Pourquoi Damien Hirst va-t-il brûler plus de 4000 peintures ?
Mastodonte de l’art contemporain, Damien Hirst s’apprête à détruire plusieurs milliers de ses peintures dans le cadre de son projet The Currency, débuté il y a un an. L’idée de l’artiste britannique ? Interroger la valeur d’une œuvre physique lorsque son pendant numérique existe désormais de façon unique grâce à la technique des NFT, et pourrait bien finir par la remplacer…
Par Camille Bois-Martin.
4 851 : c’est le nombre de peintures signées par Damien Hirst qu’il brûlera lui-même à la rentrée. Une initiative surprenante, qui l’est bien moins quand on connaît la personnalité qui en est à l’origine. Car si le Britannique, révélé dans les années 1990 au sein du groupe des Young British Artists, est depuis devenu une figure incontournable de l’art contemporain, c’est notamment grâce à ses œuvres qui défrayent régulièrement la chronique : tête de vache coupée et encerclée de mouches (1990), carcasse de requin plongée dans du formol (1991), ou encore crâne humain recouvert de diamants (2007) … Toujours très médiatisé, parfois controversé, l’artiste semblait pourtant ces dernières années être revenu à une pratique d’atelier plus classique et moins tapageuse, comme le supposait sa série de toiles monumentales représentant des cerisiers en fleurs, exposée à la Fondation Cartier en 2021.
Au même moment, toutefois, l’artiste entamait son premier projet d’œuvres numériques authentifiées grâce à la technique des NFT — pour “non fungible tokens” (jetons non fongibles) – dont le procédé permet d’encrypter dans un fichier numérique une signature qui atteste de son caractère unique. Baptisé The Currency, cette nouvelle série l’a amené à décliner plusieurs milliers de Spot paintings, ses fameuses œuvres composées de taches colorées que l’artiste réalise depuis les années 1990, pour les convertir en NFT grâce à un algorithme associant chaque goutte et texture de peinture à un pixel. Mais toute la singularité du projet réside dans sa commercialisation : au lieu de mettre en vente l’œuvre physique et sa version NFT dans un même lot, l’artiste a imposé aux acheteurs potentiels de choisir laquelle des deux ils souhaitaient garder, les mettant au défi de décider de quelle version prévalait sur l’autre, qui se verra alors définitivement détruite.
Depuis la mise en vente en 2021 des œuvres inédites réalisées pour The Currency, Damien Hirst a laissé aux collectionneurs jusqu’au 27 juillet dernier pour faire leur choix. À la différence d’autres artistes de son envergure comme Takashi Murakami, qui a décliné plusieurs de ses œuvres en NFT tout en conservant leur version physique, le Britannique âgé de 57 ans a profité de ce nouveau procédé pour séparer les deux, et ainsi permettre à chaque peinture d’exister soit dans le monde matériel, soit dans le monde virtuel. Résultat des courses : sur 10 000 acheteurs, 5 149 ont décidé de laisser de côté de l’œuvre numérique – qui sera donc définitivement effacée – pour recevoir une feuille A4 peinte par Damien Hirst, tandis que 4 851 ont préféré conserver la version NFT… et laisser autant d’œuvres matérielles partir littéralement en fumée. Ces dernières seront exposées dès le 9 septembre prochain à la Newport Street Gallery de Londres, où l’artiste organisera méthodiquement cet autodafé étonnant. Chaque jour, pendant quatre mois, il se rendra à la galerie à une heure précise pour brûler plusieurs ses peintures sur papier, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une seule à la clôture de l’exposition le 1er janvier 2023.
Proposées à la vente en 2021, les œuvres portaient avec elles un ultimatum, les collectionneurs ayant en effet jusqu’au 27 juillet dernier pour faire leur choix. À la différence d’autres artistes de son envergure comme Takashi Murakami, qui a décliné ses œuvres en NFT en conservant version physique, Damien Hirst a profité de ce nouveau procédé pour séparer les deux, et ansi permettre à chaque peinture d’exister soit dans le monde matériel, soit dans le monde virtuel. Résultat des courses : sur 10 000 acheteurs, 5 149 ont décidé de laisser de côté de l’œuvre numérique, qui sera définitivement détruite pour recevoir une feuille A4 peinte par Damien Hirst, tandis que 4 851 ont préféré conserver la version NFT… et ainsi laisser autant d’œuvres matérielles littéralement partir en fumée. Celles-ci seront exposées du 9 septembre 2022 au 1er janvier 2023 à la Newport Street Gallery de Londres, où l’artiste organisera méthodiquement son autodafé, en brûlant chaque jour à une heure précise ses peintures sur papier, jusqu’à la dernière.
The Currency
— Damien Hirst (@hirst_official) July 27, 2022
The year is over boom 💥 that was quick! and we have all had to decide: NFT or physical? The final numbers are: 5,149 physicals and 4,851 NFTs (meaning I will have to burn 4,851 corresponding physical Tenders). pic.twitter.com/xCUJ0gviZ0
Sur les réseaux sociaux, Damien Hirst a formulé très clairement le but principal de cette démarche pour le moins déroutante : confier une responsabilité inédite aux acheteurs afin d’étudier par lui-même un potentiel changement de paradigme dans le monde de l’art. “Et si tous les NFT étaient détruits car tout le monde avait choisi de conserver leur version papier ? Retour à la case départ ?”, se demandait l’artiste dans la vidéo de présentation du projet publiée l’an dernier par la plateforme Heni, avec laquelle l’artiste s’est associé pour ce projet. Appuyé par la notoriété planétaire de l’artiste, The Currency permet d’interroger les rapports mouvants entre l’art, l’argent et la valeur d’une œuvre, mais aussi le récent tournant apporté par ce nouveau marché du numérique, ou encore par les cryptomonnaies. Les chiffres le prouvent désormais : mises en vente aux alentours de 7500 livres en 2021, les versions physiques des Spot paintings valent aujourd’hui plus de deux fois le prix de leur pendant numérique… Mais le choix des 4851 acheteurs ayant préféré leur version numérique témoigne d’un marché de l’art en constant renouvellement, au sein duquel les NFT ont récemment acquis une place de choix — à commencer par la vente aux enchères d’une œuvre numérique de l’artiste Beeple par la maison Christie’s en mars 2021, qui a marqué l’histoire en atteignant le montant impressionnant de 69 millions de dollars. Damien Hirst lui-même souligne cette menace potentielle d’une concurrence entre les arts numériques et physiques, confiant redouter lui aussi de devoir brûler ses œuvres. Avant de conclure sur son compte Twitter : “Je crois en l’art dans toutes ses formes, mais à la fin je me suis dit : et puis merde !”
Dans l’interview accordée par l’artiste britannique à Numéro art, le directeur du Design Museum de Londres Tim Marlow soulignait “les paradoxes entre l’œuvre de Hirst et sa réputation : son désir de conférer au minimalisme un maximum d’impact émotionnel, son refus des règles et son rapport obsessionnel au marché de l’art”. La simplicité de ces milliers de feuilles A4 maculées de taches colorées face à l’émotion – voire l’indignation – provoquée par leur destruction méthodique, jusqu’au refus de s’aligner sur les projets NFT des artistes de sa stature en édictant ses propres règles, tout en bousculant les codes, des plus séculaires aux plus récents, du marché de l’art… Aucun doute, les enjeux majeurs qui dominent la pratique pluridisciplinaire de l’artiste britannique depuis des décennies sont ici bien réunis.
Dans l’interview accordée par l’artiste britannique à Numéro art, le directeur du Design Museum de Londres Tim Marlow soulignait “les paradoxes entre l’œuvre de Hirst et sa réputation : son désir de conférer au minimalisme un maximum d’impact émotionnel, son refus des règles et son rapport obsessionnel au marché de l’art”. Le minimalisme de ces milliers de feuilles A4 maculées de taches colorées, l’émotion – voire l’indignation — provoquée par la destruction d’une œuvre, le refus de s’aligner sur les projets NFT des artistes de sa stature en édictant ses propres règles, tout en bousculant les codes, des plus séculaires aux plus récents, du marché de l’art : aucun doute, tous les enjeux qui caractérisent la pratique de l’artiste britannique sont ici bien réunies.