25 août 2022

Marlene Dietrich’s myth reinvented by Francesco Vezzoli

De sa collaboration avec Lady Gaga à la bande-annonce d’un film qui n’existe pas, l’artiste Francesco Vezzoli n’en finit pas de détourner la pop culture et le star-système. Rencontre.

Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.

De sa collaboration avec Lady Gaga à la bande-annonce d’un film qui n’existe pas, l’artiste Francesco Vezzoli n’en finit pas de détourner la pop culture et le star-système. À Monaco, l’Italien transforme la Villa Sauber en demeure fantasmatique de Marlene Dietrich. Il y joue du vrai et du faux en présentant, tel un faussaire, des portraits de la star réalisés à la manière de grands maîtres. Apparaissant un soir dans une majestueuse robe noire, il n’a pas hésité à se mettre lui-même en scène sous les traits de l’actrice. Rencontre.

 

 

Numéro : Vous devez une partie de votre renommée à vos collaborations avec des stars bien vivantes, de Lady Gaga à Sharon Stone. Votre exposition dédiée à Marlene Dietrich est-elle le symptôme d’une nouvelle fascination pour les mortes?

Francesco Vezzoli : Ce qui est certain, c’est que je n’ai plus la patience de travailler avec des divas de chair et de sang.  J’ai passé trop de temps à essuyer des refus et à tenter de les convaincre. J’avais bien demandé à Stromae de réaliser la performance que j’ai finalement entreprise moi-même à Monaco… mais il n’était pas disponible. Et je suis à un moment de ma carrière où je préfère travailler avec des gens disponibles. Mon état d’esprit a changé. Je préfère collaborer et être dans l’échange avec des artistes plutôt que de manipuler des divas comme je le faisais auparavant. Elles ne me fascinent plus.

 

En quoi consistait votre performance d’un soir à la Villa Sauber?

J’ai construit cette exposition à Monaco entièrement autour de Marlene Dietrich. La Villa Sauber devient non seulement le lieu d’exposition des œuvres qui lui sont consacrées [fausses affiches de film, broderies à son effigie, sculptures, portraits de la légende du cinéma réalisés à la manière des grands peintres], mais une demeure qui aurait pu accueillir l’actrice elle-même. J’ai passé cinq heures épuisantes dans ce décor, grimé en Marlene Dietrich, habillé d’une robe noire. J’aspergeais l’espace de son parfum… au point de m’intoxiquer. C’était ma toute première performance (si l’on exclut ma performance de trois minutes avec Lady Gaga). Je ne cherchais pas à imiter Marlene Dietrich. Je ne voulais pas porter des postiches sur le visage. Je cherchais surtout à me mettre en danger, physiquement (j’ai perdu sept kilos) et mentalement. Un bon artiste est un artiste courageux. Le respect du public n’est pas un dû. Il faut oser se remettre en question et se confronter à de nouvelles pratiques.

 

 

“J’ai passé cinq heures dans ce décor, grimé en Marlene Dietrich. J’aspergeais l’espace de son parfum… au point de m’intoxiquer.”

 

 

Vous vous habillez souvent en femme?

Si je rencontrais un homme dont j’étais follement amoureux qui me demandait de faire des galipettes en portant une robe, je le ferais sans broncher. Rien n’est sale quand il est question de donner du plaisir. Vous voyez, j’essaie toujours d’être le plus honnête possible. Alors si je me travestissais à l’abri des regards, tranquillement à la maison, je vous le dirais immédiatement. Actuellement, ce serait sans doute la chose la plus cool à avouer. Mais je suis au regret de vous dire que ce n’est pas le cas.

 

Catherine Deneuve, avec qui vous avez collaboré, aurait dit qu’il n’y avait plus de stars de nos jours. Consacrer une exposition à Marlene Dietrich, est-ce une manière de mettre en lumière ce qui sépare les mythes d’hier et les célébrités d’aujourd’hui?

La discrétion est une forme de pouvoir. L’intelligence est une forme de pouvoir. Jeanne Moreau disait : “Ce ne sont pas les films que vous faites qui font votre carrière, mais ceux que vous refusez.” On peut regretter que Rihanna – que j’aime beaucoup par ailleurs – n’ait pas le cerveau de Jeanne Moreau. Mais la vie est ainsi faite. Si Rihanna parlait avec la même intelligence que Jeanne Moreau, en perdrait-elle son sex-appeal ? Je l’ignore. Mais par les temps qui courent, il serait bien que les stars prennent des positions et s’impliquent, par exemple, dans l’élection américaine. Sauf si l’on souhaite que Poil de Carotte devienne président des États-Unis.

 

Vous parlez de Donald Trump?

Je l’ai rencontré à deux reprises. Un jour, mon mentor, le critique d’architecture du Times, m’a fait une proposition qui a aiguisé ma curiosité. Il m’a dit : “Ce soir, je t’invite à participer au Satiricon [roman satirique de l’Antiquité qui donna lieu au film baroque et décadent de Fellini en 1969]”. Il est passé me chercher et nous avons fini avec Donald Trump au concert de Ricky Martin. C’était il y a plus de dix ans et Ricky Martin n’était pas encore sorti du placard. Mais Trump était déjà perçu comme un candidat possible à la présidence. Eh bien je vais vous dire quelque chose, contrairement à ce que pensent beaucoup d’Européens, il n’y a aucune ironie chez Donald Trump. Tout est à prendre au premier degré. Lorsque j’avais collaboré avec lui, Gore Vidal [écrivain et scénariste culte américain] m’avait prévenu : “Ton travail ne sera jamais compris ici. Il n’y a pas de place pour l’ironie aux États-Unis.

 

La réception de votre œuvre n’a pas toujours été des plus bienveillantes. On a même parlé de vous comme d’un “red carpet artist” (artiste de tapis rouge).

On m’a longtemps reproché d’embrasser la pop culture alors que je tentais seulement de l’analyser. Et aujourd’hui, on me qualifie de marxiste ! C’est en tout cas ce que m’a dit le président de la télévision italienne avec laquelle je collabore actuellement. J’ai mis toute mon énergie à sortir du placard en tant qu’homosexuel et me voilà désormais obligé de sortir du placard en tant que marxiste ! C’est le nouveau fardeau que je dois porter [rires]. Je ne peux que me retrouver dans les paroles de Gloria Gaynor : “I am What I am.” Les artistes n’ont d’intérêt que s’ils suscitent des interprétations diverses. Libre à chacun de s’en donner à cœur joie.

 

Votre manière d’appréhender le cinéma, le monde de l’art ou de la pop culture pour en révéler les dessous n’est-elle pas une forme de critique du système?

Je ne considère pas mon travail comme une critique institutionnelle. Mais j’ai beaucoup de choses à dire sur le système de l’art contemporain, qui ressemble étrangement désormais à celui de Hollywood. On y construit de toutes pièces une hype autour de quelques artistes au lieu de les aider à forger leur identité.

 

Vous ne vous épargnez pas non plus. L’un des faux posters de film exposé à Monaco vous représente avec cette annotation : “Il [Francesco Vezzoli] voulait devenir une star… Mais son ambition ne connaît-elle aucune limite?

Je ne veux pas me transformer en Isabelle Adjani et passer ma vie sous une couche de collagène en refusant de me remettre en question !

 

 

“On m’a longtemps reproché d’embrasser la pop culture… et aujourd’hui, on me qualifie de marxiste ! Comme le chante Gloria Gaynor ‘I am what I am’.

 

 

Dans le film que vous présentez, vous mettez en scène votre propre descente aux enfers. Vous faites témoigner des prostitués à votre sujet. Où commence la fiction et où s’arrête la réalité?

C’est tout l’enjeu de l’exposition que de brouiller les pistes. Je suis très heureux, par exemple, que le public prenne pour un vrai Francis Bacon le portrait que j’ai réalisé de Marlene Dietrich “à la manière de”. La ligne entre le vrai et le faux est d’autant plus fine que j’ai installé à proximité un véritable Matisse dont on pourrait croire qu’il a lui aussi pour modèle l’actrice. Jouer du vrai et du faux est une manière de questionner la réalité… pour, je l’espère, faire advenir une certaine vérité sur le monde. Pourquoi le public croit-il qu’il s’agit d’un Francis Bacon ? Parce que nous sommes à Monaco. Il est tout à fait crédible ici qu’un musée, ou même un particulier, en possède un chez lui. Le lieu de mes interventions est donc essentiel. Je fais de la haute couture. Chacune de mes œuvres est pensée pour le lieu auquel elle va s’intégrer. Il n’y a que le marché qui puisse penser qu’une œuvre peut être belle dans n’importe quel environnement, chez n’importe quel collectionneur.

 

Avez-vous délaissé vos sujets de prédilection au profit de la critique du monde de l’art?

Lorsque j’ai commencé à être artiste en Italie, j’étais sans doute le premier à m’emparer de sujets comme l’homosexualité d’une manière “grand public”. Et puis je suis passé à autre chose… avant de me rendre compte que certaines vérités et libertés que je croyais acquises ne l’étaient pas.

 

N’avez-vous jamais été censuré?

Étrangement, non. Même pas au Qatar, alors que mon exposition célébrait clairement la culture gay. Peut-être le pays désirait-il afficher son côté moderne…

 

Ou peut-être y a-t-il aussi de nombreux homosexuels au Qatar?

J’en suis même une preuve vivante !

 

 

Francesco Vezzoli, “Villa Marlene”, jusqu’au 11 septembre 2016 au Nouveau Musée national de Monaco – Villa Sauber, Monaco.