3 nov 2023

L’œuvre de la semaine : l’autoportrait androgyne de Carolyn Drake à la Fondation Henri Cartier-Bresson

Chaque semaine, Numéro invite un artiste contemporain à choisir l’une de ses œuvres et à la commenter. Actuellement à l’affiche d’une exposition personnelle à la Fondation Henri Cartier-Bresson, la photographe américaine Carolyn Drake revient sur un autoportrait récent qui témoigne de ses réflexions sur la masculinité.

L’œuvre

 

Assis devant un rideau blanc, un personnage en costume fixe ses pieds. Dans sa main gauche, il tient une paire de ciseaux aiguisés, alors que l’on aperçoit au sol des dizaines de mèches de cheveux bruns. Effilée et humide, sa chevelure semble avoir tout juste été coupée. En noir et blanc, l’image présente ici un individu vulnérable qui pourrait bien, avec ses cheveux, avoir perdu une part de sa vigueur. Et contemple avec mélancolie, dans une forme d’impuissance, les restes d’un temps révolu.

 

L’artiste

 

Photographe depuis une vingtaine d’années, la Californienne Carolyn Drake réalise des séries au long cours qui, souvent, remettent en cause les idées préconçues instaurées par son éducation et les discours dominants par une réelle rencontre voire un engagement auprès des communautés qu’elle immortalise. Si l’artiste a beaucoup voyagé pour ses projets, de l’Ukraine à la Chine en passant par l’Asie Centrale, elle s’est par la suite davantage centrée sur son propre pays, consacrant par exemple de 2012 à 2020 une série à un mystérieux groupe de femmes, le “Knit Club”, dans un petit village rural du Mississippi. Lauréate du prix HCB en 2021, l’artiste présente actuellement une exposition personnelle à la Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris.

 

Le contexte

 

Après avoir étudié plusieurs parangons de la féminité dans Knit Club, Carolyn Drake décide logiquement de s’attaquer à son autre versant : la masculinité. Dans sa série MEN UNTITLED, la photographe américaine déconstruit les stéréotypes associés aux hommes en montrant leur déclin à l’ère contemporaine, mais aussi leur obsolescence dans une société plus fragile et plus fluide qu’auparavant. Entre portraits intimes et émouvants, détails de corps nus triomphaux, épuisés ou vieillissants, ces clichés abstraits de tout contexte géographique offrent un panorama d’une masculinité alternative, aux antipodes des principes érigés jadis en exemple. Dans l’image citée ici, l’artiste se met d’ailleurs elle-même en scène dans la peau de cette figure masculine à l’identité énigmatique.

 

Le mot de l’artiste

 

“Pour cette image, j’ai été inspirée par Self-Portrait with Cropped Haïr (1940), une peinture de Frida Kahlo réalisée après la découverte de l’infidélité de son mari et le divorce qui s’en est suivi. Quatre vingt ans après cette œuvre, le mouvement #MeToo s’affaiblissait aux États-Unis, deux juges anti-avortement étaient nommés à la Cour Suprême, sur le point d’abroger les droits des femmes en matière de procréation, et nous étions en plein milieu du confinement lié au Covid. À l’époque, j’étais en train de travailler sur un projet photographique autour de la masculinité et d’étudier un livre des années 40, enseignant aux femmes comment séduire les hommes. Tout ce contexte m’a procuré beaucoup de colère. Mes cheveux, les ciseaux, le costume, et mon corps féminin sous les vêtements, m’ont ainsi permis d’exprimer exactement ce que je ressentais à ce moment-là.”

 

L’œuvre de la semaine est présentée dans l’exposition “Carolyn Drake. Men untitled”, jusqu’au 14 janvier 2024 à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris 3e.