16 mai 2019

La peinture contemporaine en 74 chefs-d’œuvre

Avec l’exposition Le Parti de la peinture, la Fondation Louis Vuitton offre une magnifique déclaration d’amour à la pratique picturale.

“Infinity Mirror Room” – Phalli’s Field (or Floor Show) [1965-2013] de Yayoi Kusama. Tissu, miroirs et panneaux de bois, 250x455x455cm.

Depuis quelques mois, les chefs-d’œuvre modernes de la Collection Courtauld rayonnent à la Fondation Louis Vuitton. Les ombres de l’Autoportrait à l’oreille coupée de Van Gogh ou du Bar des Folies-Bergère de Manet ont malheureusement tendance à éclipser d’autres merveilles – plus contemporaines. Une seconde exposition, Le Parti de la peinture, réunit ainsi pas moins de 74 œuvres, des Américains Wade Guyton (1972) et Joan Mitchell (1925-1992) aux Allemands Gerhard Richter (1932) et Albert Oehlen (1954). Plusieurs générations, différentes pratiques, une même interrogation : comment continuer à peindre à l’ombre, justement, de ces grands prédécesseurs ?

 

La peinture, c’est traumatisant, sourit la commissaire de l’exposition Suzanne Pagé. Il y a toute une lignée avant vous.” Nécessité, passion, alcool et folie concourent à ce que les artistes s’y confrontent. Joan Mitchell n’en a jamais manqué. Et la salle que lui consacre la Fondation est le joyau de l’exposition. L’Américaine s’installe à Vétheuil en 1967, après avoir fréquenté l’avant-garde artistique new-yorkaise et parisienne. Vétheuil, c’est le village de Monet, à quelques kilomètres du Giverny des Nymphéas.Joan Mitchell y développe sur de grands formats un “impressionnisme abstrait”, dépassement de l’expressionnisme abstrait et du mouvement français du xixe siècle. Sa peinture gestuelle n’est ni la pure expression d’un individu, comme chez De Kooning, ni la représentation d’un paysage existant. Elle forme un va-et-vient entre les deux. “Je peins d’après des paysages remémorés que j’emporte avec moi – et le souvenir des sentiments qu’ils m’ont inspirés et qui, bien évidemment, sont transformés”, explique l’artiste en 1986 au philosophe Yves Michaud. Ses “feelings paintings” attestent d’une violence du geste et des coups de pinceaux. La peinture coule – Joan Mitchell travaille à la verticale. “Ce qui m’excite quand je peins, c’est ce qu’une couleur fait à une autre, et ce qu’elles font toutes les deux en termes d’espace et d’interaction.

“Beauvais” (1986) de Joan Mitchell. Huile sur toile, 280 x 401 cm.

Tout au long de l’exposition, Suzanne Pagé continuera à esquisser une double définition de la peinture. La première est historique, faisant de ce médium une dynamique, une lignée avec laquelle les artistes contemporains se débattent, entre respect et profanation. La seconde est “spatiale” et “interactive” pour reprendre les mots de Joan Mitchell. Rallier le parti de la peinture implique moins le maniement des pigments que la maîtrise du geste, d’une surface, de couleurs et de la lumière – d’un rapport particulier à l’espace. On ne s’étonnera donc pas des tubes fluorescents de Dan Flavin, qui, eux aussi, construisent des compositions lumineuses et colorées dans l’espace.  Ou de l’Infinity Mirror Room – Phalli’s Field de Yayoi Kusama où le visiteur se perd dans l’espace réfléchi à l’infini des miroirs, au milieu de poupées phalliques recouvertes de pois rouges. Le geste, la couleur et l’espace encore avec la vidéo de près de 26 minutes, Primary Time(1974). L’artiste Bas Jan Ader multiplie les arrangements d’un bouquet de fleurs, passant de compositions jaune, rouge, bleu sans jamais être satisfaite. L’expérience est filmée tel un tableau de maître hollandais, une nature morte – still life en anglais, soit toujours en mouvement – cadrée de telle sorte que seuls le bouquet et les mains de l’artiste en action sont visibles.

 

D’autres artistes ne délaissent pas la toile, mais substituent aux pinceaux imprimantes (Wade Guyton), panneaux publicitaires (Raymond Hains), ordinateurs (Albert Oehlen), protocoles réalisés par le peintre lui-même (Niele Toroni) ou par d’autres (Bernard Frize). À propos d’un autre grand peintre, Rudolf Stingel, le curateur Francesco Bonami écrivait dans le dernier Numéro art : “Il fut en revanche le seul à accepter l’idée que le pronostic vital de la peinture était engagé, tout en essayant de la sauver. À l’époque, il s’agissait d’un massage cardiaque de la dernière chance, pour tenter de ressusciter la pratique picturale et, d’une certaine façon, se réanimer lui-même.” Il semblerait que Stingel ne soit pas le seul à toujours faire usage de la peinture comme d’un défibrillateur.

 

 

La Collection de la Fondation. Le Parti de la peinture. Jusqu’au 26 août 2019. Fondation Louis Vuitton.

“Beauvais” (1986) de Joan Mitchell. Huile sur toile, 280 x 401 cm.