22 nov 2023

“Madonna est notre mère.” Rencontre avec le duo de photographes cultes Luigi & Iango

Couple dans la vie et dans l’art, Luigi Murenu et Iango Henzi ont réalisé certains des clichés les plus connus de leur amie Madonna, mais aussi de Marina Abramovic, Rihanna, Dua Lipa, ou Jennifer Lawrence… Avant leur carrière photographique, le premier fut l’un des coiffeurs les plus réputés de la mode, le second passionné de danse. Ils se confient à Numéro art à l’occasion de la sortie de leur ouvrage : Luigi & Iango: Unveiled, aux éditions Phaidon. 

Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.

Numéro : Vos photos sont connues pour être extrêmement travaillées et maîtrisées. Quelle place laissez-vous au hasard ?

Iango : Nous travaillons souvent avec de très belles filles, de beaux visages et avec une jolie base de cheveux et de maquillage… mais, ce qui est intéressant, c’est le moment où le maquillage s’abîme, où tout tombe pour laisser place à quelque chose de plus beau. Ce que nous recherchons est ce moment de l’abandon où une “beauté inconsciente” se révèle. Notre livre et notre exposition à Milan en septembre dernier ne s’appelaient pas “Unveiled” pour rien (rires). Ce n’est que lorsque tu n’es pas complètement dans le contrôle qu’une image authentique peut advenir. Une image plus poétique. Tout notre travail est une quête de ce moment, du mystère caché, de la beauté inconsciente… Et cela nécessite en réalité beaucoup de préparation. Nous sommes dans une société du filtre, sur les réseaux et dans nos vies. Mais lorsque tu les enlèves, tu n’es pas à nu. Tu es juste plus vrai.

 

Luigi : Il faut accepter l’erreur, parfois faire ce qui ne semble pas adapté pour arriver à quelque chose d’inattendu. Il ne s’agit pas de détruire l’harmonie, mais de la décomposer pour arriver à une nouvelle expression, un autre langage.

 

Vous réalisez vos photographies dans un studio installé chez vous. J’imagine que cela influence le rapport avec votre modèle…

Iango : Le shoot devient tout de suite plus personnel, plus humain. Nous cuisinons ensemble, nous nous asseyons pour déjeuner… Nous créons un rapport intime propre au laisser-aller et à l’abandon. Nous essayons d’établir un lien de confiance d’autant plus important qu’une photographie a toujours un aspect tactile. On touche les cheveux, la peau avec le maquillage… En studio, nous faisons en sorte d’être peu nombreux, 5 au maximum. Travailler en petit comité permet également de mieux réfléchir, de ne pas s’éparpiller entre 40 000 idées. Nous prenons toujours le temps de discuter avec les personnes que nous photographions. Nous nous enrichissons des histoires qu’elles nous racontent. Il faut être sensible à ce qui se passe et savoir capturer le moment. Luigi est très spontané et n’a pas peur de switcher, de changer d’idée.

 

Luigi : La photographie a un peu perdu ce rapport humain. Elle est devenue froide et cynique. Pour nous, une photo est avant tout une rencontre et une collaboration. L’empathie et l’amour sont à la base de tout. C’est ce qui permet à chacun de donner un maximum de soi. Comme dans une performance.

Quel est le plus beau compliment qu’une personne puisse vous faire ?

Iango : “Je ne me suis jamais sentie aussi belle » après un shoot. Ou “Je ne m’étais jamais vu ainsi.” 

 

Votre livre est préfacé par Marina Abramovic. La photographie s’y dévoile comme une performance, entendue non seulement comme l’idée d’incarner un personnage, mais surtout de performer ce que l’on est, de l’exprimer pleinement. 

Iango : La photographie comme la performance nécessitent une grande préparation, de nombreuses recherches en amont. On ne se dévoile pas facilement. Être authentique nécessite de savoir où l’on va. Si tout est trop chaotique, tu n’arriveras jamais à donner une véritable émotion. Il faut aussi savoir capturer le moment. Jouer avec la pluie s’il se met à pleuvoir. S’adapter aux changements de lumière. Lorsque nous avons photographié Marina, l’expérience tenait de la fusion, de quelque chose de si intense qu’à un moment, nous avons pratiquement eu besoin d’arrêter. C’était trop intense. En général, les gens communiquent par la voix. Avec elle, le silence était complet. Tout passait par l’énergie, des mouvements de main, des mouvements d’yeux. Elle est capable de ce type de performance. 

 

Madonna explique en introduction de votre livre que ce qu’elle apprécie dans votre travail est la perte de rationalité, comme dans un film de Fellini. Tout d’un coup, le bouillonnement de la vie surgit, on quitte le monde rationnel.

Iango : C’est un chaos contrôlé. Nous sommes très attirés par les opposés. Une photo froide et chaude à la fois. Une photo contrastée mais soft. La subtilité se joue dans ces opposés. La vie et la mort, le changement, le passage d’un état à un autre. Quand tu penses à Baudelaire, tu comprends que la beauté peut provenir de choses qui font peur. Quand un cliché est trop carré ou trop parfait, le regardeur ne peut pas le pénétrer. Ce n’est pas confortable. Il faut toujours un peu de rondeur et ne pas avoir peur de sortir des codes. Si tu es trop niche ou trop hermétique, tu ne laisses pas la place pour créer une émotion.

Madonna est également en couverture du livre que vous venez de publier, Unveiled, chez Phaidon. Quelle est votre lien avec elle ?

Luigi : Je la connais depuis 35 ans ! Elle fait partie de la famille ! Madonna, c’est une femme d’une culture exceptionnelle avec qui nous pouvons avoir des discussions passionnantes. J’aime son approche de l’art, de la culture, de la peinture. 

 

Iango : Ce qui est intéressant quand tu travailles avec une artiste comme Madonna, c’est que tu es challengé comme jamais. Elle te questionne, elle te fait avancer. Madonna suit le projet de A à Z, en amont, lors du shoot ou de l’editing. Madonna est la personne la plus stimulante avec qui nous avons travaillé. Elle est aussi enthousiaste qu’un enfant qui ferait sa première photo !

 

Luigi : Madonna a une discipline exceptionnelle qui lui permet d’accepter les surprises. Elle cherche toujours le sens derrière les propositions. La vie doit avoir un sens. L’art doit avoir un sens. 

 

L’une de vos images les plus iconiques est bien sûr celle de Madonna en madone…

Luigi : Ce n’était pas seulement Madonna en madone, c’était une chose qu’elle voulait exprimer avec nous. Une humanité. Pour nous, elle a toujours représenté la figure de la mère. Nous sommes ses fils ! Nous voulions dévoiler cette part de sa personnalité. Au cours de carrière, Madonna a représenté beaucoup de choses pour beaucoup de monde, beaucoup de monde qui n’était pas représenté ou considéré. L’inclusivité qu’elle a toujours défendue est inspirante. 

 

“Luigi & Iango: Unveiled” (2023), monographie de Luigi & Iango préfacée par Madonna, éditée par Thierry-Maxime Loriot chez Phaidon. Disponible.