16 nov 2023

L’œuvre de la semaine : la rêverie subaquatique de Julien Creuzet au Magasin

Chaque semaine, Numéro invite un artiste contemporain à choisir l’une de ses œuvres et à la commenter. À l’affiche d’une exposition personnelle au Magasin CNAC de Grenoble, l’artiste Julien Creuzet, qui représentera la France à la prochaine Biennale d’art de Venise, revient sur une vidéo en 3D inédite croisant les grandes thématiques de son œuvre, de l’univers maritime à la lutte pour l’indépendance des communautés opprimées en passant par le domaine du rêve.

L’œuvre

 

Dans cette séquence vidéo en 3D, nous plongeons dans le monde sous-marin au crépuscule. Au centre de l’image bleutée, un visage chérubin couleur bronze flotte face au spectateur, avec une apparente sérénité. Yeux et bouches clos, tête ronde et joufflue coiffée d’un diadème strié… Si ses attributs peuvent rappeler ceux des masques en bois d’art tribal ou encore les représentations du Boudha, sa forme gonflée et ses points blancs évoquent également ceux d’un poisson sillonnant l’océan. En arrière-plan, une vingtaine de délicates roses colorées ondoient, baignant la scène d’une atmosphère mystérieuse, poétique et onirique.

 

L’artiste

 

Sculpture, vidéo, photomontage, poésie ou encore musique… la pratique pluridisciplinaire de Julien Creuzet s’approche depuis une dizaine d’années de l’œuvre d’art totale. Né en région parisienne en 1986, l’artiste franco-caribéen prend souvent la Martinique, son pays d’origine, comme noyau de son imaginaire mais aussi de ses questionnements sur l’exil, l’identité, les migrations à travers l’océan Atlantique, les relations entre la France métropolitaine et les Caraïbes ou encore la créaolisation. En résultent des objets hybrides aux confins des époques et des cultures, croisant formes naturelles et organiques, rebuts et objets maritimes, fantômes et figures tutélaires des pensées postcoloniales.

 

Le contexte

 

Dans quelques mois, Julien Creuzet représentera la France lors de la soixantième Biennale d’art de Venise. Avec les deux commissaires de ce projet inédit pour le Pavillon français Céline Kopp et Cindy Sissokho, l’artiste inaugure ce vendredi au Magasin CNAC, à Grenoble, une exposition personnelle pensée comme un préambule rétrospectif qui réunit les grandes thématiques de son œuvre. On y croise de nombreuses vidéos et de sculptures ainsi que les œuvres de cinq artistes invités : Phoebe Collings-James, Christina Kimeze, Manuel Mathieu, Bruno Peinado et Chloé Quenum. Plusieurs personnages y apparaissent, dont Zumbi Dos Palmares, chef de guerre et figure de la lutte pour la liberté des noirs au Brésil, célébré dans l’œuvre ci-dessus.

 

Le mot de l’artiste

 

Zumbi Zumbi Eterno est un voyage submergé, sous-marin, entre les histoires. Je me suis intéressé à Zumbi Dos Palmares, un leader noir du 17ème siècle qui s’est émancipé du contexte colonial et esclavagiste au Brésil. Zumbi sera arrêté et sa tête sera coupée. Zumbi ressemble à un zombie et j’ai compris que le terme « zombie », et tout que ce mot peut drainer comme imaginaire aujourd’hui, est arrivé dans la littérature de l’époque des années après la mort de ce dernier. Zumbi ou Zombie, émancipation et liberté, mort-vivant et sorcellerie. Qui raconte l’histoire, qui invente les mots, qui invente la langue, qui écrit les livres… C’est comme cela que mon imaginaire est stimulé. “Eterno” comme éternel. Alors, un corps sans tête dérive sous les eaux bleutées, Poisson, poison…”

 

Julien Creuzet, “Oh téléphone, oracle noir (…)”, du 17 novembre 2023 au 26 mai 2024 au Magasin CNAC, Grenoble.