Maria Brito, the woman who whispers in P. Diddy’s ear
Numéro Art a rencontré l'influente conseillère de P. Diddy et Gwyneth Paltrow dans son appartement de Manhattan.
Par Ann Binlot.
Portraits Robbie Augspurger.
“Le lot numéro 5A est constitué par le Kerry James Marshall, nous débuterons les enchères à 6 millions de dollars.” C’était la mise à prix annoncée par le commissaire-priseur Oliver Barker le 16 mai dernier à New York, lors d’une vente organisée par Sotheby’s. L’adjudication concernait Past Times, une toile réalisée en 1997 par le peintre Kerry James Marshall. L’œuvre représente un groupe d’Afro-Américains réunis autour d’un joyeux pique-nique, comme en écho au célèbre Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet (1863), ou au chef-d’œuvre de Georges Seurat, Un dimanche après-midi à la Grande Jatte (1884-1886). Les enchères se sont envolées, dépassant les 8 millions de dollars d’estimation, le marteau retombant sur un prix de 18,5 millions de dollars (21,1 millions avec les commissions) [environ 18 millions d’euros], soit un record absolu pour un artiste afro-américain vivant. Deux jours plus tard, Jack Shainman, le galeriste de Marshall, annonçait le nom de l’acheteur sur Twitter, après avoir révélé son identité au New York Times. “Bravo Kerry James Marshall de continuer à écrire ainsi l’Histoire. Et félicitations à @diddy pour cette incroyable acquisition, vos projets pour l’avenir de la peinture sont enthousiasmants.”
“J’étais au courant, nous en avions discuté, et il me semble que cela allait bien au-delà chez lui de la simple volonté de posséder une toile de Kerry James Marshall. C’était quelque chose de beaucoup plus profond : l’engagement d’un entrepreneur noir à la réussite éclatante.” Ces mots sont de Maria Brito, la conseillère en art, depuis près de sept ans, de l’acheteur, Sean Combs – le rappeur, acteur, producteur et magnat des affaires plus connu sous le nom de Puff Daddy ou encore P. Diddy.
Sa vocation lui est venue en observant un couple de galeristes : “Ils ne savent pas de quoi ils parlent, ils n'y mettent aucune passion. Ils devraient prendre mon job, et moi le leur.”
Née au Vénézuela, installée à New York, Maria Brito a vécu ses années de formation à Caracas, durant une période de bouleversements politiques qui l’ont conduite à quitter le pays juste avant l’arrivée au pouvoir en 1999 du dictateur Hugo Chávez. “Comment faire pour maintenir les gens dans l’oppression ? Eh bien, vous faites en sorte qu’ils restent suffisamment ignorants pour continuer à voter pour vous, si vous voyez ce que je veux dire.” explique-t-elle avant de conclure : “Moi, je voulais partir.” Elle a ainsi postulé dans les meilleures universités de droit aux ÉtatsUnis (New York University, The University of Chicago, Columbia University et Harvard), qui l’ont toutes acceptée. “Évidemment, j’ai choisi Harvard, parce que personne ne peut refuser une opportunité pareille”, dit celle qui, en partant vivre aux États-Unis, devenait aussi une immigrée. Maria Brito reconnaît que, durant ses six premiers mois, elle a souffert de ce que l’on appelle parfois le syndrome de l’imposteur. Diplômée en droit de la prestigieuse Harvard Law School, elle a passé du premier coup l’examen d’entrée au barreau de New York. Elle a d’abord travaillé pour une start-up du web spécialisée dans les médias latino-américains. Sa société ayant disparu dans l’éclatement de la première bulle internet, elle a ensuite été embauchée dans un grand cabinet d’avocats d’affaires, où elle est restée huit ans.
Élevée dans une famille de la classe moyenne vénézuélienne qui pouvait se permettre de collectionner des artistes locaux et de voyager, Maria Brito s’est intéressée très tôt aux arts et à la culture. Elle était même présente lors de la première édition d’Art Basel Miami, en 2002, à Miami Beach. Peu de temps après, elle devient collectionneuse. “Mon premier achat était une gravure de Keith Haring, achetée dans sa boutique de Soho [Le Pop Shop, qui a fermé en 2006].” Elle s’est également mise à collectionner le travail d’artistes latino-américains comme Vik Muniz. L’idée de devenir conseillère en art lui est venue en observant les méthodes d’un couple de galeristes. Elle se rappelle avoir pensé alors : “Ils ne savent pas de quoi ils parlent, ils n’y mettent aucune passion. Ils font ça comme s’ils travaillaient en entreprise. Ils devraient prendre mon job, et moi le leur.” Maria Brito a donc travaillé son business plan et, en 2009, a décidé – consciente des risques – de sauter le pas, quittant un poste très bien payé de juriste d’affaires pour se lancer dans l’activité de conseil. “Pour la première fois de ma vie, j’avais besoin de faire quelque chose seulement pour moi, après avoir tout entrepris pour satisfaire mes parents, pour me plier à certaines normes, ou pour me comporter en bonne catholique”, dit-elle, avant de concéder que “c’était une décision complètement folle”. La future conseillère a demandé à son entourage de la mettre en relation avec des acquéreurs potentiels. Ses premiers clients ont été un couple à la recherche d’œuvres d’artistes brésiliens, qu’elle a aidés à acquérir des pièces de Beatriz Milhazes, Vik Muniz, Osgemeos ou Sergio Camargo. Elle s’est rapidement familiarisée avec les pratiques de ce milieu et y a noué de nombreux contacts.
L’art advisor a construit son portefeuille de clients en attirant des acquéreurs très aisés venus du monde du droit et de la finance, mais aussi des célébrités comme Gwyneth Paltrow, ou P. Diddy qu’elle a connu par une relation commune. Elle l’a ainsi accompagné pour la première fois à Art Basel Miami en 2011, et l’a conseillé pour sa première acquisition. C’était un grand format sur papier de Keith Haring, tiré de sa série en noir et blanc mêlant des drapeaux et des représentations de Mickey : une manière pour Maria Brito de “boucler la boucle”.