La Villa Hegra, nouvelle institution artistique franco-saoudienne, dévoile une première expo impressionnante au Grand Palais
À l’occasion de la foire Art Paris, les artistes Ugo Schiavi et Sarah Brahim présentent au Grand Palais leurs œuvres réalisées lors d’une résidence d’un an à la Villa Hegra, au cœur du site archéologique et naturel exceptionnel d’AlUla en Arabie Saoudite. Une exposition à découvrir du 3 au 6 avril.
Propos recueillis par La rédaction.
La Villa Hegra s’invite au Grand Palais pendant Art Paris
Il n’aura fallu que quelques années pour que le site naturel et archéologique d’AlUla en Arabie Saoudite s’impose sur la carte du tourisme mondial, autant que sur celle de l’art contemporain international. C’est que la région sait jouer de ses attraits : paysages désertiques encore intacts, canyons impressionnants et surtout patrimoine archéologique exceptionnel. L’ancienne cité pré-islamique d’Hegra y abrite encore aujourd’hui plus de 110 tombes qui n’ont rien à envier au site de Petra en Jordanie. Encore fallait-il les faire connaître au monde et y développer des initiatives. C’est ce à quoi s’attelle depuis cinq ans l’agence française pour le développement d’AlUla aux côtés de la commission royale saoudienne d’AlUla. Leur nouveau projet, Villa Hegra, n’a d’autres ambitions que de devenir la Villa Médicis d’Arabie Saoudite.
“NEUMA”, une exposition d’Ugo Schiavi et Sarah Brahim
Alors que son bâtiment, commandité aux architectes du Palais de Tokyo, Lacaton & Vassal, ne verra pas le jour avant quelques années, la nouvelle institution a déjà initié une série de résidences d’artistes. Premiers invités : le sculpteur français Ugo Schiavi et l’artiste américano-saoudienne Sarah Brahim y ont développé, séparément et à quatre mains, des œuvres inspirées par le patrimoine culturelle et naturelle des lieux. L’ensemble est présenté pour la première fois au sein de la foire Art Paris, du 3 au 6 avril au Grand Palais, sous le commissariat de Wejdan Reda et d’Arnaud Morand.
L’interview d’Arnaud Morand, commissaire de l’exposition
Numéro : En quoi cette résidence d’un an à la Villa Hegra a-t-il influencé le travail de Sarah Brahim et d’Ugo Schiavi ?
Arnaud Morand : Ce temps leur a permis de mener une recherche approfondie en collaboration étroite avec les archéologues et les communautés de la région d’AlUla. Leur travail présenté au Grand Palais trouve ainsi son origine dans les pratiques rituelles des tribus préislamiques de ce territoire. Il a également été conçu comme un hommage aux personnes qui habitent toujours en ces lieux. Il s’appuie sur des recherches méticuleuses menées avec l’aide d’archéologues et d’épigraphistes (spécialistes des inscriptions anciennes) dans des sites patrimoniaux tels que Jabal Ikmah et Dadan.
En quoi consiste le projet de la Villa Hegra et quel est son lien avec le site d’AlUla ?
À AlUla, une forme d’utopie du 21e siècle est en train d’émerger, soulevant une multitude de questions et de réflexions. La création contemporaine et l’intelligence singulière de l’art peuvent — et doivent — jouer un rôle de catalyseur, pour mieux orienter cette dynamique. Ce programme inaugural jette ainsi les fondations de Villa Hegra : une institution modulaire, pluridisciplinaire et généreuse, profondément enracinée dans son territoire, son patrimoine et sa communauté. Il célèbre également la puissance des idées et renoue avec la dimension spirituelle essentielle à la compréhension de ce contexte. C’est cette philosophie qui sous-tend l’exposition de Sarah Brahim et Ugo Schiavi, intitulée “NEUMA – The Forgotten Ceremony”.
Quelles œuvres ont été réalisées en commun par les deux artistes ?
Leur collaboration a abouti à la création, en France, de 80 sculptures en verre soufflé. Les formes de ces pièces en verre résonnent avec la géologie de la région. Chacune d’entre elle renferme par exemple un échantillon d’un élément naturel. Présentées à Art Paris dans une scénographie évoquant une réserve de collections archéologiques, elles s’apparentent à des reliques d’une époque oubliée ou d’un passé fantasmé. Le souffle des performeurs va les ranimer comme d’authentiques objets rituels, où vont se mêler l’immensité du désert et l’intimité du corps humain. Chaque expiration propage l’écho des cérémonies d’autrefois dans le temps présent, plongeant le public dans un rituel sensoriel.
Quel sens donner à “Neuma”, le titre de cette exposition ?
Le neuma est un ”souffle vital” dans la pensée classique. Pour Aristote, le pneuma [πνεῦμα] était le principe vital animant la vie, émanant du cœur et servant de lien entre le corps et l’âme. Dans la pensée stoïcienne, le pneuma transcende l’individu et devient le souffle divin qui organise le cosmos, la présence unificatrice qui soutient et relie toute vie. Une même dualité entre un ordre charnel et un ordre spirituel prend vie dans l’exposition. Le souffle y représente la pulsation de l’existence, et l’âme y devient un courant invisible qui traverse ces espaces où la forme et le sens se rencontrent.
L’artiste Sarah Brahim, célébrée récemment à la fondation Bally à Lugano, présente également une vidéo et une série de Polaroids. De quoi s’agit-il ?
Ces œuvres explorent sur un mode introspectif la psychogéographie. Fondé sur l’idée que les lieux infléchissent les émotions et le comportement humain, ce concept – défini par Guy Debord en 1955 et inspiré par la figure baudelairienne du flâneur – propose une approche informelle et iconoclaste de l’exploration de l’espace urbain. Cette approche infuse dans la pratique artistique de Sarah Brahim où le mouvement, la marche et la présence physique sont les outils essentiels pour appréhender et découvrir les récits cachés d’un lieu. Avec le panorama spectaculaire d’AlUla pour toile de fond, ces œuvres font écho à des rituels ancestraux tout en retraçant un lien profond entre corps et paysage. Restituée dans la vidéo, la performance solo de Sarah Brahim effectuée sur place découle d’un poème qu’elle a composé lors de ses récents voyages dans la région.
Et que nous réserve Ugo Schiavi ?
Sa sculpture, réalisée à l’aide de techniques numériques de pointe, s’inspire du riche patrimoine culturel des civilisations préislamiques. L’œuvre restitue l’essence d’une figure ou d’une icône en état de méditation. Elle se compose de trois parties superposées, chacune initialement conçue avec un très haut niveau de détail grâce à la photogrammétrie (enregistrement d’une scène ou d’un objet en 3D), un procédé permettant d’intégrer à l’œuvre certaines modélisations d’AlUla. Ces captations 3D servaient de carnet de croquis à l’artiste pendant son voyage de recherche, lui permettant de conserver des fragments numériques de la réalité. L’un d’eux évoque une personne qui avait beaucoup impressionné Ugo Schiavi : le propriétaire d’une ferme à AlUla dont la rencontre avait été un moment marquant dans ses réflexions. Cet échange lui a rappelé la fragilité de la présence, l’importance de la transmission et la nécessité d’écouter et d’inclure les habitants des lieux dans tout processus de création in situ.
Sarah Brahim et Ugo Schiavi, “NEUMA, The Forgotten Ceremony”, exposition présentée du 3 au 6 avril 2025 à la foire Art Paris, Grand Palais, Paris 8e.