brancusi s’intègre ainsi au dernier étage du Centre Pompidou, entre les plâtres et les versions finales de ses chefs-d’œuvre, empruntées pour l’occasion aux plus prestigieuses collections du monde, du Metropolitan au MoMA en passant par le Philadelphia Museum of Art, la Tate Modern ou le musée du Louvre. On y trouve, entre autres, l’inénarrable Baiser (1916) et la sulfureuse Princesse X (1915-1916), mais aussi de nombreuses archives personnelles, lettres, coupures de presse et photographies de ses sculptures, qui permettent d’éclairer le processus de création. Symbole de son amour pour l’Hexagone, la figure du coq, qu’il a sculptée dès le début des années 20 et pendant plus de vingt ans, s’y décline en divers volumes et matériaux (bois, plâtre ou bronze), transformé en triangle allongé où quatre crénelures matérialisent le chant de l’animal (“co-co-ri-co”).
De la Roumanie à Paris, l’itinéraire d’un sculpteur avant-gardiste
Né en Roumanie, Constantin Brancusi a à peine plus de 20 ans lorsqu’il décide de rejoindre Paris à pied, après avoir enchaîné les petits emplois alimentaires dans son pays natal et s’être lassé d’une courte formation à l’École nationale des beaux-arts de Bucarest, qu’il jugeait trop académique. Loin des modelages de sculptures antiques que ses compatriotes artistes s’appliquent à réaliser depuis la Renaissance, le jeune homme opte, peu de temps après son arrivée dans la capitale, pour la taille directe. “C’est en taillant la pierre que l’on découvre l’esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et suit la pensée de la matière”, écrivait-il alors.
Une exposition d’ampleur et de nombreux chefs-d’œuvre
Un geste disruptif qui fait de la matière le sujet principal de ses œuvres épurées, réduites à quelques lignes courbes ou droites, tantôt lisses, tantôt rugueuses, qui les conduit aux portes de l’abstraction. À l’image, notamment, de Léda (1926), son torse de femme en bronze présenté au Centre Pompidou délicatement posé sur un socle à roulement animé par un moteur. Car chez Brancusi, le socle fait partie intégrante de la pièce, permettant, grâce aux contrastes des matières, de mieux en révéler les spécificités. Dans ses différentes versions du Nouveau-Né (1915-1925), un volume sphéroïde en bronze poli ambré placé sur un disque miroir doré tranche avec le cube en marbre blanc qui le soutient, lui-même posé sur un support arrondi en bois creusé. Ici, l’équilibre de l’assemblage vertical semble ne tenir qu’à un fil.
À son arrivée à Paris en 1905, le jeune artiste s’installe dans le sud-ouest de la capitale, au sein d’un atelier qu’il ne cessera d’agrandir jusqu’à sa mort en 1957. Cheminée en calcaire, tabourets en bois, tables en plâtre, il façonne les moindres détails des objets qui l’entourent, composant un environnement lumineux que la scène artistique parisienne s’empressera de venir visiter, à l’instar de ses confrères Fernand Léger, Man Ray ou Marcel Duchamp. Essuyant de nombreux scandales à cause de ses sculptures, jugées parfois trop suggestives ou trop abstraites, Constantin Brancusi finit par refuser d’exposer dans les salons ou dans les galeries parisiennes. Il fait donc de son atelier le seul lieu où il sera désormais possible de découvrir ses créations. Après la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’artiste délaissera peu à peu la sculpture, il remplacera – souvent à contre-cœur – chacune des œuvres vendues par son tirage en plâtre ou en bronze : comme une manière de préserver éternellement le souvenir ému de leur création.
“Brancusi”, exposition jusqu’au 1er juillet 2024 au Centre Pompidou, Paris 4e.