Paris dévoilé sous un jour inédit par Yoshi Takata, photographe espiègle et amie de Pierre Cardin
Injustement méconnue, la photographe japonaise Yoshi Takata était amie avec Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Brassaï… Comme eux, elle a livré sa vision de Paris, empreinte d’humour et de poésie. Jusqu’au 19 avril, la galerie Thaddaeus Ropac expose ses images, capturées entre 1955 et 1987.
Par Delphine Roche.
Elle a nourri, au fil des années, une amitié avec Henri Cartier-Bresson, Édouard Boubat, Brassaï et Robert Doisneau, les grands noms de la photographie de rue humaniste. Comme eux, Yoshi Takata a immortalisé sur pellicule sa vision de la Ville lumière à travers des lieux, des personnages illustres et d’autres anonymes. Bien qu’elle n’ait pas atteint la notoriété de ses célèbres amis, son regard a dialogué librement avec les leurs au cours des décennies, possédant sa propre force, ainsi qu’un humour et une poésie très personnels.
La personnalité espiègle de la photographe rayonne aussi dans ses images de mode.
C’est dans la capitale française que Yoshi Takata a décidé de s’établir en 1954, jusqu’à sa mort survenue en 2009. À son arrivée à Paris, elle fait ses débuts de photographe de mode pour Pierre Cardin. Et c’est aujourd’hui par l’intermédiaire de Pierre Pelegry, fidèle collaborateur de ce dernier, et dépositaire des archives de Yoshi Takata, que son regard nous parvient. “C’était un rêve pour moi d’organiser cette exposition, explique-t-il. J’ai rencontré Yoshi grâce à Pierre Cardin, et il est important pour moi de faire vivre son nom et son travail. J’ai voulu montrer, en plus de ses tirages d’époque, des extraits de sa correspondance avec les artistes de son temps. Henri Cartier-Bresson ou Brassaï portaient un regard positif sur ses photos. Robert Doisneau lui écrit qu’il espère qu’elle appréciera un de ses tirages. C’est très joli de voir cette bienveillance entre eux. Yoshi était aussi une amie de Bob Wilson ou encore d’Alberto Giacometti.”
Dans l’exposition parisienne figure d’ailleurs un portrait du célèbre sculpteur aux côtés de sa femme Annette. Sur le vif, dans un café parisien, Yoshi Takata a saisi le visage expressif de l’artiste dans la lumière, et le regard tendre de son épouse. Le cliché témoigne de l’intimité qui liait la Japonaise aux grands noms de l’art.
Les scènes de rue pétillent d’un humour surréaliste et quasi burlesque qui ferait penser à Federico Fellini, si l’on n’y décelait aussi cet art classique de la composition.
La personnalité espiègle de la photographe rayonne aussi dans ses images de mode, comme dans cette photo d’un modèle de Pierre Cardin de 1966. Vêtue des vêtements typiques des ambitions space age des années 60, la mannequin porte des bottes vernies, un manteau trapèze et un chapeau évoquant une soucoupe volante. La photo est prise sur un site de construction, et, derrière la jeune femme blonde et élégante, passe un ouvrier médusé par ce spectacle insolite. Ailleurs, elle saisit, comme dans un dialogue avec Robert Doisneau ou Édouard Boubat (ou avec les “petits métiers” d’Irving Penn), un charbonnier surnommé “Mimile”, couvert de suie mais souriant – apparition digne d’un film de zombies – ou des bouchers couronnés par les cuisses étrangement sensuelles d’un cochon qu’ils transportent. Les scènes de rue pétillent d’un humour surréaliste et quasi burlesque qui ferait penser à Federico Fellini, si l’on n’y décelait aussi cet art classique de la composition.
Ce sens parfait des proportions, des lignes et des rapports de densité, l’artiste semble s’en amuser, l’épouser ou le délaisser à l’envi, sans en être esclave. C’est ainsi que sa vision de la tour Eiffel, depuis Montmartre, saisit avec une force poétique rare la résistance de la végétation à la géométrie parisienne, à travers un entrelacs puissant de branchages encadrant le célèbre monument dans l’arrière-fond. Dans l’exposition de la galerie Thaddaeus Ropac, nous parvient le regard de cette artiste qui nous surprend et nous ravit, en nous faisant redécouvrir à travers ses yeux infiniment curieux et bienveillants, un Paris passé que l’on croyait pourtant connaître sous toutes les coutures.