9 juin 2022

Giacometti, Miró, Picasso : 6 chefs-d’œuvre de la collection de Hubert de Givenchy en vente chez Christie’s

La maison d’enchères Christie’s à Paris propose, ce mois de juin, une vente exceptionnelle : celle des biens personnels du couturier français Hubert de Givenchy, comprenant outre des tableaux de maître, une immense collection de mobilier. Cette vente se décomposera en six temps forts : deux ventes magistrales au théâtre Marigny ce mardi 14 juin et ce mercredi 15 juin, deux ventes dans les locaux parisiens de Christie’s le jeudi 16 et le vendredi 17 juin, et deux ventes en ligne, entre le 8 et le 23 juin. Au programme, 1229 lots, incluant mobilier d’époque, objets et œuvres d’art. Une grande partie d’entre eux peut être découverte, gratuitement, du 10 au 14 juin, dans l’hôtel particulier parisien de Christie’s à travers une magnifique exposition-événement. La scénographe Cécile Degos s’est en effet inspirée de deux propriétés d’Hubert de Givenchy, (l’hôtel Orrouer, rue de Grenelle, à Paris, et son manoir du Jonchet à Cloyes-les-Trois-Rivières) pour mettre en scène les objets faisant l’objet de la vente comme si l’on visitait l’intérieur même du couturier. D’une peinture de Joan Miró à des oiseaux de François Xavier Lalanne en passant par une étonnante peinture de l’artiste dada Kurt Schwitters, focus sur six œuvres d’art moderne et contemporain issues de cette vaste collection, qui témoignent de l’histoire et du goût du créateur de mode disparu en 2018.

1. La figure féminine vue par Alberto Giacometti

 

 

Hubert de Givenchy a entretenu une longue fascination pour le travail d’Alberto et Diego Giacometti. Entre une colombe en plâtre et une coupe oblongue du premier, et les consoles et nombreux chiens sculptés dans le bronze par le second, les deux frères suisses font partie des noms les plus récurrents de sa riche collection. Outre ces œuvres, l’un des lots phares de la vente chez Christie’s est sans aucun doute la “Femme qui marche 1”, sculpture en bronze réalisé par Alberto Giacometti au début des années 30, qui marque à la fois son retour à la figuration et témoigne des grands principes qui domineront sa sculpture figurative : des corps longilignes, défigurés, difformes ou étêtés, ainsi que le travail de la surface et du relief à travers la présence, sur cette œuvre, d’un creux sous la poitrine ainsi que la lisibilité des gestes et ciselures de l’artiste au couteau, qui donnent à cette œuvre son caractère unique. Hubert de Givenchy a acquis cette œuvre auprès de son amie Bunny Mellon, paysagiste américaine et collectionneuse passionnée d’art et d’horticulture, elle-même très proche de la fratrie d’artistes. Pendant longtemps, Femme qui marche 1 trônait à droite de la cheminée, dans le salon du couturier situé dans l’hôtel particulier de la rue de Grenelle.

Joan Miró,  »Le passage de l’oiseau Migrateur » (1968). Huile sur toile, 194.5 x 129.5 cm. Estimation : 2,500,000 – 3,500,000 euros © Christie’s Images Limited 2022, Guillaume Onimus

2. Le motif de l’oiseau migrateur chez Joan Miró

 

 

Passionné par les animaux, Hubert de Givenchy aimait particulièrement des oiseaux. En atteste cette toile abstraite de 1968, chef-d’œuvre signé par le célèbre plasticien catalan Joan Miró, qui explore ce motif à travers les constantes de sa pratique picturale. Le fond bleu, d’abord, présent dans un grand nombre de ses toiles, l’apparition des formes par contraste de couleurs, et l’abstraction du réel sous l’apparence d’une tache blanche traversé d’une ligne noire dans la partie supérieure droite de la peinture, qui signe l’envol de l’oiseau migrateur vers d’autres contrées. Tardive dans la carrière de l’artiste disparu en 1983,  »Le passage de l’oiseau Migrateur’’ s’inscrit dans la lignée de ses poèmes ainsi que de sa série de toiles Le cheval de cirque, réalisée entre 1925 et 1927, où les éléments colorés des chapiteaux de cirque se voient mêlés à des silhouettes d’équidés épurées et déformées. Dernier propriétaire de l’œuvre Bleu I, extraite d’un triptyque emblématique de Joan Miró, Hubert de Givenchy en a fait don à la collection du Centre Pompidou. La peinture de l’oiseau migrateur actuellement en vente chez Christie’s aurait ainsi été acquise par le couturier pour remplacer cette œuvre majeure dont il s’était séparée.

Janine Janet, “Cerf couché”, le modèle créé en 1964. En bronze patiné. Estimation : 80 000 – 120 000 euros. Vente chefs-d’œuvre

3. Les deux cerfs de Janine Janet dans le jardin du Jonchet

 

 

Au-delà des oiseaux, Hubert de Givenchy vouait une admiration sans bornes à un animal : le cerf. Devenu son emblème, celui-ci est récurrent parmi les lots mis en vente par Christie’s. On le retrouve aussi bien ornant des tirelires et pendules qu’en motif d’une peinture attribuée à Jean-Baptiste Hüet, ou sculpté façon trophée de chasse par Diego Giacometti à la fin des années 70. Le noble animal était aussi présent dans le jardin à la française de son château du Jonchet. Connue pour avoir assuré la décoration de nombreuses vitrines de maisons de couture au 20e siècle, l’artiste française Janine Janet a souvent exploité le thème du cervidé dans ses sculptures, et a signé, en 1964, les deux cerfs assis en bronze patiné qui ont naturellement trouvé leur place sur deux haies de buis du domaine du couturier. Toutefois, c’est grâce à la générosité de son aîné et confrère, Cristóbal Balenciaga, qu’Hubert de Givenchy devint propriétaire de ces deux sculptures. Ce dernier les lui offrit en effet en témoignage de son amitié. Durant les vingt premières années d’activité de Hubert de Givenchy à la tête de sa propre maison, le couturier espagnol fut en effet, jusqu’à sa mort en 1972, son mentor et son soutien majeur, et Hubert de Givenchy se décrira lui-même comme son disciple tout au long de sa carrière.

Kurt Schwitters, “K. Für Tilly” (1923). Huile et poignée tournante sur panneau, 25,7 x 16×4,9 cm. Estimation : 300 000-400 000 euros © Christie’s Images limited 2022

4. Une incursion vers le dadaïsme avec Kurt Schwitters

 

 

Au-delà des peintures du 18e et du 19e siècles, des objets rococo et autres meubles d’époque, on s’étonne de découvrir dans les salons de Hubert de Givenchy des œuvres plus radicales et modernes, qui dénotent joyeusement avec leur environnement. Parmi elles, une petite peinture de l’artiste allemand Kurt Schwitters, représentant majeur du dadaïsme en Allemagne. À l’instar des autres figures du mouvement transdiscplinaire né pendant la Première Guerre mondiale, de Sophie Taeuber-Arp à Tristan Tzara en passant par Francis Picabia, l’homme entend se délester du poids des conventions artistiques et des hiérarchies formelles qui dominent à l’époque au profit de l’absurde, de l’hybridation voire de la trivialité. En atteste cette œuvre acquise par Hubert de Givenchy, hommage à la poète et romancière néerlandaise Til Brugman qui en fut la première propriétaire. Sur cette composition abstraite sur panneau faite d’aplats colorés géométriques et contrastés, l’artiste a intégré subtilement, comme souvent dans ses œuvres, un objet du quotidien : une petite poignée tournante circulaire en métal évoquant la forme d’une sonnette, dont la forme circulaire noire pourrait, telle l’incarnation de la nouvelle lune, répondre à la pleine lune que pourrait évoquer le rond jaune peint à sa droite.

Pablo Picasso,  »Faune à la lance » (1947). Pierre noire sur papier, 164.5 x 131 cm. Estimation : 1,500,000-2,500,000 euros © Christie’s Images Limited 2022

5. Le faune de Picasso, symbole d’une liberté retrouvée

 

 

L’acquisition d’un Picasso semble être un passage obligé pour un amateur et collectionneur d’art moderne. Hubert de Givenchy ne déroge pas à la règle. Au mur de l’un de ses salons parisiens, un grand dessin à la pierre noire sur papier brun de l’artiste espagnol était accroché au-dessus d’une console agrémentée de petites sculptures équestres. Baptisé “Faune à la lance”, le personnage dépeint par le célèbre auteur de Guernica fait référence à la créature hybride de la mythologie gréco-romaine, la plupart du temps représentée sous la forme d’un homme à la tête cornue et aux pattes de bouc. Réalisé en 1947 après la Seconde Guerre mondiale, à la période où Pablo Picasso installe son atelier dans le Château des Grimaldi à Antibes, l’œuvre évoque à travers cette figure une forme de joie de vivre, de liberté, de célébration des plaisirs de la vie et des arts. Elle est aujourd’hui l’un des lots phares de la collection de Hubert de Givenchy, estimée entre 1,5 et 2,5 millions d’euros, et passera sous le marteau au théâtre Marigny ce mardi 14 juin lors de la première partie de la vente consacrée aux chefs-d’œuvre de la collection.

François-Xavier Lalanne, “Oiseaux de jardin” (2006-2008). En bronze patiné. Estimation : 400 000 – 600 000 € l’unité. Vente Chefs-d’œuvre

6. La paire de rossignols de François-Xavier Lalanne

 

 

Le jardin du château du Jonchet de Hubert de Givenchy n’a pas seulement accueilli des cerfs. À partir des années 2000, ses buis se font le socle de deux nouvelles bêtes, des oiseaux identiques, entre le rossignol et la mésange, conçus en 2001 par le sculpteur français François-Xavier Lalanne, qui n’a cessé avec sa femme Claude de représenter des animaux domestiques ou sauvages et notamment de nombreuses espèces à plumes, de la cigogne au canard. Réalisé en bronze, ensuite patiné pour lui donner un aspect légèrement cuivré, ces deux oiseaux de jardin traduisent la volonté constante de l’artiste de proposer des œuvres en différentes dimensions qui exploitent différentes techniques de sculpture, adaptées tantôt aux espaces extérieurs, tantôt aux espaces intérieurs – à l’instar de la petite lampe en bronze doré dont un chimpanzé en tailleur soutient l’abat-jour avec ses bras, également présente dans la collection de Hubert de Givenchy. Tout comme les deux cerfs de Janine Janet offerts au couturier français par Cristóbal Balenciaga, ces deux sculptures sont elles aussi un cadeau d’une amie proche de Hubert de Givenchy afin d’agrémenter son fabuleux jardin.

 

 

 

“Hubert de Givenchy collectionneur”, exposition ouverte au public du 10 au 14 juin chez Christie’s, 9, avenue Matignon, Paris 8e.


Première vente “Chefs-d’œuvre”, le 14 juin, au théâtre Marigny.

Ventes en ligne entre le 8 et 23 juin.