8 nov 2022

Is painter Walter Sickert really Jack the Ripper?

Peintre britannique né en 1860, Walter Sickert fait scandale de son vivant pour ses sujets subversifs et sa patte crue, tandis que de sulfureuses rumeurs courent aussi sur son compte au XIXe siècle. Sa personnalité énigmatique éveille en effet de nombreux soupçons : on l’accuse d’être le fameux tueur en série Jack l’Éventreur…

Walter Richard Sickert, « Autoportrait » (vers 1896), huile sur toile, Leeds, Leeds City Art Gallery © Leeds Museums and Galleries (Leeds Art Gallery), U.K. / Bridgeman Images

Né à Munich en 1860 et mort 82 ans plus tard, Walter Sickert a sillonné l’Europe au gré de ses affinités picturales. Il débute sa carrière dans l’atelier du peintre américain James Whistler à Londres, avant de rejoindre la France et d’y rencontrer les avant-gardes artistiques de la fin du 19e siècle dont font notamment partie Edgar Degas, Gustave Courbet ou Edouard Manet. De ces derniers, il retient le trait franc et réaliste, pour prendre le contre-pied de la peinture anglaise de son époque en représentant des lieux de loisirs populaires ou encore des prostituées. Ce sont justement ces dernières qui alimenteront les soupçons sur le peintre, en l’accusant d’être Jack l’Éventreur. En 1888, tandis que Walter Sickert a 28 ans, le célèbre tueur en série sévit en effet dans le quartier populaire de Whitechapel, à Londres, où il s’en prend principalement à ces proies faciles, dont il tranche la gorge et lacère le ventre avant d’abandonner leurs corps ensanglantés dans la rue ou sur leur propre lit.

Walter Sickert, « La chambre de Jack l’Éventreur » (vers 1907), huile sur toile, Manchester City Art Galleries.

Ils auraient partagé le même appartement… et le même ADN


En 1907, les amateurs d’art britanniques découvrent, médusés, La chambre de Jack l’Éventreur. Une toile sombre dans laquelle on distingue une silhouette noire, faiblement éclairée par quelques rayons de lumière filtrant entre les persiennes.  Ce tableau — dont le titre et la palette de couleurs suffisent à donner des frissons — est signé Walter Sickert. L’artiste se serait inspiré de sa propre chambre. Au début des années 1900, il s’installe en effet dans le quartier ouvrier de Camden Town, à Londres, où il puise ses sujets de prédilection, à commencer par les nombreux crimes qui s’y produisent, tel le meurtre d’une certaine Emily Dimmock, prostituée retrouvée égorgée d’une oreille à l’autre à quelques rues de son studio.

 

Ressuscitant les souvenirs de Jack l’Éventreur dans toute la capitale britannique, l’affaire inspire alors à l’artiste cette toile réalisée dans (et à partir de) sa propre chambre de Camden Town. Or, à en croire  les rumeurs colportées par la concierge de son immeuble, cette chambre aurait également appartenu au célèbre tueur en série qui sévissait vingt ans plus tôt… La raison de ses soupçons ? Le comportement agité du précédent locataire au moment des assassinats en 1888, et dont le départ inopiné coïncide parfaitement avec la fin des meurtres. La chambre, le peintre, le nouveau meurtre sauvage d’Emily Dimmock… il n’en fallait pas plus pour lancer les ragots et alimenter les fantasmes. Un siècle plus tard, cette théorie se voit conforter par la romancière américaine Patricia Cornwell dans deux livres publiés en 2002 et 2017.

 

Au terme d’une enquête pour laquelle l’auteure affirme avoir dépensé plusieurs millions de dollars, l’analyse comparée des peintures de Walter Sickert et des lettres manuscrites de Jack l’Éventreur révèle une concordance de leurs ADN, et permet aussi à cette auteure férue de criminologie de découvrir qu’ils partageaient également, outre leur ADN ou un appartement, le même papier à lettres mais aussi le même surnom “Nemo”…

 

Walter Richard Sickert, « The Iron Bedstead » (vers 1906), huile sur toile, Collection particulière – Courtesy Hazlitt Holland-Hibbert. © Hazlitt Holland-Hibbert

Ses peintures de nus ont terrifié les Anglais

 

Empreintes d’influences françaises et italiennes, les peintures de Walter Sickert détonnent parmi celles de ses contemporains anglais. Chef de file du mouvement artistique Camden Town Group au début des années 1900 (qui réunit des peintres habitant ou s’inspirant du quartier londonien), il défend en effet une peinture qui met en scène des personnes ordinaires et des scènes du quotidien, dans des tons et des traits réalistes.

 

Ainsi, alors qu’en Angleterre la peinture peine à s’émanciper des carcans classiques et académiques, les tableaux de Walter Sickert choquent. Laissant ses coups de brosses visibles, il n’hésite pas à représenter, dans des couleurs sourdes, le public alcoolisé des music-halls aussi bien que des prostituées, nues, dans un lit, comme dans sa série de tableaux The Camden Town Nudes, dans laquelle il inclut Le meurtre de Camden Town, directement inspiré par l’assassinat d’Emily Crook. Plongés dans des atmosphères sombres et totalement désérotisés, ses nus sont crus et ses modèles semblent presque mortes — à tel point que les traits noirs délimitant les membres sont même comparés à des entailles…

 

Dans toutes les toiles de cette série, les visages sont presque effacés et l’angle rapproché associé aux traits de pinceau fortement marqués accentuent la violence de chaque scène. Cette fascination pour le morbide a souvent été reprochée au peintre, et il la défendra courageusement lors d’une conférence à la Thanet School of Art en 1934. Sa fracassante déclaration sur l’estrade : “un meurtre est un aussi bon sujet que n’importe quel autre” sera du pain bénit pour les détectives en herbe et alimentera encore les soupçons sur sa culpabilité.
 

Le coupable idéal ?

 

Les femmes nues que Sickert peignaient étaient-elles mortes ? Pire encore, les avait-il lui-même tuées ? Ces soupçons suscités par ses peintures et sa passion pour les histoires criminelles, survivent au peintre pourtant décédé en 1942, et dont l’œuvre reste encore aujourd’hui mal connue, si ce n’est pour ses liens présumés avec le fameux tueur en série de la fin du 19e siècle. Si les accusations restaient peu nombreuses de son vivant, elles se déchaîneront après sa mort dans une succession de publications dont les auteurs l’impliqueront directement dans les crimes.

 

Dans Jack the Ripper : The Final Solution paru en 1976, Stephen Knight le  présente comme un complice des meurtres. En 1990, dans Sickert and the Ripper Crimes de Jean Overton Fuller, il est le meurtrier. Et si ces publications se présentent surtout comme des fictions, les deux ouvrages ultérieurs signés de Patricia Cornwell prétendent eux avancer des preuves tangibles, étayées par de tests ADN et des comparaisons calligraphiques, qui, depuis, ont été réfutés par les spécialistes de l’affaire de Jack l’Éventreur. D’abord, Sickert aurait résidé à Dieppe, en France, lorsque les meurtres ont eu lieu en 1888. Ensuite, les quelques centaines de lettres signées par le meurtrier et reçues par la police et les journaux au moment des faits seraient pour la plupart des canulars. Enfin, et surtout, le criblage ADN réalisé par Patricia Cornwell pourrait, selon de nombreux scientifiques, tout autant correspondre au peintre qu’à plus de 400 000 personnes…

 

Un flou qui continue d’intriguer tous les amateurs du mystère planant sur les meurtres de Jack l’Éventreur et pour lesquels près de 200 personnes sont encore soupçonnées. Jamais interrogé par les agents de Scotland Yard, Walter Sickert continue d’en faire partie. Les thématiques des tableaux et les titres qu’il leur a donnés l’inscrivent résolument dans le Londres brumeux et dangereux de la fin du 19e et du début du 20e siècle, au point de façonner un suspect idéal. 

Walter Sickert, « La chambre de Jack l’Éventreur » (ca. 1907), oil on canvas, Manchester City Art Galleries.

Born in Munich in 1860, Walter Sickert travelled all over Europe following his pictorial affinities before his death 82 years later. He began his career in the American painter James Whistler’s studio in London, before moving to France where he met the artistic avant-garde of the late 19th century, including Edgar Degas, Gustave Courbet, and Edouard Manet among others. From the latter, he kept the frank and realistic line and took the opposite view from the English painters at that time by representing popular leisure places or prostitutes.

 

Those three artists would eventually fuel the suspicion that the painter was indeed Jack the Ripper. In 1888, when Walter Sickert was 28 years old, the notorious serial killer was sticking in the working-class district of Whitechapel in London, where he mainly targeted easy preys, slitting their throats, and slashing their stomachs before leaving their bloody corpses in the street or on their own beds.

They may have shared the same flat… and same DNA

 

In 1907, British art lovers were stunned to discover Jack the Ripper’s Bedroom – a dark canvas picturing a black silhouette dimly lit by a few rays of light filtering through the shutters. The painting, whose title and color palette are enough to give you goosebumps, was signed by Walter Sickert. The artist would have drawn his inspiration from his own bedroom. In the early 1900s, he moved to the working-class district of Camden Town in London, where he found his favorite subjects, starting with the many crimes that occurred there. Among these crimes is the murder of a certain Emily Dimmock, a prostitute whose throat was found slit from one ear to the other a few blocks away from his studio.

 

The case resurrected memories of Jack the Ripper throughout the British capital and inspired the artist to create this painting in and from his own bedroom in Camden. Y et, according to the rumors spread by the caretaker of his building, that room also belonged to the infamous serial killer who struck twenty years earlier… The reason for her suspicions? The restless behavior of the previous tenant at the time of the murders in 1888, whose unexpected departure perfectly coincides with the end of the murders. The room, the painter, the recent gruesome murder of Emily Dimmock… it didn’t take more than that for the gossips and fantasies to be fueled.

 

A century later, this theory has been confirmed by the American novelist Patricia Cornwell in two books published in 2002 and 2017. After an investigation that costed the author several million dollars according to her, the comparative analysis of Walter Sickert’s paintings and Jack the Ripper’s handwritten letters revealed a match in their DNA. It also allowed this criminology-loving author to discover that, in addition to their DNA or their flat, the two men also shared the same stationery and the same nickname “Nemo” …

 

Walter Richard Sickert, « The Iron Bedstead » (ca. 1906), oil on canvas, private collection – Courtesy Hazlitt Holland-Hibbert. © Hazlitt Holland-Hibbert

His nude paintings terrified England

 

With their French and Italian influences, Walter Sickert’s paintings stand out among those of his British contemporaries. As the leader of the Camden Town Group in the early 1900s – a group of painters inspired by the London area and who lived there – he defended an aesthetic that staged ordinary people and everyday scenes with realistic tones and strokes. Thus, at a time when painting was struggling to break free from the classical and academic shackles in England, Sickert’s paintings used to shock the viewers.

 

Leaving his brushstrokes visible on the canvas, he did not hesitate to depict with dull colors the drunken audience of music halls or naked prostitutes in bed, like his series The Camden Town Nudes, in which he included the painting The Camden Town Murder, directly inspired by the murder of Emily Crook. Immersed in dark atmospheres, deprived of any eroticism, his nudes are raw, and his models seem almost dead – so much so that the black lines delimiting the limbs are even compared to cuts… In each one of the paintings from this series, the faces fade away while the close- up angle associated with the strong brushstrokes accentuate the violence of the scenes.

 

His morbid fascination had often been criticized and the painter courageously defended it during a lecture at the Thanet School of Art in 1934. His shattering statement on the platform that “murder is as good a subject as any other” would eventually be a godsend to budding detectives and further fueled suspicion of his guilt.

 

Walter Richard Sickert, « Autoportrait » (ca. 1896), oil on canvas, Leeds, Leeds City Art Gallery © Leeds Museums and Galleries (Leeds Art Gallery), U.K. / Bridgeman Images

The perfect culprit?

 

Were the naked women in Sickert’s paintings dead? Or worse, did he kill them himself? Raised by his paintings and his passion for crime stories, these suspicions have survived the painter’s death in 1942. His work remains unfamiliar to this day, except for his alleged links with the notorious serial killer of the late 19th century. While he was the object of a few accusations during his lifetime, his death unleashed a series of publications that directly implicated him in those crimes. In Jack the Ripper: The Final Solution published in 1976,

 

Stephen Knight portrayed him as an accomplice to the murders. In Jean Overton Fuller’s 1990 publication Sickert and the Ripper Crimes, he is the actual murderer. And while these publications are mostly fiction, the two subsequent books by Patricia Cornwell claim to have hard evidence, supported by DNA tests and calligraphic comparisons, which have since been refuted by specialists of the case. Firstly, Sickert was living in Dieppe, France, when the murders took place in 1888. Secondly, the several hundred letters signed by the murderer and sent to the police and newspapers at the time may mostly be hoaxes. Finally, and most importantly, the DNA screening carried out by Patricia Cornwell could, according to many scientists, be as much a match for the painter as for more than 400,000 people…

 

A gray area that keeps intriguing the lovers of the mystery surrounding Jack the Ripper’s murders, for which nearly 200 people are still suspected. Although he has never been questioned by Scotland Yard agents, Walter Sickert remains one of them. The themes and the titles of his paintings firmly place him in the foggy and dangerous London of the late 19th and early 20th centuries, to the point of making him an ideal suspect. To make up your own mind, go to the Petit Palais where some of the works from The Camden Town Nudes series are exhibited until January 2023 for the artist’s first French retrospective.