2 sep 2020

Interview with Jeff Koons : “I don’t believe in kitsch”

“Banality”, “Made in Heaven”, “Michael Jackson and Bubbles”… ses œuvres délirantes figurent parmi les plus cotées au monde. Révélé auprès du grand public en 1991 lors de son kitschissime mariage avec la Cicciolina, l’artiste a toujours excellé dans l’art de cultiver son image dans les médias. Pour Numéro, il s’épanche sur sa vie privée.

Propos recueillis par Philip Utz.

Interview by Philip Utz.

Numéro : Quelle est la part d’ironie dans vos pièces les plus kitsch ? 

 

Jeff Koons : Le terme “kitsch” est un procès d’intention. Ses connotations péjoratives sont utilisées par ceux qui se servent de l’art comme une forme de ségrégation. Je ne crois pas au kitsch parce que je ne crois pas à l’exclusion. L’art a pour vocation d’encourager l’acceptation universelle, transcendantale, en commençant par l’acceptation de soi-même.

 

Exposer ses propres œuvres chez soi, est-ce une faute de goût ? 

 

Un calvaire, vous voulez dire ! Je n’infligerais jamais ça à ma famille ou à moi-même. Chez moi, j’expose plutôt ma collection d’œuvres du XXe – Dalí, Magritte, Man Ray et Lichtenstein –, ainsi qu’une poignée de pièces contemporaines signées Elizabeth Peyton ou Thomas Struth. Ma femme Justine est également artiste, et nous avons chez nous nombre de ses peintures et photographies.

 

Michael Jackson n’a-t-il jamais souhaité acquérir la porcelaine grandeur nature à son effigie ? 

 

Jackson m’a fait savoir qu’il était curieux d’assister à l’élaboration de la pièce dans mon studio new-yorkais. J’avais beau lui expliquer que la sculpture serait réalisée par des artisans en Europe, il a fait celui qui n’entendait rien. À chaque fois qu’il prenait rendez-vous, il me posait un lapin. Et lorsque je suis allé lui rendre visite à Neverland, il s’était volatilisé. Silence radio. J’ai fini par lâcher l’affaire.

 

 

“L’art doit vous prendre au cou et vous secouer les tripes.”

 

 

Vous a-t-il intenté un procès pour violation du droit à l’image ? 

 

Il fut un temps où Picasso, Warhol et Duchamp empruntaient impunément aux œuvres d’autrui. Dans les années 80, on traitait les artistes américains de cupides arrivistes qui ne pensaient qu’à leur compte en banque. Les photographes de cartes postales ont déployé une armée d’avocats pour nous intenter des procès abusifs pour violation du copyright. Il nous faut toujours assurer nos arrières, même si je reste convaincu que l’appropriation artistique est honnête.

 

N’avez-vous jamais été cupide et arriviste ? 

 

L’argent que je gagne offre une confortable ceinture de sécurité à ma famille, certes, mais il n’a jamais été ma motivation principale. L’art est une expérience viscérale que je ressens au plus profond de moi, comme si une réaction chimique intérieure me permettait de transcender mes limites.

“Michael Jackson and Bubbles”, Jeff Koons, 1988.

Après Michael Jackson and Bubbles, quelles icônes pop pourraient aujourd’hui vous inspirer ?

 

L’heure n’est plus aux icônes. La beauté et l’inconvenante innocence de Pamela Anderson m’ont longtemps intrigué. Mais mon travail s’éloigne de la culture populaire et puise son inspiration dans l’histoire de l’art.

 

En quoi la paternité a-t-elle affecté votre approche artistique ? 

 

J’ai aujourd’hui cinq enfants. Mais c’est la naissance de ma fille aînée, Shannon, qui m’a ouvert les yeux. Il y a quarante-deux ans de cela, j’étais encore étudiant en art. Il a fallu que je me montre à la hauteur.

 

Pourquoi alors avoir attendu ses dix-neuf ans pour la rencontrer ? 

 

Ma partenaire de l’époque était elle aussi étudiante, et elle n’était pas prête à assumer ses responsabilités de mère de famille. Elle a fait adopter Shannon. Il était néanmoins très important pour moi que Shannon puisse renouer le contact avec moi dès qu’elle en ressentirait le besoin.

 

 

“Je ne travaille jamais sur commande : une œuvre d’art doit s’accepter et non ‘s’exiger’.”

 

 

Comment pouviez-vous être si sûr qu’elle vous retrouverait ? 

 

En ayant du succès.

 

Comment Ilona Staller, alias la Cicciolina, a-t-elle fait pour déguerpir à Rome avec votre fils Ludwig ?

 

Nous vivions à New York et finalisions notre procédure de divorce lorsqu’elle l’a enlevé. La Cour de justice européenne a exigé son extradition vers les États-Unis, mais la justice italienne n’a jamais fait exécuter le verdict. Mon fils et moi avons souffert d’une terrible injustice. Entre-temps, sa mère l’a monté contre moi. Elle a dressé tant d’obstacles et de traquenards pour m’éloigner de mon enfant, qu’il m’est aujourd’hui impossible de le revoir.

 

Vous êtes l’un des artistes vivants les plus chers au monde… êtes-vous pour autant le plus riche ? 

 

Le gros de ma fortune s’est évaporé dans les frais d’avocat pour protéger les droits de mon fils. J’ai dû vendre aux enchères l’intégralité de mon œuvre, que je m’efforce de reconstituer.

“Fait d’hiver”, Jeff Koons, 1988.

L’art se passe-t-il d’explications ? 

 

L’art doit vous prendre au cou et vous secouer les tripes. Les exégèses, paraphrases et autres notes d’intentions que l’on exige des artistes aujourd’hui m’ont toujours semblé superflues. L’art n’a d’existence que dans l’œil du spectateur, c’est là sa seule interprétation valide.

 

Et si je vous demandais de réaliser mon buste, sur le modèle de votre Bourgeois Bust ? 

 

Je ne travaille jamais sur commande : une œuvre d’art doit s’accepter et non “s’exiger”. Lorsqu’on me demande : “Jeff, quelle œuvre pourrait meubler tel espace ?”, j’acquiesce volontiers. Mais si on me dit : “Jeff, je suis patron d’une usine d’automobiles, feriez-vous une œuvre avec l’une de mes voitures ?”, je m’y refuse. Car, à moins d’être pris d’une passion soudaine pour les véhicules à quatre roues, il m’est impossible de créer dans ces conditions.

 

 

 

[Archives Numéro 86 – septembre 2007]

“Fait d’hiver”, Jeff Koons, 1988.

 

Numéro: How much of your kitschiest work is irony?

 

 

Jeff Koons: The term kitsch makes people jump to conclusions. Its negative connotations are used by those who use art as a form of segregation. I don’t believe in kitsch because I don’t believe in exclusion. Art’s vocation is to encourage an acceptance that is both universal and transcendental, beginning by accepting oneself.

 

  1.  

When your Cracked Egg (Blue) was selling in London last year, cheques below $3.5 million weren’t accepted. Why?

 

  1.  

If the artist’s value goes up, it’s also to make sure that the demand never surpasses the supply. The selection happens naturally: the piece will go to the person who pays the most and the collectors aren’t upset if they don’t get it.

 

  1.  

Is exposing one’s own work at home bad taste?

  1.  


A sufferance more like! I’d never inflict that on my family or myself. At my home my collection of 20th century art – Dalí, Magritte, Man Ray and Lichtenstein – hangs on the walls along with a few contemporary works by Elizabeth Peyton and Thomas Struth. My wife Justine is also an artist and we’ve got several of her paintings and photos up.

 


Has Michael Jackson ever tried to acquire the life-size porcelain effigy?

 


Jackson implied that he was keen on seeing the piece develop in my New York studio. I tried to explain that the sculpture was being made by artisans in Europe but he made out he didn’t hear a word. Every time he made an appointment to come by, he’d always stand me up. When I went to Neverland to visit him he vanished. Silence. I didn’t bother anymore.

 


Did he file a complaint against you for violating his image?

 


There was once a time when Picasso, Warhol and Duchamp borrowed from others with impunity. In the 1980s American artists were treated like greedy social climbers who only thought about their bank accounts. Postcard photographers deployed armies of lawyers to file suit against them for copyright violation. You always have to look out for yourself, even though I’m still convinced that artistic appropriation is honest.

 


And you haven’t been greedy and social climbing yourself?

 


The money I earn provides my family with security, sure, but it has never been my main motivation. Art is above all a visceral experience and it comes from deep inside me like a chemical reaction that helps me transcend my limits.

“Michael Jackson and Bubbles”, Jeff Koons, 1988.

 

After Michael Jackson and Bubbles what pop icons inspire you today? 

 


It’s not about icons anymore. Pamela Anderson’s beauty and improper innocence has intrigued me for a long time. But for the last two years my work has moved away from popular culture and more towards the history of art.

 


How did becoming a father affect your artistic approach?

 


I have five children today. But it was the birth of my eldest daughter, Shannon that really opened my eyes. It was 32 years ago and I was still a student. I had to show I was up to it.

 


Why did you wait until she was 19 before meeting her?

 


My girlfriend at the time was also a student and wasn’t ready to become a mother so Shannon was adopted. However, it was very important to me that Shannon could renew contact with me as soon as she felt the need.

 


How could you be so sure that she’d find you?

 


By being successful.

 


How did Ilona Staller, alias La Cicciolina, flee to Rome with your son Ludwig?

 


We were living in New York and just about to finalise the divorce proceedings when she took him. The European court demanded his extradition back to the USA, but Italian justice never carried out the verdict. My son and I have suffered a terrible injustice and ever since his mother hasn’t stopped turning him against me. She’s set up so many obstacles and traps in order to distance me from my child, that now it’s impossible for us to be in contact.

 


Does art require explanation?

 


Art should take you by the throat and shake your guts up. All these interpretations, clarifications and other details of purpose that we require from artists today have always struck me as completely superfluous. Art exists exclusively in the eye of the beholder, that’s the only valid interpretation.

“Fait d’hiver”, Jeff Koons, 1988.

 

And if I asked you to make a bust portrait of me in the style of your Bourgeois Bust?

 


I never work on a made-to-order basis. If someone asks me, “Jeff, what work of art do you reckon could furnish this space?” I’d happily help out. But if I was asked, “Jeff I own a car factory, would you make a work of art out of one of my cars?” I’d say no. Because unless I suddenly developed a new passion for vehicles with four wheels, it would be impossible for me to work in those kind of conditions.

 


Ever since the Iraq war, French collectors have ignored your somewhat Uncle Sam-orientated work.

 


The political climate is obviously going to affect the market. As soon as America declared war against Iraq the art market sank. Private collectors and big institutions just stopped buying, in the US like elsewhere.

 

 

[Numéro archives]