Art

16 déc 2025

Les livres d’art à (s’)offrir pour les fêtes

À mesure que les températures chutent et que les nuages recouvrent notre horizon chaque matin, rien de mieux que de s’emmitoufler sous sa couette pour profiter d’un bon bouquin. Du nouvel ouvrage de Sophie Calle à la vie et l’œuvre de Frida Kahlo, en passant par une anthologie des artistes femmes entre 1869 et 1939, Numéro retient les livres d’art à feuilleter cet hiver – ou à poser au pied du sapin…

  • Par Ambra Flora

    Camille Bois-Martin

    et Matthieu Jacquet.

  • Publié le 16 janvier 2025. Modifié le 17 décembre 2025.

    Gauguin, revu et corrigé par Griselda Pollock

    Figure de proue du postimpressionnisme en France, Paul Gauguin est mondialement connu depuis la fin du 19e siècle pour ses peintures de la Polynésie– des îles Marquises à Tahiti – et de leurs populations. Longtemps considérées comme des canons de l’histoire de l’art, ces représentations voient aujourd’hui leur appréciation ombragée par leurs conditions de réalisation : relations sexuelles du peintre avec des Vahinés mineures, exploitation et exotisation des autochtones en abusant de son statut d’artiste et de colon…

    Un changement de regard sur son art que l’on doit notamment aux recherches de Griselda Pollock. En 1993, lors d’une conférence qui fera date, l’historienne de l’art britannique offre une lecture plutôt inédite du travail de l’artiste et de ses contemporains, à rebours des récits dominants, en prenant en compte notamment les grilles de lecture féministes, post-coloniales et anti-impérialistes, devenues trente ans plus tard encore plus influentes dans notre appréhension des œuvres historiques. Aujourd’hui traduit en français par les éditions Thames & Hudson dans un petit livre richement illustré, ce texte invite à relire et interroger l’œuvre d’un peintre majeur, loin des récits hagiographiques auxquels nous ont habitués les traditionnelles monographies.

    “Gauguin, le genre et la race”, par Griselda Pollock, éd. Thames & Hudson.

    30 ans d’entretiens entre Gerhard Richter et Hans Ulrich Obrist

    Je suis fasciné par l’idée que l’art puisse s’approcher d’une qualité qui le rende indépendant de nous”, confiait l’artiste allemand Gerhard Richter à Hans Ulrich Obrist en 2014. “Comme Dieu ?”, répondait ce dernier. “Oui – l’art a beaucoup à voir avec ça.” En 1986, l’historien de l’art et commissaire d’exposition suisse fait la connaissance de celui qui deviendra l’un des plus célèbres peintres de notre époque. Une rencontre cruciale dont découleront des années de visites d’atelier, de collaborations sur des expositions et des publications, mais aussi, et surtout, de nombreux échanges désormais compilés dans un livre publié en français.

    Alors que Gerhard Richter fait actuellement l’objet à la Fondation Louis Vuitton d’une des plus grandes rétrospectives de sa carrière, ces entretiens réalisés au fil des trois dernières décennies permettent, comme un complément, de retracer l’évolution de son rapport à l’image, à la peinture et à la photographie, mais aussi de l’entendre sur des sujets plus rarement abordés, comme l’architecture, la religion, la montagne, ou encore la dévaluation du beau par la publicité. Une lecture édifiante pour comprendre un artiste majeur dont la parole se fait plus rare, alors qu’il fêtera bientôt ses 94 ans.

    “Entretiens avec Gerhard Richter”, Hans Ulrich Obrist, éd. du Seuil.

    Comment l’art porte la mémoire de l’esclavage

    En 1865, le 13e Amendement de la Constitution Américaine abolit définitivement l’esclavage sur l’ensemble des États-Unis, dix-sept ans après son abolition en France. Pour autant, entre ségrégation, politiques racistes et lynchages publics, les futures générations africano-caribéennes continueront de subir les stigmates de cet épisode d’une violence innommable de notre histoire, tel que le révèlent les productions textuelles et artistiques réalisées lors des 20e et 21e siècle.

    C’est cette mémoire toujours bien vivace qu’explore Elvan Zabunyan, l’historienne spécialiste de l’art africain-américain, dans Réunir les bouts du monde. Art, histoire, esclavage en mémoire, publié en 2024 par la maison d’édition B42. Lauréat cette année du prix Pierre Daix, créé par François Pinault pour récompenser chaque année un ouvrage d’histoire moderne et contemporaine, le livre analyse la “survivance” de quatre siècles de commerce triangulaire à travers des écrits, productions visuelles et artistiques. Articulée autour des quatre éléments – eau, feu, terre, air –, sa structure, bien loin du récit chronologique, assume la transversalité et les dialogues transhistoriques pour contrebalancer la lecture d’une histoire qui la figerait dans la linéarité – et dans un passé dangereusement détaché de notre présent.

    Réunir les bouts du monde. Art, histoire, esclavage en mémoire”, par Elvan Zabunyan, éd. B42.

    L’exposition d’Ugo Rondinone et Tarek Lakhrissi réunie dans un beau livre

    En octobre 2024, alors que la semaine de l’art à Paris battait son plein à Paris, Reiffers Initiatives présentait la nouvelle exposition de son programme de mentorat, invitant chaque année un artiste établi à accompagner un jeune talent de la scène française dans la réalisation d’une proposition inédite. 

    Pour leur collaboration, le célèbre artiste suisse Ugo Rondinone et le poète, plasticien et vidéaste Tarek Lakhrissi ont imaginé sur deux étages une expérience autour des trois couleurs primaires : le rouge, le bleu et le jaune. Poèmes brodés sur tissu, grandes horloges lumineuses aux airs de vitraux incrustées dans les murs, pendules en verre teinté suspendus à la verrière par des chaînes… Un voyage à travers la couleur, la lumière et le temps tout en subtilité, désormais retracé dans un catalogue, sixième livre d’art de la collection Reiffers Initiatives.

    “Ugo Rondinone & Tarek Lakhrissi : who is afraid of red blue & yellow?”, livre de l’exposition du mentorat Reiffers Initiatives 2024, éd. Reiffers Art Initiatives.

    Car trop longtemps dans l’histoire “anonyme était une femme”… 

    Cette anthologie réunie par les historiennes de l’art Lucia Pesapane et Delphine Wanes de l’association Aware redonne vie aux voix trop souvent effacées des artistes femmes entre 1869 et 1939. À travers plus de quarante textes, lettres, discours, notes personnelles se dévoilent leurs combats, leurs ambitions et leurs arts.

    Divisé en quatre thèmes (“Se former”, “Persévérer”, “S’organiser”, “S’affirmer”), l’ouvrage traverse des figures célèbres comme Camille Claudel ou Berthe Morisot, mais aussi des artistes moins connus telles que Marlow Moss ou Amrita Sher-Gil. Illustré de portraits, d’archives, et d’œuvres, le livre offre enfin des visages et des images associés à la parole, à celles que l’histoire a laissées trop longtemps dans l’ombre La parole d’artistes femmes… 

    Paroles d’artistes femmes 1869-1939”, (AWARE), éditions de La Martinière.

    Petite histoire de l’art queer, de Michel-ange à Zanele Muholi

    Dawn Hoskin propose une introduction accessible et vivante à l’art queer à travers quarante œuvres, du David de Michel-Ange aux photographies de Zanele Muholi. S’appuyant sur les réflexions de bell hooks et de Judith Butler, elle redéfinit ainsi ce qu’est la notion de queer, qui dépasse la question identitaire pour devenir une manière de créer contre les normes, d’inventer de nouveaux espaces de liberté. Entre l’histoire de l’art et engagement politique, ce livre retrace une généalogie sensible et ouvertement inclusive d’un art présent à toutes les époques et dans toutes les cultures.

    Petite histoire de l’art queer”, par Dawn Hoskin, éditions Flammarion

    Sophie Calle dévoile un inventaire de ses projets inachevés

    En 2023, alors que Sophie Calle prépare son exposition au musée Picasso, elle redécouvre dans ses tiroirs des dizaines et des dizaines de projets entamés, mais jamais achevés. Faute de moyen, de temps ou de pertinence, ces idées sont souvent restées au stade d’ébauche.

    L’artiste française décide aujourd’hui de les réunir et d’en faire, enfin, un véritable projet : en mai 2025, à la galerie Perrotin, elle en offrait alors un aperçu, qu’elle réunit aujourd’hui dans un beau livre – dont la couverture ressemble à un journal intime. “J’ai eu envie de faire une sortie d’inventaire, de montrer ces idées dans l’état où je les avais laissées : c’est-à-dire en attente. Finalement, une manière pour moi de les achever.” expliquait-elle ainsi à Numéro au printemps dernier.

    “Catalogue Raisonné de l’Inachevé”, par Sophie Calle, éditions Actes Sud.

    Que peut-on encore apprendre sur Frida Kahlo ?

    La vie et l’œuvre de Frida Kahlo fascinent l’imaginaire populaire. Documentaire, films inspirés de faits réels, expositions : depuis près d’un siècle, la culture s’empare de son visage singulier, de son esthétique colorée, de ses engagements politiques et de ses tableaux saisissants.

    Autant de sujets, que l’on retrouve au sein de ce nouvel ouvrage riche en reproductions (dont certaines à déplier au format poster), commentées par l’autrice (et journaliste) Inès Boittiaux au regard de la biographie de l’artiste. Et, oui, on en apprend encore beaucoup sur la vie et sur les motivations d’une peintre aussi fascinante que puissante.

    “Frida Kahlo. L’art plus grand”, par Inès Boittiaux, éditions Hazan.

    Parmi les trésors du Louvre, des chiens…

    À l’origine de ce livre surprenant, une somme de travail titanesque : Martin Bethenod (qui a notamment signé Yves Saint Laurent et ses chiens en 2024) s’est aventuré dans les collections du Louvre, à la recherche… de chiens. Tableaux, sculptures, bijoux, rien n’a échappé à l’œil aiguisé de l’auteur qui, lorsqu’il se lance dans ce projet, comptabilisé 2789 occurrences du mot chien dans la base de données des collections du musée.

    Si l’idée peut sembler saugrenue, elle ouvre le sujet aux enjeux historiques, iconographiques et symboliques des canidés dans l’histoire de l’art. Au gré d’arrêts sur image, on croise ainsi les chiens des Noces de Cana de Véronèse (1563) comme les vases à motifs canins de la Cour Marly… Un livre parfait pour les passionnés d’histoire de l’art, comme pour les amoureux des chiens.

    “Le Louvre et ses chiens” par Martin Bethenod, éditions Norma & musée du Louvre.

    L’histoire du Pop art à travers le dessin

    Du Pop art, on connaît surtout les œuvres bariolées d’Andy Warhol, de Roy Lichtenstein ou de Richard Hamilton. Dans son ouvrage Handmade Readymade, l’autrice et chercheuse en histoire de l’art Marine Schütz propose d’aborder ce mouvement incontournable né dans les années 1960 à partir du dessin. S’il ne s’agit pas du premier médium qui nous vient en tête lorsque l’on évoque le Pop art, il s’avère néanmoins central dans son développement.

    Redécouvert au début de cette décennie, en marge de la peinture, le dessin invoque en effet l’idée du retour de la main dans la pratique artistique, pour devenir un genre à part entière dans l’art contemporain actuel. Un ouvrage passionnant, qui dévoile une histoire inédite du Pop art.

    “Handmade Readymade. Dessin et illustration dans le Pop art américain et britannique (1950-1975)”, par Marine Schütz (2025), éditions Les presse du réel.