Le jour où des artistes tentèrent de “polluer” la Biennale de Lyon
Le 3 septembre 1991, la première édition de la Biennale de Lyon ouvrit ses portes. Elle prit place dans trois lieux : le musée d’Art contemporain, l’ELAC et surtout la Halle Tony Garnier, un exemple d’architecture métallique récemment rénové….
Illustration par Soufiane Ababri.
Texte par Éric Troncy.
Dans ce vaste espace de 17 000 m2, l’architecte Patrick Bouchain conçut un dispositif pour offrir à chacun des 69 artistes français âgés de 26 à 86 ans, sélectionnés par Thierry Raspail et Thierry Prat, un espace personnel de 120 m2 isolé par une porte. La topologie de l’exposition ressemblait ainsi à une sorte de lotissement : deux allées rectilignes desservaient les box juxtaposés dans lesquels les artistes, échappant à l’idée d’exposition “collective”, retrouvaient le format d’exposition personnelle. Le spectateur, lui, plutôt que de cheminer librement dans un espace ouvert, devait ouvrir successivement les différentes portes, à l’image du personnage du film de science-fiction Alphaville.
Après avoir un temps accepté de participer à l’exposition, Daniel Buren finit par se rétracter. Sans doute fût-il pris à son propre jeu, lui qui à l’heure de l’exposition collective dénonçait le rôle des commissaires qui, en plaçant les œuvres de différents artistes les unes à proximité des autres, leur conféraient un sens supplémentaire.
En ce début des années 90, une nouvelle génération d’artistes appréhendant l’exposition comme forme revendiquait la bénéfique “pollution” des œuvres entre elles. Regroupés sous le nom La Vérité, Dominique Gonzalez-Foerster, Philippe Parreno, Pierre Joseph et Bernard Joisten commencèrent par supprimer les murs et portes de leurs “espaces privés” respectifs pour les ouvrir entièrement, confirmant une fois encore l’efficacité d’une position radicalement à rebours. Malheureusement, leur projet de voir leur page du catalogue imprimée sur du carton et non sur du papier (un ouvrage s’ouvrant toujours à l’endroit d’une page plus épaisse) ne fut pas réalisé.
“Quel beau titre dans son ingénuité pour témoigner d’une passion et de l’indifférence aux modèles et aux standards”, écrit Jack Lang, alors ministre de la Culture, en préambule au catalogue de l’exposition, célébrant son titre : L’Amour de l’art (et peut-être aussi son sous-titre, Une exposition de l’art contemporain en France). L’exposition dura un mois et accueillit 73 000 visiteurs (contre 273 000 visiteurs pour la 15e édition en 2019, qui s’étala pendant presque quatre mois, soit un ratio de visiteurs par jour presque identique).
Trente années après sa création, la Biennale de Lyon a ouvert ses portes au public pour une 16e édition (repoussée d’un an) le 14 septembre 2022. Intitulée “Manifesto of Fragility” et confiée à Sam Bardaouil et Till Fellrath, elle présente 200 artistes, parmi lesquels Tony Garnier, Lucas Cranach et “de nombreux artistes anonymes”, venant de 39 pays. Dans un triste charabia digne d’une école de commerce, la biennale prétend affirmer “la fragilité comme intrinsèquement liée à une forme de résistance, initiée dans le passé, en prise avec le présent et capable d’affronter l’avenir”.