5 août 2022

Le Grand Paris à ciel ouvert en 5 photographies à découvrir cet été

Entre 2016 et 2021, le ministère de la Culture a confié au Cnap et aux Ateliers Médicis une commande photographique pour couvrir les territoires du Grand Paris. Au total, 38 artistes ont été invités à participer à ce projet d’ampleur. Si leurs images et la genèse de ce travail fait l’objet jusqu’au 24 octobre d’une exposition au centre de création Les Magasins généraux à Pantin, intitulée “Regard du Grand Paris”, plusieurs de leurs séries et clichés sont également accrochés dans 39 autres lieux de Paris et sa banlieue, invitant les habitants et visiteurs d’Ile-de-France à arpenter son vaste territoire pour les découvrir. Tour d’horizon en cinq espaces à ciel ouvert de la région, où sont présentés les aperçus d’autant de projets photographiques percutants.

insérer intro

Sandra Rocha, « Sans titre », 2018. De la série « La vie immédiate », collection du Centre national des arts plastiques © Adagp, Paris, 2022 / Cnap

Au cœur des aéroports parisiens, un aperçu de l’intimité adolescente sous l’objectif de Sandra Rocha 

 

 

Au nord et au sud de Paris, dans les aéroports de Roissy-Charles de Gaulle et Orly, est accrochée la photographie d’un jeune homme en contrejour qui tourne le dos aux voyageurs en transit, debout devant une étendue d’eau. Cette image pudique est extraite du court-métrage La Vie immédiate, réalisé par la photographe Sandra Rocha, et visible aux Magasins Généraux. Actuellement à l’affiche d’une exposition au festival de photographie Les Rencontres d’Arles, l’artiste née en 1974 dans les îles portugaises des Açores réside aujourd’hui à Paris où elle puise une grande partie de son inspiration, notamment pour ce projet à travers lequel elle a suivi le quotidien de jeunes collégiens du département de Seine-et-Marne, dans leur intimité aussi difficile que complexée. Le harcèlement, le premier amour, la popularité, le racisme, les préjugés… Dans ce film de 32 minutes, l’adolescent anonyme au dos nu, apparaissant sur la photographie exposée au cœur des deux aéroports, finit par faire face aux spectateurs. Loin de la cour de récréation, et proche du cours de la Marne qui relie tous ces jeunes collégiens et collégiennes, il dévoile alors ses sentiments, à l’instar de ses camarades, comme protégé par l’œil et la caméra bienveillants de Sandra Rocha.

 

 

Sandra Rocha, La Vie immédiate (2017) à la Maison de l’Environnement de l’aéroport Paris-Orly et à la Maison de l’Environnement de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle.

Anne-Lise Seusse, « Biffins. Saint-Ouen. Reflux », 2021. De la série « Les Mouvements des objets. Biffins. Saint-Ouen », collection du Centre national des arts plastiques © Anne-Lise Seusse / Cnap

À Aubervilliers, les détritus sublimés par Anne-Lise Seusse 

 

 

À quelques pas de la Porte d’Aubervilliers au nord de Paris, La Station – Gare des Mines – lieu alternatif qui accueille concerts, soirées, performances et festivals divers – expose en un cliché grand format la présence humaine, à travers des fragments matériels de leur quotidien plutôt que leur corps. Diplômée des Beaux-Arts de Lyon, Anne-Lise Seusse s’intéresse depuis à la vie en périphérie de grands centres urbains. En 2021, elle fixe son objectif sur les rues de la ville de Saint-Ouen, où elle capture de nuit tous les encombrants et détritus qui y sont rejetés, ces objets que l’on achète puis que l’on jette, que l’on perd ou que l’on cherche, et qui finissent par recouvrir les trottoirs… Le résultat, surprenant, crée une image poétique de ces rebuts, figés dans des clichés aux tonalités roses, pourpres ou violettes. Une chaussure, un paquet de cigarettes, un CD, une pince à cheveux, une canette : sous son objectif, tous ces éléments marqués par le passage du temps viennent composer une nouvelle forme de nature morte habitée par l’histoire méconnue de ces objets dont les propriétaires anonymes ont choisi, ou non, de se séparer.

 

 

Anne-Lise Seusse, Les Mouvements des objets. Biffins. Saint-Ouen (2021) à La Station — Gare des Mines, Paris 18e.
 

Alassan Diawara, « Sans titre », 2021. De la série « Navigo », collection du Centre national des arts plastiques © Adagp, Paris, 2022 / Cnap

Alassan Diawara : l’intimité des Franciliens accrochée sur les quais du métro

 

 

Arrêt Gare de Lyon, en plein cœur de Paris. Une vague de personnes submerge chaque jour les wagons des métros, auxquels une grande partie accède à l’aide du passe Navigo, qui permet de traverser l’ensemble de la capitale française. Parmi cette foule d’anonyme, rares sont les visages que l’on retient, sauf peut-être ceux photographiés par Alassan Diawara dans une série de portraits baptisée Navigo, capturés paradoxalement loin des transports en commun de la capitale, dans l’intimité d’un salon ou sous la lumière douce d’un jardin ensoleillé. Car si tous ces Franciliens immortalisés par l’artiste possèdent cette même carte de transport et partagent quotidiennement ces véhicules publics dans l’anonymat le plus complet, c’est ici leur singularité et leur histoire que le photographe cherche à mettre en avant. On le constate notamment face à l’image de ce couple enlacé dans l’herbe, imprimée et accrochée sur le quai des lignes des métro 1 et 14 à Gare de Lyon. Dans l’attente de l’arrivée de la rame ou de l’autre côté de ses vitres, les quelques millions de Franciliens et visiteurs qui empruntent ce réseau souterrain sont ainsi invités à observer ce moment d’intimité, entre deux inconnus, dont les visages pourraient bien cette fois-ci retenir leur attention.

 

 

Alassan Diawara, Navigo (2021) à la station Gare de Lyon, sur le quai des lignes de métro 1 et 14. 

Mathias Depardon, Guillaume Perrier, « Transurbania », 2022. Collection du Centre national des arts plastiques © Adagp, Paris, 2022 / © Guillaume Perrier / Cnap

Sur le bâtiment en béton du CND, une végétation aux airs de science-fiction

 

 

Alors que la future ligne de métro 18 devrait, dès l’année 2026, relier les villes franciliennes de Nanterre, Versailles et Orly, la question du devenir des zones agricoles du Grand Paris se pose de plus en plus avec la construction de ces nouvelles infrastructures. Sous les toits de l’université de Paris-Saclay, située à Gif-sur-Yvette dans le sud-ouest de Paris – et qui concentre 15% de la recherche française –, le photographe Mathias Depardon et le journaliste Guillaume Perrier ont constitué un laboratoire végétal en étudiant les possibilités de l’émergence de plantes et d’une agriculture sur des sols pollués. Sans un gramme de terre, ces derniers ont créé tout un écosystème à partir de matériaux divers, qu’ils ont mis en scène devant l’objectif. En ressortent des clichés étonnants qui plantent un univers visuel proche de la science-fiction, à l’image de ces champignons blancs émergeant d’un curieux fond noir aux reliefs sinueux et brillants, évoquant une texture entre cuir, vinyle et PVC. Pour voir ce cliché en grand, direction Pantin au bord du canal de l’Ourcq où, sur la façade en béton du Centre National de la Danse, la végétation semble encore davantage surgir d’un futur lointain où ne subsisteraient que les témoignages matériels les plus solides de notre passage sur cette Terre.
 

 

Mathias Depardon et Guillaume Perrier, Transurbania (2022) sur la façade du Centre National de Danse, Pantin.

Marion Poussier, « On est là. Simona, Aubervilliers », 2021. De la série « On est là », Collection du Centre national des arts plastiques © Marion Poussier / Cnap

Sur les grilles du Pont Saint-Ange, Marion Poussier expose les habitants d’Aubervilliers 

 

 

Sans avoir besoin de parcourir la planète, tout un monde peut se dévoiler en restant proche de chez soi, même lorsque l’on se trouve limité à un rayon d’un kilomètre autour de son domicile pour se déplacer : lors du premier confinement de mars et avril 2020, c’est ce que des dizaines millions Français ont découvert, au même titre que la photographe Marion Poussier, qui a alors profité de ses sorties quotidiennes pour arpenter les rues de son quartier situé proche des bords du canal de Saint-Denis. À l’heure où les pays du monde entier avaient fermé leurs frontières et que chacun se retrouvait isolé, privé d’une vie sociale habituellement plus riche et nomade, l’artiste a concentré son objectif sur le quotidien de ses voisins, en photographiant des fragments de leur journée. Un après-midi entre amis, un rendez-vous amoureux… ou encore le nettoyage d’un tapis au bord du canal, dont on retrouve l’image sur les grilles du Pont Saint-Ange, surplombant les voies de la gare du Nord. En sous-texte de ce projet intitulé “On est là”, Marion Poussier met l’accent sur les présences humaines qui peuplent une zone en friche et en constante mutation : transformés et abîmés au gré des travaux commencés puis abandonnés, ses quartiers en déshérence ne doivent pas pour autant en faire oublier les habitants qui les animent.

 

 

Marion Poussier, On est là (2021) sur le Pont Saint-Ange, Paris 19e.

 

 

“Regards du Grand Paris”, exposition du 24 juin au 23 octobre 2022 aux Magasins généraux, au musée Carnavalet et dans 38 autres sites du Grand Paris.