Le portrait adjugé à 76 millions d’euros est-il bien un Botticelli ?
Adjugé à 92,2 millions de dollars ce jeudi 28 janvier 2021 par la maison de ventes aux enchères Sotheby’s New York, le « Portrait de jeune homme tenant un médaillon » attribué à Sandro Botticelli marque un nouveau record pour une œuvre du maître florentin. Mais même après cette vente colossale, sa véritable filiation divise encore les experts et historiens de l’art…
Par Jordane de Faÿ.
Le monde est en crise mais le marché de l’art n’a pas dit son dernier mot. Si l’ambiance des salles de vente aux enchères où l’annonce des prix grimpants fait monter le silence à chaque minute n’est plus d’actualité avec le contexte sanitaire, l’offre des grandes ventes d’art n’a pas pour autant perdu de sa superbe depuis qu’elle investit le support virtuel. Après avoir vendu en juin dernier un triptyque de Francis Bacon pour 84,6 millions d’euros, la maison Sotheby’s New York a été à nouveau le théâtre virtuel d’un succès ce jeudi 28 janvier. Ajudgé en ligne à 92,2 millions de dollars – 76 millions d’euros – à un acheteur resté anonyme, le Portrait de jeune homme tenant un médaillon attribué à Sandro Botticelli signe un nouveau record pour une oeuvre du maître florentin. La vente bat en effet de près de huit fois celle de sa Madone et l’Enfant avec le jeune Saint-Jean Baptiste, remportée par un acheteur anonyme pour 8,57 millions d’euros en 2013.
Mais malgré le succès et la qualité artistique certaine du tableau, son attribution à son célèbre auteur fait douter. L’œuvre dépeint un éphèbe tenant entre ses deux mains un médaillon, peint un siècle plus tôt et qui serait signé par le Siennois Bartolomeo Bulgarini – deux attributions qui divisent encore les experts et historiens de l’art. Acquis par l’investisseur immobilier Sheldon Solow chez Christie’s en 1982 pour la (modeste) somme de 1,3 millions dollars et depuis prêté à plusieurs reprises à de grands musées dans le monde, le portrait du jeune homme n’a été en effet qu’officiellement attribué à Botticelli en 2009 par le Städel Museum de Francfort, mais les critères de cette affiliation restent peu connus. L’historien d’art italien Roberto Longhi, dont l’avis est partagé par le musée Getty, voit notamment dans le portrait du jeune homme une oeuvre du florentin Francesco Botticini.
Dans le catalogue dédié entièrement à l’oeuvre et publié par Sotheby’s, les experts de la maison ne laissent pas planer l’ombre d’un doute quant à l’attribution correcte du tableau. Afin d’étayer leur point de vue, ils en publient même une radiographie sous laquelle on découvre le visage d’un homme bien plus âgé au visage sévère, au nez et à la mâchoire nettement définis : un portrait masculin bien plus en accord avec le reste de l’œuvre de Botticelli. Comme l‘explique Le Monde, s‘appuyant sur les propos d‘un collectionneur et fin connaisseur de la Renaissance préférant garder l’anonymat, la possibilité que le tableau ait été réellement peint par Botticelli avant d’être recouvert, plus tard, par un autre peintre n’est donc pas à exclure. L’œuvre est en effet si bien restaurée qu’il est aujourd’hui difficile de savoir quelles touches de pinceau datent bien du Quattrocento.
Devant ces incertitudes, 76 millions d’euros peut alors paraître cher payé pour une oeuvre à l’attribution encore incertaine, mais il ne fait aucun doute que le succès remporté par la vente n’est pas qu’économique. Il aussi à vocation culturelle et même scientifique, puisque le produit de la vente sera, d’après le New York Times, voué à financier le musée privé new-yorkais de Sheldon Solow dans lequel sont conservées les collections de ce féru d’art moderne, décédé l’année dernière.