9 juil 2019

Les œuvres d’Alexander Calder, entre ciel et mer

Dans le splendide bâtiment signé par Renzo Piano, le Centro Botín accueille jusqu’au 3 novembre l’exposition “Calder Stories” à Santander. Ce regard inédit sur l’œuvre d’Alexander Calder met l'accent sur les projets non réalisés de l’artiste, dans une scénographie également conçue par Renzo Piano.

Vue de l’exposition “Calder Stories” au Centro Botín © Belén de Benito

Au nord de la côte espagnole, la baie de Santander s’est enrichie depuis deux ans d’un remarquable édifice : le Centro Botín, nouvelle institution culturelle construite au bord de l’océan. Grâce à des escaliers extérieurs et des avancées au-dessus de l’eau, sa structure ouverte invite les passants à profiter d’un panorama exceptionnel tandis que, recouvrant par milliers sa façade, de petits disques en céramique reflètent la lumière du soleil et les ondoiements de l’eau comme pour fondre l’architecture dans son décor. Renzo Piano, architecte italien de renom à qui l’on doit notamment la conception du Centre Pompidou, signe ici l’une de ses dernières réalisations.

 

Ouvert en 2017 à l’initiative de la Fondation Botín, le Centro Botín incarne un nouveau pôle culturel et artistique, à une centaine de kilomètres du musée Guggenheim de Bilbao. Il a pour vocation de présenter des expositions, spectacles, ateliers et autres événements, et a précédemment accueilli des œuvres de Francisco de Goya, Joan Miró ou Cristina Iglesias.

 

Jusqu’au 3 novembre, c’est un artiste américain que le centre met cette fois-ci à l’honneur : Alexander Calder, figure majeure de l’art moderne disparue en 1976. Notoire pour ses assemblages suspendus dits “mobiles” ainsi que pour ses sculptures fixes monumentales baptisées “stabiles”, l’artiste a produit pendant près de soixante ans quantité d’œuvres, dont certaines restent peu connues. C’est sur ce pan de son travail que le commissaire de l’exposition Hans Ulrich Obrist a choisi de se concentrer, en montrant de nombreux projets non réalisés, présentés à l’état de maquettes, dessins et sculptures miniatures, dans une scénographie pensée par Renzo Piano lui-même.

Vue de l’exposition “Calder Stories” au Centro Botín © Belén de Benito

Une scénographie originale conçue par Renzo Piano

 

Dès son origine, l’enjeu de l’exposition Calder Stories relève du défi : comment associer le travail de Calder au vaste et lumineux espace du Centro Botín ? C’est l’architecte même du centre qui est chargé de le résoudre : l'illustre Renzo Piano, révélé entre 1971 et 1977 grâce au Centre Pompidou, créé en collaboration avec Richard Rogers. Depuis, l'Italien a réalisé d'impressionnants édifices ouverts sur l’espace environnant, s'illustrant notamment par son association fréquente du métal à de grandes baies vitrées et la mise en place des structures apparentes : escaliers, terrasses, ascenseurs…

 

Au sein de cet équilibre entre formes et couleurs, le visiteur est invité à découvrir l’exposition en suivant sa propre intuition.

 

Afin d’intégrer au mieux les 80 œuvres de Calder à son architecture du Centro Botín, Renzo Piano les a disposées dans la salle principale selon un parcours libre et non académique. Bien qu’installées entre quatre murs, elles semblent y flotter dans un espace ouvert à la fois sur la ville de Santander et sa baie, espacées par des respirations visuelles qui soulignent leur caractère aérien. Au sein de cet équilibre entre formes et couleurs, le visiteur est ainsi invité à découvrir l’exposition en suivant sa propre intuition.

Alexander Calder, “Four Elements (maquette for 1939 New York World’s Fair)” (1938) et “Dancers and Sphere (maquette for 1939 New York World’s Fair)” (1938) © Belén de Benito

De nombreux projets non réalisés

 

Au début des années 60, une banque de Chicago commande à Alexander Calder une sculpture en bronze pour ses bureaux : plusieurs de ses propositions seront rejetées jusqu’en 1968, où le projet sera finalement confié à Jean Dubuffet. De ce travail résultent deux sculptures, Four Planes Escarpé et Six Planes Escarpé, compositions épurées à base de découpes en acier présentées dans l’exposition. Réalisées en 1967, elles sont un exemple des nombreux projets de Calder répondant à des commandes, que l’artiste disait lui-même beaucoup apprécier : “[Les commandes] me donnent l’occasion d’entreprendre des projets de grande taille. Je pense que tout ce que je fais a plus de succès lorsque c’est réalisé pour un endroit spécifique.

 

Forte de ces multiples commandes, l’œuvre de Calder regorge de créations non fabriquées. Des ressources considérables pour le commissaire d’exposition suisse Hans Ulrich Obrist, qui depuis des années s’intéresse aux œuvres avortées (en raison du manque de moyens financiers ou matériels, du contexte politique, de l'absence de faisabilité du projet…) Chez Alexander Calder, il a pu notamment rassembler de nombreux dessins et volumes miniatures, à l’instar de trois épatantes maquettes multicolores motorisées imaginées en 1938 pour la New York World’s Fair.

Alexander Calder, “Snake and the Cross” (1936) et “Square” (c.1934) © Belén de Benito

Une méthode de travail intuitive

 

En octobre 1930, Alexander Calder visite le studio de Piet Mondrian à Paris et découvre sa façon d’envisager l’espace. C’est alors que l’artiste américain décide de dépasser le format pictural en créant des assemblages tridimensionnels où les formes épurées peintes de couleurs vives s’entrecroisent, suspendues dans l’espace et mises en relief par la lumière et l’ombre. Dès ses débuts, la méthode de Calder n’a rien d’architectural, faisant l’économie de dessins techniques et de plans : l’artiste coupe des formes dans le métal, les dispose au sol puis les assemble à l’aide de fils, gardant une maîtrise totale de leur équilibre.

 

Dès ses débuts, la méthode de Calder n’a rien d’architectural, faisant l’économie de dessins techniques et de plans.

 

Illustrée par l'organisation de sa propre demeure et de son studio à Saché, près de Tours, l’approche artistique de Calder restera très intuitive jusqu’à sa mort en 1976. En 1944, l’architecte Wallace K. Harrison propose à Calder de créer des œuvres en ciment reprenant les codes du Style International, commande à laquelle l’artiste répond par des mobiles en plâtre moulés dans le bronze prévus pour être monumentaux. Inspirées par un serpent, une étoile de mer ou des danseurs, leurs formes courbes et organiques s’opposent alors à l’esprit épuré et géométrique du Style International attendu par son commanditaire, preuves éminentes de la fidélité de Calder à son propre instinct. Encore aujourd’hui, face à l’impossibilité de reproduire la subjectivité de son processus, la Fondation Calder se refuse d’ailleurs à achever ses nombreux projets non réalisés.

Une œuvre à la portée universelle

 

Comme le dit Sandy Rower, président de la Fondation Calder et petit-fils de l’artiste : “Calder a cherché à présenter un état émotionnel collectif à travers l’œuvre d’art.” Tout au long de sa brillante carrière, Alexander Calder fut animé par l’ambition de toucher par ses œuvres le plus grand monde possible. En attestent l’universalité des formes dont l’artiste s’inspire – le corps en mouvement, le végétal, l’animal – ainsi que ses nombreux déplacements à l’étranger. Entre 1954 et 1955, par exemple, il se rend plusieurs fois au Moyen-Orient : à Beyrouth, il imagine un mobile pour le bureau de la compagnie aérienne Middle East Airlines, puis en Inde, il réalise plusieurs œuvres pour la famille Sarabhai, notoire dans le monde des d'affaires.

 

En relatant la singularité et les dessous de chaque œuvre présentée, l’exposition Calder Stories montre toute l’étendue d’un travail passionnant dont la richesse ne cesse de donner lieu à de nouvelles relectures.

 

La “mondialité” de Calder, que souligne Hans Ulrich Obrist, s’illustre dans des projets plus surprenants. Au Centro Botín trône ainsi la voiture que l’artiste a réalisée en 1975 pour la luxueuse firme automobile allemande BMW. Loin de la monochromie des carosseries traditionnelles, la Art Car de Calder est habillée de jaune, de rouge, de bleu et de blanc : le code couleur préféré de l’artiste américain. Un coffre pourvu d’ailerons souligne également sa ligne aérodynamique. Si cette collaboration devait être unique et exceptionnelle, le modèle imaginé par Calder connut un tel succès qu’il incita BMW à commander régulièrement des créations automobiles à de nombreux artistes tels qu’Andy Warhol, David Hockney, Jeff Koons ou Olafur Eliasson.

 

Tout au long de sa brillante carrière, Alexander Calder fut animé par l’ambition de toucher le plus grand monde possible.

 

En relatant la singularité et les dessous de chaque œuvre qu’elle présente, l’exposition Calder Stories montre toute l’étendue d’une œuvre passionnante dont l'ampleur ne cesse de donner lieu à de nouvelles relectures. Un pari réussi pour le Centro Botín, rejoignant ici la mission de Calder : enrichir le monde d’un art aussi intemporel qu'universel.

 

L’exposition Calder Stories est à voir jusqu’au 3 novembre au Centro Botín, Santander (Espagne).

Alexander Calder, “Art Car. BMW 3.0 CSL” (1975) © Belén de Benito