Art

14 oct 2024

L’artiste Gaëlle Choisne remporte le prix Marcel-Duchamp 2024

Ce lundi 14 octobre, l’artiste française Gaëlle Choisne est récompensée du prix Marcel-Duchamp 2024. Son installation multimédia inédite, qui croise ses passions pour les sciences occultes, le soin et le vivant, est à découvrir jusqu’au 6 janvier au Centre Pompidou.

Gaëlle Choisne © Hugues Lawson-Body, 2024.

Gaëlle Choisne, artiste lauréate du prix Marcel-Duchamp 2024

Depuis quelques semaines, le Centre Pompidou accueille dans l’une de ses galeries un étrange îlot de terre. De ce petit chemin brun foncé ont surgi cinq monticules surmontées de sortes de coquilles en céramique. Un décor d’apparence plutôt naturelle, et pourtant : en s’approchant, on découvre à l’intérieur de ces sculptures transformées en écrans de projection, des vidéos et des récits énigmatiques empreint de mysticisme, comme confiés dans le secret d’une oreille. Tel est le cœur du nouveau projet de Gaëlle Choisne pour l’exposition des nommés du prix Marcel-Duchamp 2024, dont elle vient tout juste d’être élue lauréate – soit la 24e depuis la création du prix annuel par l’ADIAF en 2000.

Depuis près de dix ans, l’artiste française explore, à travers peinture, sculpture, collage ou encore vidéo, les liens qui unissent l’humain et le vivant. Dans ses installations composites, on croise aussi bien des coquillages que des fruits exotiques, talismans et breloques, autant d’artefacts inspirés par son intérêt pour les rituels et la mythologie créole, mais aussi pour les sciences occultes telles que l’astrologie, la cartomancie ou la numérologie – sa proposition inédite pour l’exposition du prix s’intitule d’ailleurs L’Ère du Verseau.

À la frontière entre documentaires, témoignages et fictions, ses films s’articulent souvent autour de l’histoire coloniale d’Haïti, dont sa mère est originaire, ou encore des traces laissées par l’esclavage et les systèmes d’oppression des populations afrodescendantes. “Savante et vernaculaire, son oeuvre émeut par la tension qu’elle suscite entre quotidien et extraordinaire, conscience de l’histoire et projection vers l’avenir”, commentait hier soir Xavier Rey, directeur du musée national d’Art moderne à la suite des délibérations du jury du prix Marcel-Duchamp.

Des sculptures, collages et vidéos habités par le soin, l’amour et l’hospitalité

Récompensée du prix Aware en 2021, exposée aux biennales de Lyon, de Sharjah et de Curitiba au fil des dernières années, mais aussi à la fondation Reiffers Art Initiatives aux côtés de Lorna Simpson l’an passé, l’artiste offre en effet au Centre Pompidou un nouvel exemple de la diversité de ses médiums et techniques. Outre l’îlot central et ses projections sur sculptures – dites les “Ruches” –, la trentenaire présente au fond de la pièce de grandes planches verticales en bois où elle a agrégé photos découpées, morceaux de bracelets et autres inscriptions cryptiques. On remarquera aussi, le long des murs ses Pause-clopes, “mini-autels” (selon l’artiste) aux airs de vide-poches dans lesquels la plasticienne réunit comme des offrandes des cigarettes trouvées en Chine. Une série d’œuvres que l’on a pu déjà croiser à la galerie Air de Paris, qui l’accompagne depuis des années.

Chaleureuses et telluriques, les œuvres de Gaëlle Choisne nous parlent de soin, d’amour et d’hospitalité. De leurs formes et leurs sujets émerge une certaine douceur, mais on y ressent également, sur les vidéos comme sur les collages, la mémoire de visages anonymes oubliés, qui contribuent à faire du lieu d’exposition un cocon rassurant. “En tant que femme noire, je ne crois pas avoir tout le temps des espaces dans lesquels je me sens en sécurité. Alors je me crée mes propres espaces, mes safe spaces”, confiait-elle il y a quelques mois au magazine du Centre Pompidou.

Détail de l’installation de Gaëlle Choisne pour l’exposition des nommés au prix Marcel-Duchamp 2024, Centre Pompidou, Paris. © Centre Pompidou, Bertrand Prévost.

L’exposition des artistes nommés, une réflexion sur le paysage à l’ère contemporaine

Depuis sa création par l’ADIAF – Association pour la diffusion internationale de l’art français – il y a vingt-quatre ans, le prix Marcel-Duchamp récompense chaque année un artiste contemporain français ou résidant en France dont la pratique plastique et visuelle s’ancre dans les enjeux de son époque. Parmi le prestigieux panel de lauréats, on retrouve des figures établies comme Clément CogitoreDominique Gonzalez-Foerster et Cyprien Gaillard, mais aussi Lili Reynaud-Dewar, Mimosa Echard, et Tarik Kiswanson l’an passé. Comme ses prédécesseurs, Gaëlle Choisne remporte avec cette récompense une enveloppe de 35 000 euros.

Présentée comme de coutume au Centre Pompidou, l’exposition collective des quatre finalistes – trois artistes solo et un duo – de cette année réunit des projets qui, par coïncidence, livrent tous un regard sur le paysage contemporain, dans lequel se lisent, plus ou moins discrètement, les traces laissées par notre espèce, mais aussi quelques indices présageant nos lendemains. Si la jungle et la grotte en trompe-l’œil montées et filmées par la photographe Noémie Goudal se délitent lentement devant la caméra, grâce à un habile travail de destruction du décor, les marbrures noires ou sombres peintes directement sur les murs blancs par Abdelkader Benchamma font surgir des formes plus ou moins abstraites, qui dessinent de façon presque organique une nature poétique et sans frontières. Quant au duo formé par Angela Detanico et Rafael Lain, leur espace mêlant mobiles argentés aux airs de sphères armillaires, fragments de poèmes et projections lumineuses invitent dans une étrange galaxie éclairée par des myriades de lucioles.

Les œuvres de Gaëlle Choisne sont à découvrir aux côtés de celles d’Abdelkader Benchamma, Noémie Goudal, dans l’exposition des finalistes du prix Marcel-Duchamp 2024, jusqu’au 6 janvier 2025 au Centre Pompidou, Paris 4e.

Détail de l’installation de Gaëlle Choisne pour l’exposition des nommés au prix Marcel-Duchamp 2024, Centre Pompidou, Paris. © Centre Pompidou, Bertrand Prévost.