27 juin 2022

Les 6 nouvelles adresses d’art contemporain à découvrir au cœur de Paris

Après la longue léthargie imposée par le Covid-19, les signaux sont de en plus en plus clairs : Paris redevient une place forte de l’art contemporain à l’échelle mondiale, favorisée notamment par le Brexit et l’activité foisonnante de ses institutions, maisons de vente et nombreuses galeries d’art. Émergentes il y a une dizaine d’années, plusieurs de ces galeries nées dans la capitale française comme Balice Hertling, Sultana ou Derouillon ont récemment signifié leur croissance par l’ouverture de plus grands espaces en plein cœur de la ville. D’autres fondées à l’étranger, comme Andréhn-Schiptjenko, Stems Gallery et Dvir Gallery ont également saisi l’opportunité fournie par l’activité artistique de la capitale pour s’y implanter ces derniers mois, là aussi dans le Marais – qui concentre aujourd’hui la majorité des galeries d’art contemporain. Visite guidée de six nouveaux espaces phares pour s’imprégner de la scène artistique actuelle.

1. Balice Hertling : un espace d’exposition et un project-space au cœur du Marais


 

Lorsque Daniele Balice et Alexander Hertling fondent leur galerie en 2007, ce sont les hauteurs de Belleville qu’ils choisissent pour installer leur premier espace. La galerie pointue, qui représente des artistes tels que Simone Fattal, Morgan Courtois, Xinyi Cheng et Owen Fu, est l’une des premières à poser ses valises dans ce quartier de l’est parisien, décentralisant ainsi le parcours des galeries d’art au sein de Paris. Dix ans plus tard, en 2017, Balice Hertling se développe en ouvrant un second espace rue Saint-Martin, qui accueillera rapidement le noyau dur de son activité grâce à sa salle vaste et élégante jalonnée de fines colonnes, et sa localisation centrale à quelques pas du Centre Pompidou, qui lui permet d’organiser des expositions plus riches. Mais l’espace en rez-de-chaussée commence à devenir restreint pour des projets plus ambitieux. En octobre 2021, la galerie accède à un autre local non loin de la rue Saint-Martin, dans la plus confidentielle rue des Gravilliers, qu’elle décide d’ouvrir temporairement au public dans son état le plus brut avant d’entreprendre des travaux de plusieurs mois. Avant qu’ils ne commencent, la jeune artiste américaine Ser Serpas est donc invitée à s’emparer des lieux. Elle décide d’y présenter une sélection d’objets trouvés dans les rues : fragment d’escalier en colimaçon retourné pour former une sculpture verticale, poteaux de rue en fonte encore accrochés à leur base en ciment, ou encore baignoire posée à l’angle des murs décatis du sous-sol composent un parcours étonnant dans ce lieu en chantier, qui dénote avec son environnement cossu. En attendant l’ouverture de ce nouvel espace, la galerie a aussi présenté rue Saint-Martin, toujours avec Ser Serpas, des fragments récupérés du chantier de la rue des Gravilliers — étagères, cloisons et autres structures extraites de ses murs. Entre décembre et janvier, elle a même réinvesti son adresse historique de Belleville avec une exposition personnelle du peintre et écrivain iranien Shabahang Tayyari. Désormais, Balice Hertling a définitivement quitté la rue Saint-Martin et ouvert le 84 rue des Gravilliers, le 7 mai 2022, avec une exposition de Camille Blatrix, profitant cette fois-ci d’un rez-de-chaussée et d’une surface quasi égale au sous-sol pour présenter des expositions deux fois plus grandes, voire deux expositions simultanées. Un autre espace, rue de Montmorency, est également investi par la galerie, afin d’accueillir des projets in situ spécifiques ou de présenter des œuvres aux collectionneurs dans un cadre plus privé.

 

 

Balice Hertling, 84 rue des Gravilliers, Paris 3e. Exposition “Sueños” de Mercedes Llanos jusqu’au 22 juillet 2022.

Vue de l’exposition “Organismo Multi Orgásmico” de Pia Camil à la galerie Sultana (2022).

2. Sultana : retour dans le centre parisien pour la galerie bellevilloise

 

 

C’est une histoire très révélatrice des mouvements de la cartographie de l’art parisienne. En 2010, Guillaume Sultana inaugure sa galerie, rue des Arquebusiers dans le Marais, dans un petit espace, non loin des géantes du secteur Perrotin et Almine Rech. Il finira par le quitter en 2014 pour un nouvelle adresse à Belleville, attiré par le moindre coût du loyer et le foisonnement croissant du quartier, qui accueille alors des galeries telles que Crèvecœur, Antoine Levi ou encore Jocelyn Wolff. L’espace tout en longueur de Sultana, situé au début de la rue Ramponeau, à l’angle du boulevard de Belleville, dispose d’une grande baie vitrée qui offre au galeriste une belle visibilité dans le vingtième arrondissement, tout en lui permettant d’investir davantage dans sa visibilité internationale, notamment par sa participation à des foires telles que l’Armory Show à New York ou Frieze à Londres. Mais avec 17 artistes aujourd’hui, parmi lesquels le photographe Walter Pfeiffer, le performeur et vidéaste Paul Maheke, ou encore les étoiles montantes de la peinture figurative Jean Claracq, Sophie Varin et Matthias Garcia, Guillaume Sultana finit par se sentir à l’étroit dans ce local de plain-pied qui lui laisse peu de place pour stocker les œuvres. À l’été 2021, il se dote alors d’une adresse à Arles, dans un appartement situé au premier étage d’un immeuble historique de la ville, dans lequel le galeriste proposera une programmation flexible et hybride, complémentaire à celle de son espace parisien. Puis, en décembre, le galeriste originaire du sud de la France découvre la perle rare : un espace de 240 m2 rue Beaubourg, là aussi à quelques pas du Centre Pompidou, qui présente un double avantage. Il est composé d’un rez-de-chaussée bénéficiant de 4 mètres de hauteur sous plafond, idéal pour des expositions temporaires, complété d’un sous-sol dévolu à un showroom et à une réserve, bien plus vaste que sa précédente. Le galeriste, qui a longtemps fait cavalier seul avant d’agrandir son équipe, cherche également à donner à l’espace un caractère domestique l’écartant des white cubes habituels : parquet brun au sol, longues rampes de LED chaleureux pour éclairer la salle, cloisons en BA13 qui structurent l’espace et lui offrent un aspect modulable, ménageant aussi un espace plus intime, propice à la présentation de petites œuvres ou de vidéos, le tout réalisé avec l’agence Architecture + Associés. Pour l’ouverture au public de sa nouvelle adresse le 24 juin, la galerie dévoilait la nouvelle exposition de l’artiste mexicaine Pia Camil, dont l’œuvre sculpturale et picturale utilise le textile et le papier pour parler aussi bien de surconsommation, de parure du corps que d’intimité la plus crue et de sexualité.

 

 

Galerie Sultana, 75 rue Beaubourg, Paris 3e. Exposition “Organismo Multi Orgásmico” de Pia Camil, jusqu’au 10 septembre 2022.

3. Derouillon : un puits de lumière pour la peinture contemporaine

 

 

C’est sous une grande verrière sise à quelques minutes du quartier des Halles que la galerie Derouillon inaugurait son nouvel espace en janvier 2021. Au fond de la cour, le bâtiment au toit triangulaire tout en baies vitrées permet de découvrir les œuvres accrochées dans sa salle principale, baignées par la lumière naturelle : depuis six mois, on a pu y apprécier les hommes peints par Alex Foxton, expression d’une nouvelle masculinité reprenant les canons guerriers pour mieux les détourner, les immenses toiles du peintre tchèque Vojtech Kovarik, déclinant sur grands formats des figures mythiques dont les formes massives et les couleurs s’inspirent aussi bien de Fernand Léger et d’Henri Matisse que des images de propagande soviétique, ou encore les peintures des Cariatides d’Anastasia Bay, dont les corps difformes tout en verticalité évoquent des colonnes semblables aux fondations de temples imaginaires. Inaugurée il y a neuf ans rue Notre-Dame-de-Nazareth, dans le nord du Marais dans un espace ayant pignon sur rue, la galerie fondée par Benjamin Derouillon a considérablement agrandi sa surface en s’installant dans cet ancien showroom du label japonais Yohji Yamamoto, disposant de plus de 300 m2 de superficie totale. Si la grande hauteur sous plafond et la luminosité de la salle d’exposition principale sont propices à l’exposition de peintures monumentales d’artistes émergents (dont le galeriste parisien se fait le fervent ambassadeur depuis ses débuts), le bâtiment bénéficie aussi d’un sous-sol où la galerie peut prolonger ses expositions : moquette bleue au sol, canapé rose poudré en courbe, portes en métal miroitant, toilettes intégralement carrelées en noir et blanc et même réserves d’œuvres ponctuellement ouvertes par la galerie installent une ambiance plus intime aux airs de salon privé, dans laquelle les collectionneurs pourront aisément se projeter. Depuis le 23 juin, Derouillon accueille une nouvelle exposition personnelle d’Alexandre-Benjamin Navet (l’un de ses artistes phares), dont les peintures et sculptures graphiques aux couleurs vives restituent – sur grands et petits formats – le décor d’un jardin édénique florissant au printemps. Parallèlement, la galerie conserve son espace historique pour y réaliser des projets plus spécifiques et le prêter à des artistes comme lieu de production, ainsi que son salon privé dans un hôtel particulier de l’est du Marais, accessible sur rendez-vous uniquement.

 

 

Galerie Derouillon, 13 rue de Turbigo, Paris 2e. Exposition “Jardins” d’Alexandre-Benjamin Navet, jusqu’au 30 juillet 2022.

Vue de l’exposition “Organismo Multi Orgásmico” de Pia Camil à la galerie Sultana (2022).

4. Andrehn-Schiptjenko : la Suédoise aussi discrète qu’influente

 

 

Fondée en 1991 à Stockholm, la galerie Andréhn-Schiptjenko est une référence en Suède, où elle défend depuis plus de trente ans le travail d’artistes contemporains scandinaves mais aussi issus d’autres régions du monde. Si sa présence dans les foires telles qu’Art Basel et la FIAC a affirmé sa visibilité internationale au fil des dernières années, l’ouverture de son adresse parisienne en 2019 est passée plus inaperçue, perturbée notamment par l’arrivée de la pandémie quelques mois plus tard. Cet espace des expositions marquantes. On se souvient notamment de celle de Tony Matelli qui, à la sortie du premier confinement, avait fait pousser des fausses fleurs entre les murs et le sol de la galerie comme pour évoquer la nature reprenant ses droits, mais aussi de l’exposition des sculptures organiques de la jeune plasticienne allemande Dana Fiona-Armour, ou encore, très récemment, des photographies sensibles de l’Américain Santiago Mostyn, explorant la mémoire collective à travers la rencontre d’images d’archives et de clichés contemporains. Ce 29 juin, la structure fondée par Ciléne Andréhn et Marina Schiptjenko inaugurait rue Chapon un espace de 165 m2, soit plus de trois fois la superficie de sa précédente adresse qui limitait fortement l’accrochage d’œuvres de grande taille. Les nouveaux locaux d’Andréhn-Schiptjenko, situés en fond de cour, offrent trois salles d’exposition : une vaste entrée qui s’ouvre sur un second espace baigné de lumière grâce à un plafond en carreaux de verre, et une troisième grande pièce au fond de la galerie. En écho à l’idée de déménagement, la galerie dévoile cet espace inédit avec un accrochage baptisé “Moving”, dédié à l’idée de mouvement mais aussi de migration d’un lieu vers un autre. On y retrouve les œuvres de sept artistes, la plupart représentés par la galerie depuis des années : un coucou au mécanisme apparent revisité par l’artiste français Xavier Veilhan, dialoguant avec plusieurs de ses dessins abstraits, des peintures à l’huile de Mark Frygell, scènes ultra-colorées réalisées à partir d’images générées par l’intelligence artificielle, une sculpture traversable de José Léon Cerillo, dessinant dans l’espace des lignes vertes, orange, roses ou violettes, ou encore neuf toiles de la jeune peintre géorgienne Nino Kapanadze, encore étudiante aux Beaux-Arts de Paris, qui représente sur des formats très réduits des scènes étranges dans des intérieurs de véhicules peuplés de personnages anonymes.

 

 

Andréhn-Schiptjenko, 56 rue Chapon, Paris 3e. Exposition collective inaugurale “Moving” jusqu’au 30 juillet 2022.

Vue de l’exposition “Summer Lovin’” à la Stems Gallery (2022).

5. Stems Gallery : la galerie bruxelloise étend à Paris sa promotion des figures émergentes

 

 

La naissance de la Stems Gallery vient avant tout d’une histoire de famille. Pascaline et Guillaume Smets, membres d’une fratrie d’origine luxembourgeoise, partagent avec leurs parents un goût prononcé pour l’expression créative : leur mère a en effet fondé le groupe de grands magasins haut de gamme Smets, implantés en Belgique et au Luxembourg, proposant des articles de prêt-à-porter et de luxe sélectionnés chez plusieurs centaines de labels et maisons de référence. Si Pascaline est depuis des années acheteuse et directrice artistique du groupe familial, Guillaume a quant à lui développé une expérience dans le marché de l’art, notamment au sein de la galerie Perrotin et de la maison de vente Artcurial à Paris. Mais en 2015, le frère et la sœur se rejoignent autour d’un projet commun : ouvrir une galerie à Bruxelles pour défendre des figures émergentes de l’art contemporain issues du monde entier – de la peintre et sculptrice américaine Allison Zuckerman à la photographe et vidéaste française MarieVic – que le duo ambitionne de faire découvrir au public et aux collectionneurs européens. La Stems Gallery voit alors le jour dans le quartier de Louise à Bruxelles, réputé depuis plusieurs décennies pour sa forte concentration de galeries, avant de se déplacer en 2020 dans un bien plus vaste espace à quelques rues de l’original, au rez-de-chaussée d’un bâtiment historique anciennement occupé par les laboratoires Solvay. Face à l’enthousiasme des visiteurs et acheteurs français passant par la capitale belge, et suite à leur participation remarquée à la dernière édition de la foire Art Paris (avec un solo show du peintre américain Tony Toscani, que la galerie présente en ce moment à Bruxelles), Pascaline et Guillaume Smets se décident à ouvrir une seconde adresse au cœur du Marais. Inauguré avec une exposition personnelle du jeune plasticien Pharaoh Kakudji, dont les portraits et autoportraits mobilisent aussi bien la peinture que la sculpture, le textile ou encore la photographie, l’espace parisien de la Stems Gallery, rue Pastourelle – installée dans l’ancien hôtel particulier du financier de Louis XIV, devenu plus tard propriété du président Félix Faure – accueille actuellement une exposition collective curatée par deux commissaires invités. Complémentaire à sa programmation bruxelloise, l’exposition permet à la galerie de présenter 21 artistes émergents hors de sa liste habituelle, dont les œuvres principalement picturales évoquent l’atmosphère estivale diurne ou nocturne, théâtre récurrent d’imaginaires foisonnants.

 

 

Stems Gallery, 11 Rue Pastourelle, Paris 3e. Exposition collective “Summer lovin’” jusqu’au 9 juillet 2022.

Vue de l’exposition “Croque-morts” à la Dvir Gallery (2022). ©Margot Montigny

6. Dvir Gallery : de Tel-Aviv à Paris, une épopée sur quarante années et trois métropoles

 

 

Lawrence Weiner, Douglas Gordon, Mircea Cantor, Thomas Hirschhorn ou encore Latifa Echakhch : la liste d’artistes  représentés par la Dvir Gallery a de quoi impressionner, tant elle compte de figures ayant marqué l’art contemporain depuis la fin du 20e siècle. Lors de sa création en 1982 à Tel-Aviv, son fondateur Dvir Intrator avait un objectif plus humble et local : valoriser la scène artistique israélienne au sein même du pays. Forte du regard affûté du galeriste, la Dvir Gallery a pu rapidement s’ouvrir à des artistes reconnus à l’international et à d’autres dont elle a assuré la promotion au Proche-Orient. Ce n’était qu’une question d’années avant que la ligne de la galerie séduise en Occident, au point d’inciter son fondateur à ouvrir une seconde adresse à Bruxelles en 2016. Après cette première implantation en Europe, la galerie inaugurait un troisième espace à Paris en avril 2022, année de ses quarante ans d’existence, confirmant une fois de plus le rôle de la capitale française comme carrefour mondial de l’art contemporain. Située dans la discrète rue des Arquebusiers à l’est du Marais, son antenne parisienne propose trois espaces d’exposition ouverts les uns sur les autres, qui lui permet de présenter actuellement une exposition collective réunissant dix de ses artistes (parmi la trentaine qu’elle représente). Son point d’ancrage ? La série Croque-Morts de Douglas Gordon réalisée en 2000, photographies en gros plan de bouches de nourrisson mordant leurs mains ou leurs pieds. Sans voir les yeux ni les visages des modèles, la série confronte le spectateur à une représentation crue du corps humain, entre tendresse et douleur, à laquelle répondent, entre autres, une chaise de massage lumineuse de Barak Ravitz, une carte du monde déchirée dans un tapis de feutre de Jonathan Monk – qui n’est pas sans rappeler les Felt Pieces de son aîné Robert Morris –, ou encore la surface d’un tambour couverte de baguettes en verre de Naama Tsabar. Autant d’œuvres qui tissent des liens poétiques entre l’imagerie médicale aseptisée, évoquant parfois l’ambiance morbide d’une morgue, et la sensorialité du corps et de la peau.

 

 

Dvir Gallery, 13 rue des Arquebusiers, Paris 3e. Exposition collective “Croque-morts” jusqu’au 16 juillet 2022.