Lao Xie Xie’s reckless provocations
Le mystérieux photographe chinois Lao Xie Xie (“Monsieur Merci” qui pourrait tout aussi bien être une femme) immortalise des moments de vie tout en sachant qu’il exècre la perfection. Évocation du désir, du plaisir et de la nourriture, l’artiste raisonne à l’envers : la photographie lui permet de façonner ce qu’il est incapable de construire mentalement.
Par Alexis Thibault.
On s’attarde forcément sur la coupe de cheveux. Courte et incertaine. D’un vert délavé qui vire au blanc sur les pointes. On découvre ensuite des sourcils atrophiés, deux bandes inégales comme gommées en leurs extrémités pour mieux révéler des yeux en amande à l’iris sombre. Puis on s’étonne devant les quatre piercings formant un carré imparfait sur l’arcade gauche. Plantés ainsi dans la chair blanche, ils accentuent l’asymétrie du visage. Le coup de grâce reste cette joue gonflée de l’intérieur par ce qui ressemble à une anguille. La femme tient le poisson inerte à la main et mime une fellation. Son regard est morose et braqué vers l’objectif.
Que dit cette photographie du travail de Lao Xie Xie ? À peu près tout. Elle évoque le rapport qu’entretient le photographe avec le corps – souvent nu – qui invite toujours à scruter les choses pourtant évidentes. Elle capture l’assurance de femmes qui n’agissent jamais contre leur volonté. Elle résume l’attrait du mystérieux artiste chinois (un homme ou une femme) pour les choses obscènes, la désacralisation du sexe et la figuration du désir… En encastrant une silhouette aux airs punk dans un fond crème aseptisé, Lao Xie Xie surprend.
Lao Xie Xie dresse un monde fait de contradictions et s’invite au cœur de l’underground chinois, là où les identités sont faconnées – entre autres – par la sexualité.
Il est bien difficile d’aborder l’œuvre d’un photographe qui ne se définit pas comme tel. Né dans un village pauvre de la province de Sichuan, au sud-ouest de la Chine, Lao Xie Xie débute en tant que vendeur de Baozi, ces petits pains farcis et cuits à la vapeur très populaire dans la gastronomie chinoise. Un jour, un ami lui offre un appareil photo. Il décide alors d’immortaliser des moments de vie tout en sachant qu’il exècre la perfection, toute image lisse et sans aspérités. C’est la naissance de Lao Xie Xie, traduction “Monsieur Merci”.
Lao Xie Xie capture un abdomen parsemé de gouttelettes de sperme ou repense l’Origine du monde dans une version moins crue, moins évidente et paradoxalement plus trash.
Étonnamment, Lao Xie Xie – dont on sait finalement très peu de choses – raisonne à l’envers : la photographie lui permet de façonner ce qu’il est incapable de construire mentalement. Il part alors en quête d’une seule et unique chose : son autosatisfaction. Face à ses travaux, on pense forcément à son homologue Lin Zhipeng (sans la composition) ou à Pixy Yijun Liao (sans la rêverie). Longtemps son compagnon a été un Olympus Zoom 105, un appareil de poche idéal pour prendre des clichés spontanés. Lorsque qu’il n’est pas satisfait, Lao Xie Xie se replie sur Photoshop et les collages.
Le photographe dissimule les poitrines de ses modèles avec des lampions écarlates ou dépose de petits dragons en plastique aux abords des sexes. Il superpose alors des clichés de la culture chinoise avec ce que l’état censure. Sans tabou pas de désir, et inversement. Lao Xie Xie dresse alors un monde fait de contradictions et s’invite au cœur de l’underground chinois, là où les identités sont faconnées – entre autres – par la sexualité. On notera aussi les multiples références à la naissance, logiquement liée à l’acte sexuel. Lao Xie Xie capture par exemple un abdomen parsemé de gouttelettes de sperme ou repense l’Origine du monde dans une version moins crue, moins évidente et paradoxalement plus trash. L’évocation suscite le désir, encore. Ailleurs, le photographe immortalise un pied dans une baignoire foulant ce qui pourrait aussi bien être du sang que des éclaboussures de thé. Équivoque ou non, l’ingestion agit comme un fil d’Ariane car, capturée ainsi, la pulsion sexuelle devient une denrée vitale, toujours associée à des lèvres qui ingèrent, sans jamais pouvoir parler.