Les nouveaux talents de l’art envahissent un garage désaffecté sur l’initiative du duo Hatch
Fondée par Giovanna Traversa et Margot de Rochebouët, la plateforme curatoriale Hatch présente jusqu’au 22 juillet sa deuxième exposition à Paris, intitulée “Garage Band”. Pour l’occasion, les deux curatrices investissent un garage abandonné dans le quartier de la Goutte d’or à Paris, où onze artistes internationaux – parmi lesquels Romain Vicari, Maria Appleton, Jan Melka ou encore Léo Fourdrinier – ont été invités à réaliser puis accrocher de nouvelles œuvres tenant compte de l’histoire et des contraintes de l’espace. Un projet audacieux pour le duo, qui ambitionne d’exposer la création artistique contemporaine dans des lieux originaux, loin des white cubes, et à terme de créer un espace en ligne consacrée à la scène émergente internationale.
Par Matthieu Jacquet.
Présenter une exposition d’art contemporain dans un garage abandonné : tel est l’objectif audacieux que s’est donné le duo Hatch en ce début d’été. Sur l’une des étroites rues du quartier de la Goutte d’or, dans le nord-est de Paris, on aurait du mal à soupçonner qu’une discrète enseigne rouge portant l’inscription “Carrosserie du centre” et son portail en métal cachent actuellement un projet collectif réunissant, jusqu’au 22 juillet, onze artistes – dont un duo – dans l’ancienne propriété d’un concessionnaire automobile. C’est pourtant ce que l’on découvre une fois traversée la cour ouverte du lieu, pour pénétrer un espace légèrement délabré où les stigmates du passé sont savamment exploités et mis en avant par les œuvres présentées. Très naturellement, des pneus et toiles colorées à la peinture de carrosserie par Arthur Hoffmann se marient avec les murs en béton couverts de graffitis – témoins de la vie transitoire d’un lieu occupé ensuite clandestinement –, une cabane couverte de dessins de la peintre Jan Melka se dévoile à l’intérieur de la cabine à fenêtres sur la gauche, sans doute réservée au guichet du garage auparavant, tandis que des tentures textiles translucides de Maria Appleton, ponctuées de vieilles affiches de voitures déchirées, dessinent dans ce décor décati une nouvelle cartographie visuelle qui le dévoile couche par couche, à la manière des rideaux d’une scène de théâtre. Comme l’annonce le texte d’entrée de l’exposition intitulée “Garage Band”, on découvre ici une “famille d’artistes construite sur un tas de ruines”, soit un lieu apportant un véritable défi aux artistes et curateurs, tout en offrant la source d’inspiration inédite d’une exposition interrogeant la création à fort de matériaux et techniques néo-industriels et de formes qui déploient dans l’espace une certaine “archéologie du futur”.
Fondé il y a quelques mois par Giovanna Traversa et Margot de Rochebouët, Hatch – du verbe anglais qui signifie “éclore” – se présente comme une plateforme curatoriale dédiée à la promotion de la scène artistique émergente internationale, cherchant des modalités d’exposition et de vente alternatifs de ses productions dans un domaine déjà saturé. En mars, le duo présentait dans un petit espace du deuxième arrondissement une première exposition regroupant de jeunes artistes, pour la plupart fraîchement diplômés de leurs écoles. Un aperçu d’une ligne consacrée à la création émergente qui souhaite sortir des clous des white cubes et autres standards d’exposition, et prévoit aussi à terme d’inaugurer en ligne un espace d’exposition et de vente œuvres des artistes dont Hatch souhaite défendre le travail, tout en proposant également d’organiser pour les intéressés des visites de leurs ateliers. Dans ce garage du 18e arrondissement, le second projet curaté par les deux jeunes femmes prend une autre ampleur : pendant plusieurs semaines, des artistes déjà plus établis et aguerris par une grande diversité d’expositions ont été invités à s’emparer de l’espace désaffecté pour y accrocher des œuvres conçues pour l’occasion voire y réaliser des installations in situ, tenant toujours compte des contraintes, de l’histoire et de l’usage d’origine de l’espace, encore très saillants dans sa structure même. Entre la structure en mezzanine en fond de salle, ayant un temps accueilli les employés du garage et leur matériel, les murs en briques et béton brut maculés de peinture de carrosserie, les marquages au sol, tuyaux, encadrements de néons désormais retirés et percés de lumières dans un toit vétuste, le lieu est restitué le plus conformément possible à l’état dans lequel les curatrices l’ont trouvé. D’importants travaux ont été toutefois nécessaires pour pouvoir accueillir pendant un mois et demi une telle exposition d’art contemporain, de l’acheminement en eau et en électricité au repérage minutieux des fissures à colmater pour éviter l’écoulement d’eau et protéger les œuvres des intempéries.
À l’instar de la première exposition de Hatch, “Garage Band” témoigne de la volonté des ses fondatrices de défendre la transversalité des médiums. Ainsi, si les cimaises en fond de salle permettent d’accueillir les photographies du Colombien Felipe Romero Beltrán, portraits intimes d’une jeunesse immigrée marocaine en transit dans un refuge en attendant l’officialisation de son statut juridique, elles offrent aussi l’opportunité de découvrir une sculpture en plâtre du plasticien Léo Fourdrinier, où des fleurs peintes en bleu azur s’érigent sur la base de deux visages antiques, autant que ses trois coques noires traversées de chaînes, évoquant aussi bien des casques que de moto, des éléments de carrosserie ou des masques africains. Les œuvres regroupées ici le confirment : les éléments industriels deviennent, entre les mains de ces artistes pour la plupart âgés entre 20 à 40 ans, les outils d’écriture de nouvelles formes. Connu pour ses installations hybrides mêlant éléments de chantier et autres objets pour créer un “art de la ruine”, Romain Vicari est l’un des points d’ancrage de cette exposition : sa pratique s’y intègre d’ailleurs avec panache avec une installation d’ampleur déployée au sein d’une cavité rectangulaire dans le sol du garage – qui, au préalable, servait probablement aux mécaniciens à réparer le bas des véhicule surélévés. Dans ce gouffre vide, l’artiste a fait naître un étrange totem hybride enroulé dans une guirlande lumineuse et bordé de bougies, hommage à des traditions afro-brésiliennes qui mêle ici matériaux de récupération et éléments domestiques. Comme l’atteste cette pièce, autant que le battle de danse orchestré par Nicolas Faubert et Gabriel Moraes Aquino sur une piste circulaire noire au centre de l’espace d’exposition le soir du vernissage, la ruine de ce garage n’est pas seulement le témoin d’un effondrement de l’époque et de l’esthétique industrielles : elle permet également l’émergence de nouvelles énergies voire d’un mysticisme inédit, expressions vivaces des questionnements qui animent la génération d’artistes d’aujourd’hui et de demain.