14 fév 2022

Le photographe Hugo Comte écrit un nouveau Testament flamboyant à la galerie Hussenot

À la galerie Hussenot à Paris, le photographe Hugo Comte s’impose en créateur d’images mythologiques saisissantes où s’entrechoquent les références, les époques et les cultures. Ses nouvelles créations, réalisées avec le styliste Ibrahim Kamara, offrent une réinterprétation ultra-contemporaine de nos mythologies (des dieux de l’Antiquité aux chevaliers du Moyen Âge) à l’heure de Black Lives Matter. Célébré jusqu’ici pour ses clichés de mode et de musiciennes comme Dua Lipa, Hugo Comte se dévoile en artiste passionnant.

The Knight, Hugo Comte, à la galerie Hussenot à Paris.

Paré de son armure et de sa cotte de maille, un chevalier plante en conquérant sa lame dans un sol cendré. L’impressionnante photographie, réalisée par Hugo Comte pour sa première exposition parisienne à la galerie Hussenot, exprime à elle seule l’ambition plastique et politique de l’artiste. Le cadre, extrêmement maîtrisé, enserre le corps pour mieux imposer sa présence. Les dorures et le métal resplendissent, métamorphosant le combattant en une icône auréolée. À la manière d’un peintre, Hugo Comte travaille la lumière, la matière et la couleur par touches. Chaque touche, chaque détail, devient objet indépendant de fascination. De plus près, la genouillère revêt l’aspect d’un bracelet antique. La cubitière protégeant le coude évoque une sculpture organique dont le métal martelé ressemble à s’y méprendre à une peau musclée. Cette maestria de la composition (ses plans cinématographiques, ses fonds et ses ciels magnifiés par une picturalité empruntée aux maîtres de la peinture) n’est pas vaine : le ravissement qu’elle suscite avec ses couleurs et ses détails éclatants vise à captiver le public pour mieux l’éduquer, à la manière de la peinture d’église du Moyen Âge. C’est-à-dire, aussi, à élever sa conscience. Délaissant les récits canoniques, le photographe assoie un nouveau “Testament” (titre évocateur de son exposition) très personnel, nourri d’une pensée éveillée aux enjeux contemporains. 

The Myths, Hugo Comte, à la galerie Hussenot à Paris.

Car son chevalier est une femme. Et cette femme est noire. Sur une autre photographie (toutes sont évidemment au format majestueux de la peinture d’histoire), les déesses et dieux drapés de blanc y sont également noirs. Jésus lui-même apparaît ailleurs en femme noire. Les fictions d’Hugo Comte pallient une Histoire défaillante, imaginant des univers parallèles ou multivers où les femmes et l’hommes noirs seraient les héros de nos mythologies communes. Cette part de l’exposition, réinventant l’iconographie et les mythes occidentaux à l’ère de Black Lives Matter, emprunte un procédé narratif bien connu des fans de séries et de comics : le “What if… ?” ou “Que se serait-il passé si… ?” Récemment, Marvel proposait ainsi un épisode sur Disney + où Captain America n’était plus incarné par un homme mais par une femme qui avait pris, avant lui, le sérum l’ayant transformée en super-héros. L’exercice scénaristique n’est pas uniquement une béquille créative permettant de surprendre à peu de frais le public et de renouveler facilement les enjeux narratifs d’un univers trop connu. Il constitue désormais un enjeu politique permettant de repenser les mythologies de la pop culture issues d’une époque où le féminisme et la diversité n’avaient pas droit de cité.

Ceremony, Hugo Comte.

L’intérêt de ces changements de paradigme est double : il bouleverse non seulement un système de représentation tenu pour acquis (Jésus en homme blanc), mais questionne également tout l’univers narratif qui en est issu : l’histoire telle qu’elle nous a été enseignée est une fiction qui pourrait être lue autrement, ou aurait pu être tout autre. “Ce qui m’intéresse n’est pas seulement le cliché photographique, nous expliquait Hugo Comte avant le vernissage de son exposition, mais la situation réelle créée sur le plateau : faire exister, en chair et en os, une femme noire portant une armure de chevalier occidental, ou donner corps à un Jésus féminin et noir. Cette réalité alternative n’est pas que photographique, elle a existé au moment un moment dans l’Histoire, sur notre set.” Cette croyance viscérale en la puissance de la fiction et de l’image n’est pas pour rien dans la force de l’exposition. 

Eternal State, Hugo Comte.

Sur l’une de ses photographies, des guerrières africaines portent aussi bien des tenues traditionnelles que des vêtements contemporains. Un Christ en croix évoque autant un artwork du groupe d’électro Justice qu’un Caravage. Un personnage noir à la coiffe iroquoise fait face à un punk dont la crête s’inspire de sa chevelure. L’image pose sans détour la question de l’appropriation culturelle. Leur regard se croise, sans jamais pouvoir définir leur attitude : défiance, provocation, animosité… L’ensemble des œuvres jouent de cette indétermination des personnages et du monde représentés pour exprimer toute la complexité de celui-ci. Le nouveau “Testament” d’Hugo Comte ne contient ni credo ni vérité, mais une ode à la perplexité et à la fluidité des identités, des récits et des êtres. Ses images, affranchies des contraintes de temporalité et d’espace (leur structure elle-même déjoue les perspectives classiques pour varier entre fresque antique et collage numérique – bien que l’ensemble soit photographié à l’argentique), forment des multivers syncrétiques et réconciliateurs. Sur l’une des images les plus fortes de l’exposition, Hugo Comte rassemble l’ensemble des personnages figurant dans l’exposition sur une sorte d’Olympe des mythologies. Son Jésus noir, son Jésus blanc, ses guerrières africaines et ses punks y dorment sereinement, réconciliés, dans un ciel bleu sublimé. 

 

 

« Testament » de Hugo Comte en collaboration avec Ibrahim Kamara, galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, Paris 3. Jusqu’au 26 février 2022.