Photographer Hiroshi Sugimoto unveils his first coloured works’ secrets
Depuis une quinzaine d’années, le photographe japonais Hiroshi Sugimoto explore un pan tout à fait inédit de sa pratique : la couleur. Inspiré par une théorie d’Isaac Newton, le septuagénaire génère grâce à la lumière des teintes dans leur essence la plus pure, qui forment sur film Polaroïd des paysages abstraits incitant à la contemplation. Pour Numéro, l’artiste revient sur sa dernière série “Opticks”, exposée dans l’espace parisien de la galerie Marian Goodman.
Propos recueillis par Matthieu Jacquet.
Depuis bientôt cinq décennies, la quête photographique de Hiroshi Sugimoto est celle d’une inlassable retranscription de l’infini sur pellicule. De ses fameux Seascapes, panoramas d’étendues d’eau parfaitement planes, et ses Theaters, vues statiques d’écrans de cinéma capturées pendant des heures, en passant par ses clichés de ciels striés d’éclairs et architectures délibérément floutées, le Japonais a su démontrer en noir et blanc sa maîtrise quasi mathématique du temps et de la lumière, favorisant l’exercice silencieux de la contemplation. À 73 ans, Hiroshi Sugimoto dévoile à la galerie Marian Goodman sa dernière série Opticks entamée en 2018, explorant un volet plus récent de sa pratique : la couleur, dans sa forme et son essence les plus pures. Pour la réaliser, l’artiste s’inspire il y a une quinzaine d’années d’une théorie du physicien Isaac Newton et capte à travers un prisme la lumière de l’aube depuis son studio de Tokyo pour faire apparaître le spectre chromatique sur la petite surface d’un film Polaroïd. En résultent des carrés colorés – parfois unis, souvent dégradés – d’une intensité saisissante, scannés puis imprimés en grand format avant d’être accrochés face au spectateur : par leur force quasi picturale rappelant celle des toiles de Mark Rothko ou Barnett Newman, ces paysages abstraits l’immergent alors physiquement et mentalement dans la couleur. Pour Numéro, l’immense photographe a accepté de revenir sur ce projet avec la précision laconique qui le caractérise, désencombrée d’élucubrations superflues. Simple et bien choisis, ses quelques mots posent les jalons d’images d’une profondeur ineffable avant de les laisser emmener le lecteur là où, comme il le dit lui-même, “l’espace est la dernière limite”.
Numéro : Il y a quinze ans, vous avez commencé à expérimenter avec le prisme de Newton pour obtenir de nouvelles images, mais vous n’avez entamé officiellement votre série Opticks qu’en 2018. Celle-ci se fondait sur un protocole extrêmement précis, prenant en compte le moment de l’année et de la journée, mais aussi l’exposition parfaite pour obtenir la bonne lumière et la couleur la plus dense. Combien de temps vous a-t-il fallu pour mettre au point la bonne technique, les paramètres et les outils nécessaires à sa réalisation ?
Hiroshi Sugimoto : D’abord, il m’a fallu construire un espace propice à la contemplation de la lumière, et ensuite prendre le temps d’observer. J’ai planté de nombreuses idées, et certaines datent d’il y a plus d’une décennie. Quelques unes vont germer, mais la plupart d’entre elles ne mèneront à rien. Pour certaines, j’attends encore. Je ne sais jamais quand viendra le moment pour ces idées de fleurir.
“Ces tirages sont le miroir des couleurs qui peuplent mon esprit.”
Dans ces tirages, les couleurs imprimées sont si pures qu’on croirait y voir des pigments sur une peinture. Comment parvenez-vous à obtenir une telle pureté et une telle intensité ?
Je photographie la couleur à l’état pur, il est donc assez naturel que les tirages reflètent cette intensité. Ils sont le miroir des couleurs qui peuplent mon esprit.
En 1980, vous avez commencé votre série Seascapes, capturant en noir et blanc des étendues d’eau plane, qui est depuis devenue l’un de vos travaux les plus célèbres. Dans Opticks, on retrouve une recherche similaire de la ligne d’horizon et une représentation de différentes nuances de lumière en dégradé. Voyez-vous cette nouvelle série comme une réponse à la première ?
J’imagine que l’une a mené à l’autre. Mes Seascapes sont des vues de la Terre qui observent l’eau, la lumière et l’atmosphère de notre planète. Les tirages d’Opticks explorent la lumière d’un point de vue purement physique, et pourraient donc être réalisés sur d’autres planètes.
“J’ai voulu que le spectateur puisse entrer dans la couleur afin qu’elle envahisse complètement son champ de vision.”
Un autre aspect très intéressant de ce travail est le changement d’échelle : vous utilisez d’abord des petits films Polaroïd carrés pour y imprimer la lumière, puis scannez ces films avant de les réimprimer sur de très grands formats. Pourquoi tout ce processus ?
Il n’est pas si différent du fait de prendre une photo avec un appareil argentique puis de décider de l’élargir. La différence majeure est que ma base est un positif plutôt qu’un négatif. Pour la série Opticks, j’ai voulu que le spectateur puisse entrer dans la couleur afin qu’elle envahisse complètement son champ de vision.
À la galerie Marian Goodman, vous présentez également votre film The Garden of Time, une visite poétique de l’observatoire d’Enoura, le bâtiment qui accueille votre fondation d’art Odawara depuis 2017 au-dessus de la baie de Sagami. Dans cette vidéo d’une vingtaine de minutes, on découvre cette architecture exceptionnelle et les pierres, les plantes et la faune qui composent son jardin à différents moments de l’année, tandis que deux danseurs y réalisent une performance. Quel est l’origine de ce projet ?
L’observatoire Enoura est l’œuvre de ma vie. J’essaie là-bas d’incorporer toutes les formes d’art. Le temps a toujours été mon sujet. La performance, qu’il s’agisse d’une pièce de théâtre de Nô, de cérémonie du thé ou de danse contemporaine, est un art toujours fondé sur la durée.
“L’espace est la dernière frontière.”
Lorsque vous revenez sur votre carrière et constatez son évolution au fil des décennies, diriez-vous que plus vous avancez et gagnez en expérience, plus vous tendez vers l’abstraction totale ?
Je dirais que mon expérience me permet de distiller une idée dans son essence.
Maintenant que vous avez plongé dans l’essence pure de la lumière et la couleur avec cette série, a-t-elle élargi vos horizons et territoires photographiques ?
L’espace est la dernière frontière.
L’exposition “Theory of Colours” de Hiroshi Sugimoto à la galerie Marian Goodman est pour l’instant fermée au public en attendant sa réouverture, mais se dévoile en ligne.
Le catalogue « Post Vitam » de l’exposition au Kyoto City Kyocera Museum of Art (2020) est disponible aux éditions Heibonsha.