Next gen: painter Han Bing enhances the city’s underground ephemerae
Exposée à l’Acacias Art Center jusqu’au 16 juin à Paris et récemment nommée au Prix Reiffers Art Initiatives, Han Bing puise dans les superpositions d’affiches de métro les fragments visuels qui constitueront la matière première de ses toiles. Images collées, décollées et déchirées forment des poèmes puissants qui révèlent un immense talent d’assemblage et de coloriste associant avec audace jaune canari, bleu électrique et rouge ardent.
Portraits par Douglas Irvine.
Texte par Matthieu Jacquet.
Portraits by Douglas Irvine.
By Matthieu Jacquet.
Interview par Elisabeth von Thurn und Taxis.
Elles s’étalent chaque jours devant les yeux de millions de citadins aux quatre coins de la planète. Tapissant les couloirs labyrinthiques des métros et des trains, les affiches publicitaires sont le quotidien des passagers, jalonnant leurs parcours du matin au soir. Une banalité telle que nombre d’entre nous n’y prêtons plus attention, laissant ces ephemera entre les mains des colleurs d’affiches qui viendront les arracher pour les remplacer par de nouvelles images, orchestrant ainsi leur soudaine disparition. Si ces panneaux s’effacent aussi vite de l’esprit du quidam, Han Bing voit quant à elle dans ce qu’elle qualifie d’“images faites pour être ignorées” le potentiel de gestation d’une œuvre. Depuis près de dix ans, l’artiste chinoise s’inspire ardemment, pour composer ses toiles, des assemblages de papier et de couleur créés aléatoirement par les superpositions d’affiches.
La peinture de Han Bing : des murs du métro à la toile
Une démarche obsessionnelle qu’elle a développée au gré de ses résidences, à New York, Los Angeles, et désormais Paris, où elle vit depuis un an et demi. Bien malin celui qui, toutefois, parviendrait à discerner les images d’origine dans les tableaux de cette peintre de 37 ans déjà présentés à la galerie Thaddaeus Ropac à Paris ou à la Night Gallery à Los Angeles. Si l’on identifie parfois la forme de la petite souris Mickey Mouse, la pointe d’un roller violet, les feuilles vertes et ovales d’un cactus, une fourchette géante, ces éléments figuratifs se fondent avec fluidité dans une composition foisonnante où s’équilibrent formes géométriques plus ou moins grandes et couleurs vives. De l’orange presque fluo, du jaune canari, du bleu électrique ou encore des camaïeux de rouge ardent – tandis que l’être humain est, à l’exception de quelques silhouettes floues à peine perceptibles, toujours absent.
Une peintre publiphile et urbanophile
L’exploratrice publiphile et urbanophile, qui assimile ses longues pérégrinations visuelles à du lèche-vitrine, a au fil des années peaufiné sa capacité d’abstraction de ces lambeaux de papiers collés et lacérés sur les murs. Afin de se concentrer sur leur dimension purement esthétique, l’artiste les immortalise avec son téléphone avant de reproduire ces clichés à la peinture sur des toiles d’au moins un mètre cinquante de haut et près de deux mètres de large – format choisi pour imiter ceux des cadres publicitaires. À l’image des assemblages de papier aléatoires et chaotiques qu’elle croise sur sa route, jachères qui disparaîtront bientôt sous la surface d’un nouveau poster, celle qui se passionne pour “l’association abrupte des éléments” ne représente jamais dans ses œuvres une affiche dans son intégralité, préférant à l’harmonie sans débord des images fignolées les imprévisibles bavures de la commnication visuelle. Reflet du hasard qui préside à ses sources, l’œuvre de Han Bing relève ainsi d’une forme d’“art du glitch” où la disruption ne surgit plus dans le support informatique mais directement sur la toile. Telles des cicatrices entaillant l’épiderme de l’image, les irrégularités et les déchirures causées par les collages et décollages successifs forment alors chez elle le noyau dur d’une nouvelle écriture artistique.
Une peinture composite dans la lignée de Villeglé et Hains
En faisant de ce corpus visuel urbain la source principale de ses toiles, la peinture de Han Bing renvoie inéluctablement à l’histoire de l’art occidental du milieu du 20e siècle. En décembre 1949, Jacques Villeglé (1926-2022) et Raymond Hains (1926-2005), figures de proue du nouveau réalisme, réalisaient en effet pour la première fois une œuvre à partir d’affiches lacérées récoltées dans Paris avant d’être marouflées sur la toile. Un procédé qu’ils déclineront à l’envi pendant des décennies, arrachant aux murs, façades, panneaux d’affichage et autres colonnes Morris la matière première de leurs tableaux. Soixante-dix ans plus tard, la peintre chinoise semble ainsi leur répondre en se désencombrant de la matérialité du papier pour se concentrer sur son empreinte purement visuelle. Rarement précédée par des esquisses et profondément intuitive, sa pratique picturale suit toujours le même processus : d’abord, l’artiste délimite d’après ses photographies les zones qu’elle peindra à l’aérosol, et pose sur la toile une première base à l’acrylique. Puis, elle recouvre sa composition de peinture à l’huile, apportant à ces lignes définies et ces couleurs intenses une texture plus diluée. Enfin, elle redessine sur la surface des formes abstraites à l’aide de pastels, libérant son geste tout en animant l’ensemble d’une grande vivacité graphique. Parfois, elle imite même sur certaines toiles les petits points des trames d’impression.
”En tant qu’artiste, je me sens étrangère au monde. Comme si j’étais à l’extrémité du tissu social.”
Si l’apparence finale de ses œuvres peut rappeler celles des grands peintres abstraits du siècle dernier, de Nicolas de Staël (1913-1955) à Anna-Eva Bergman (1909-1987) en passant par Serge Poliakoff (1906- 1969), ou encore, plus récemment l’Allemand Daniel Richter, Han Bing se rapproche davantage de ses aînés nouveaux réalistes dans sa vision des ephemera. Comme eux, elle y voit l’écriture discrète d’une “poésie anonyme”, que sa peinture mettra en exergue, invitant le spectateur à poser sur son environnement des plus banals un regard éclairé. ”En tant qu’artiste, je me sens étrangère au monde”, explique Han Bing. Comme si j’étais à l’extrémité du tissu social.” Depuis cette marge qu’elle a appris à embrasser, l’artiste traduit la théâtralité de notre époque, comme l’attestent explicitement ses toiles plus anciennes, qui prenaient pour objet les intérieurs domestiques et les décors factices des théâtres américains. En témoignent ses pages du New York Times maculées de peinture, où la jeune femme sacralise par la matière et la couleur les supports volatiles de l’information.
En assumant l’éclectisme profane de ses sources et leur déhiérarchisation, Han Bing dépasse les dichotomies entre le vrai et le faux, le réel et l’artifice, ou encore l’information et la communication. Délestées de leur fonction promotionnelle, de leur appartenance à une ville, voire à un continent, mais aussi de leurs signifiants et signifiés, les affiches publicitaires fragmentées puis reproduites par l’artiste au pinceau produisent finalement une forme d’essence iconique de notre époque, dont elles pourront encore témoigner dans des décennies voire des siècles. En effet, de la tension qui se joue entre les formes et les couleurs sur la toile, émerge l’expression d’un inconscient collectif. “La fonction choc de l’affiche s’épuise graduellement, et l’affiche elle-même disparaît matériellement, mais son influence – sa vie utile –, se perpétue dans la culture”, théorisait dès 1971 l’essayiste Georges Préli, formulant le destin logique de l’image publicitaire à l’aube d’une nouvelle ère visuelle. Il en va ainsi des peintures de Han Bing qui exposent l’image éphémère et écorchée, pour ainsi dire en fin de vie, et qui de ce fait lui garantissent sa survivance dans l’histoire culturelle. En approchant l’idéal d’une poésie universelle qui, contrairement à ses sources arrachées brutalement chaque jour à leur support, résistera au passage du temps.
Han Bing est représentée à Paris par la galerie Thaddaeus Ropac qui lui consacrera une exposition en septembre, et par la Night Gallery à Los Angeles.
L’artiste fait partie des cinq artistes présentées dans l’exposition collective de Reiffers Art Initiatives “Infiltrées. 5 manières d’habiter le monde”, jusqu’au 17 juin 2023 à l’Acacias Art Center, Paris 17e.
En assumant l’éclectisme profane de ses sources et leur déhiérarchisation, Han Bing dépasse les dichotomies entre le vrai et le faux, le réel et l’artifice, ou encore l’information et la communication. Délestées de leur fonction promotionnelle, de leur appartenance à une ville, voire à un continent, mais aussi de leurs signifiants et signifiés, les affiches publicitaires fragmentées puis reproduites par l’artiste au pinceau produisent finalement une forme d’essence iconique de notre époque, dont elles pourront encore témoigner dans des décennies voire des siècles. En effet, de la tension qui se joue entre les formes et les couleurs sur la toile, émerge l’expression d’un inconscient collectif. “La fonction choc de l’affiche s’épuise graduellement, et l’affiche elle-même disparaît matériellement, mais son influence – sa vie utile –, se perpétue dans la culture”, théorisait dès 1971 l’essayiste Georges Préli, formulant le destin logique de l’image publicitaire à l’aube d’une nouvelle ère visuelle. Il en va ainsi des peintures de Han Bing qui exposent l’image éphémère et écorchée, pour ainsi dire en fin de vie, et qui de ce fait lui garantissent sa survivance dans l’histoire culturelle. En approchant l’idéal d’une poésie universelle qui, contrairement à ses sources arrachées brutalement chaque jour à leur support, résistera au passage du temps.
Han Bing est représentée à Paris par la galerie Thaddaeus Ropac qui lui consacrera une exposition en septembre, et par la Night Gallery à Los Angeles.
Elle fait partie des cinq artistes présentées dans l’exposition collective de Reiffers Art Initiatives “Infiltrées. 5 manières d’habiter le monde”, jusqu’au 16 juin 2023 à l’Acacias Art Center, Paris 17e.
It’s there every day, everywhere, for the eyes of millions of to see, lining the labyrinthine corridors of metro and train stations the world over. Advertising is the daily reality of passengers, punctuating their journeys morning, noon, and night. So commonplace are these paper images that many of us ignore them, barely noticing their disappearance under new arrivals pasted up by bill posters with their buckets of glue. Though they quickly fade from the average person’s mind, Han Bing find inspiration in what she calls these “images made to be ignored.” For the past ten years, the Chinese artist has been passionately exploring assemblages of paper and colour created randomly through the superimposition of posters in subway tunnels. An obsessive approach that she developed during residencies in New York, Los Angeles, and now Paris, where she has lived for the last year and a half.
Han Bing’s painting, from subway walls to the canvas
Clever is the viewer who manages to discern the original images in the 37-year old painter’s work, whose canvases have already been exhibited at Thaddaeus Ropac in Paris and the Night Gallery in Los Angeles. Although at times we might identify Mickey Mouse’s tiny silhouette, the tip of a purple roller pen, the green and oval leaves of a cactus, or the ochre forest of balconies in a theatre, these figurative elements merge fluidly in a composition where geometric shapes both big and small come into balance in a sea ofbright colors – neon orange, canary yellow, electric blue, fiery reds. Yet human beings are almost entirely absent.
An obsession for the city and its advertising
Over the years, Bing, who equates her long visual peregrinations with window shopping, has honed her ability to abstract these scraps of paper glued to walls. To capture their purely aesthetic dimension, she photographs them with her phone before reproducing the images on canvases that are at least 1.5 m high and almost 2 m wide – a format similar to the metro-station billboard. Like the random, shambolic assemblages of paper she seeks out, Bing’s work never shows the entirety of a poster. Instead, in keeping with her passion for “abrupt associations of elements,” she prefers the unpredictable accidents of torn and battered paper to the seamless harmony of polished images. A reflection of the happenstance that decides the fate of her sources, hers is a kind of “glitch art,” except instead of computer glitches the disruption occurs directly on the canvas. Like scars cutting into the epidermis of the image, the irregularities and tears caused by the successive gluings and ungluings form the core a new artistic language
A hybrid painting that echoes Villeglé or Hains
With this urban visual corpus as the primary source for her works, Bing’s work is inextricably linked to the history of mid-20th-century Western art: in December 1949, Jacques Villeglé and Raymond Hains, figureheads of Nouveau réalisme, produced their first work using torn posters mounted on canvas. Seventy years later, Bing seems to be answering them, freeing herself from the materiality of paper to concentrate on the purely visual imprint. Her deeply intuitive painting always follows the Her deeply intuitive painting always follows the same process: first, she delimits the areas on the canvas to spray paint based on her photographs, and then applies an initial acrylic base coat. After that she works up the composition in oil paint, bringing a more diffuse texture to the well-defined lines and intense colours. Finally, she redraws abstract shapes on the surface using pastel, freeing her gestures and bringing the work to life with graphic vitality. Sometimes, if she particularly likes an effect, she reproduces it with painting, like the tiny coloured dots of the printing process.
“As an artist, I feel like a stranger to the world. As though I were at the far end of the social fabric.”
While her pictures recall those of the great abstract painters of the last century – Nicolas de Staël, Anna-Eva Bergman – as well as of Daniel Richter, Bing is closer to her Nouveau réalisme elders in her attitude towards ephemera. Like them, she sees in the throwaway an “anonymous poetry” that her painting highlights, inviting the viewer to take an informed look at his or her ordinary environment. “As an artist, I feel like a stranger to the world,” Bing explains. “As though I were at the far end of the social fabric.” From this fringe, which she has learned to embrace, Bing translates the theatricality of our times – her early works, depicting domestic interiors and the sets of American theatres, testify to this, as do her paint-smeared New York Times pages, which sanctify the volatile transmission of information through matter and colour.
By owning the profane eclecticism of her sources and their de-hierarchization, Bing goes beyond the dichotomies of true and false, reality and artifice, and even information and communication. Relieved of their promotional function, of their belonging to a city or even a continent, of their signifiers and signifieds, the posters she fragments and then reproduces with her brush ultimately produce a kind of iconic essence of our times, one that will live on as a testimonial for decades and centuries to come. Indeed, from the tension between shapes and colours on the canvas emerges the expression of a collective unconscious. “The shock function of the poster gradually wears off, and the poster itself disappears materially. But its influence – its useful life – lives on in culture,” theorized essayist Georges Préli in 1971. This is the case with Bing’s paintings: preserving and revealing the ephemeral, dying image, they guarantee its survival in cultural history by approaching the ideal of a universal poetry that – unlike its sources ripped from their walls – will be able to survive the passing of time.
Han Bing is represented by Thaddaeus Ropac in Paris, where she will have a solo exhibition in September, as well as by Night Gallery in Los Angeles.
She is one of the five artistes currently shown in Reiffers Art Initiatives‘ new group show “Infiltrées. 5 manières d’habiter le monde”, until June 17, 2023 at l’Acacias Art Center, Paris.