4 sep 2020

From Jeff Koons to Sarah Lucas, the libertine exhibition in Denmark

Jeff Koons, Sarah Lucas, Simon Fujiwara, Wolfgang Tillmans… l’exposition “Art & Porn”, du musée ARoS (Aarhus Art Museum), célèbre la fin de la censure de la pornographie au Danemark, en 1969. Les artistes interrogent le corps et rejettent sa forme académique au profit d’une acceptation plus érotique.

Wilhelm Freddie, “Sex-paralysappeal”, Plâtre et bois peints, verre, corde, gant, 1936. © Photo Moderna Museet Stockholm

Attention : Certaines images sont susceptibles de choquer la sensibilité des lecteurs.

 

D’un buste de femme à la dépénalisation de l’image pornographique

 

L’histoire commence en 1937 avec le sculpteur et peintre surréaliste Wilhelm Freddie et son œuvre Sex-paralysappeal : un buste de femme dont la tête est barrée d’un sexe masculin (sur la joue). Deux verres de vin sont accrochés sur une corde qui l’étrangle. Cette femme est vue comme une figure de débauche et d’excès, alors que l’artiste souhaite exprimer les torpeurs de son inconscient – d’autant qu’à l’époque, en ce qui concerne le déchiffrage des psychologies humaines, la psychanalyse freudienne a le vent en poupe.

 

Cette femme est vue comme une figure de débauche et d’excès, alors que l’artiste souhaite exprimer les torpeurs de son inconscient.

 

La sculpture imite la forme “classique” (le buste antique), tout en étant pourtant destituée de son aspect élévateur, perverti par le fantasme érotique. Cette œuvre était présentée dans le cadre de Sex-surreal – Pull the fork out of the eye on the butterfly (1937), une exposition devenue dès son ouverture à Copenhague un véritable manifeste. L’événement est un choc. Les visiteurs taxent les œuvres d’“immorales” et les dénoncent aux autorités : la police nationale danoise en confisque la majeure partie, les autres sont détruites par des groupes de jeunes étudiants pudibonds.

 

Plus tard, en 1963, Arthur Køpcke, artiste du mouvement Fluxus, ouvre sa galerie à Copenhague et y invite Wilhelm Freddie. Ce dernier va voir la justice à plusieurs reprises, réclamant que ses œuvres lui soient restituées. Il n’obtient pas gain de cause, on les lui refuse ; l’artiste présente alors des copies de ces mêmes œuvres – qui sont saisies à leur tour. L’affaire prend de l’importance lorsqu’une partie de la communauté artistique scandinave commence à remettre en cause ces décisions jugées trop sévères. Ce n’est finalement qu’en 1967, sous la pression de l’opinion publique, que l’artiste récupère ses productions. Deux ans plus tard, en 1969, le Danemark devient le premier pays au monde à dépénaliser l’image pornographique dans les arts.

 

Deux ans plus tard, en 1969, le Danemark devient le premier pays au monde à dépénaliser l’image pornographique dans les arts.

 

Les historiens sont unanimes : l’épisode Wilhem Freddie a sans doute contribué à lever la censure de la pornographie au Danemark. Mais cette histoire soulève plusieurs questions : l’art est-il capable de façonner les mentalités ? Peut-il transformer des images transgressives et immorales – ici la pornographie – en une chose licite ? 

 

 

Sarah Lucas, “Eros”, béton moulé et voiture écrasée (2013). Courtesy of Sadie Coles HQ, Londres/© Sarah Lucas.

Art, sexe et plaisir féminin

 

Les femmes sont les premières à user de l’image sexuelle pour tenter de renverser le phallocentrisme et le masculinisme de la société. L’image pornographique cristallise les relations de pouvoir entre dominant (l'homme) et dominé (la femme). En 1969, Valie Export, une des grandes figures de l’actionnisme viennois, entre dans un cinéma pornographique, en pantalon de cuir ouvert à l’entrejambe et menace les hommes d’une mitraillette. Un vrai sexe est à leur disposition, pourquoi ne pas en profiter directement ?

 

Un vrai sexe est à leur disposition, pourquoi ne pas en profiter directement ?

 

Cinq ans plus tôt, Carole Schneemann, décédée en mars dernier, présente dans sa vidéo Fuses (1964) vingt minutes de rapports sexuels avec son partenaire de l’époque. L’artiste travaille la pellicule comme une œuvre d’art qu’elle brûle, peint et découpe. Schneemann montre le plaisir sexuel, sa jouissance, sa beauté, et transpose la position supposée de “femme procréatrice” à celle “d’artiste créatrice”.

La série Made In Heaven, un phénomène retentissant des années Reagan, brise ouvertement la frontière entre l’art et la pornographie.

 

Événement sans pareil à sa sortie, Fuses de Carole Schneemann a permis aux artistes de s’orienter vers des productions flirtant avec la pornographie. Mais ces productions artistiques subversives choquent toujours. En 1989, dans une galerie new-yorkaise, Jeff Koons présente quant à lui sa série Made In Heaven, réalisée avec la star italienne du porno (à l’époque députée à l’Assemblée italienne), la “Cicciolina” – sa propre femme. Dans cette opulente série, le jeune couple bronzé et huilé s’adonne sans frein à des ébats sexuels. Cette série, un phénomène retentissant des années Reagan, brise ouvertement la frontière entre l’art et la pornographie.

Quand le porno et la question queer se rencontrent

 

Les organes sexuels déferlent sur l’art des années 60 à nos jours, et se font souvent les allégories des combats sociaux. Dans les années 70, la communauté gay internationale découvre les dessins puissamment évocateurs de Touko Valio Laaksonen, plus connu sous le nom de Tom of Finland. À une époque où l’homosexualité est mondialement réprimée, la communauté gay trouve dans ces œuvres l’expression libre des fantasmes homoérotiques censés rester cachés. La pornographie selon Tom of Finland a joué un rôle sans doute décisif dans les représentations des scènes homosexuelles, et montre à quel point la liberté sexuelle va de pair avec la liberté de l’individu. 

 

La pornographie selon Tom of Finland a joué un rôle sans doute décisif dans les représentations des scènes homosexuelles, et montre à quel point la liberté sexuelle va de pair avec la liberté de l’individu.

 

L’image pornographique demeure un reflet des clichés qui pèsent sur nos sociétés. Dans sa vidéo The Fall of Communism as Seen in Gay Pornography (1998), l’artiste William E. Jones met à mal le fantasme occidental de l’homme soviétique. Elle montre des castings de jeunes hommes d’Europe de l’Est, visiblement sans autre situation sociale que l’obligation de vendre leur corps pour de l’argent. Les expressions dérangées qui passent sur les visages de ces jeunes hommes – malaise pour le spectateur, excitation pour le directeur de casting –, évoque une image violente, sombre mais authentique, du making of des films X.

Vue de l’exposition “Art & Porn”, au musée ARoS, à Aarhus, Danemark. Détail de l’œuvre de Mike Bouchet, “Untitled”, vidéo (2011). Courtesy of Mike Bouchet, Marlborough Contemporary et Galerie Parish Kind/Photo : Anders Sune Berg.

La liberté sexuelle va avec la liberté d’expression

 

La question de l’image pornographique est intrinsèquement liée à celle de la liberté d’expression. L’exemple de Wilhelm Freddie démontre qu’aller à l’encontre des normes bourgeoises fait évoluer les esprits. Chez l’artiste Sarah Lucas, les individus, masculin ou féminin, sont réduits à leurs organes sexuels. Dans l’exposition, un phallus géant s'écrase sur une voiture compressée ; une installation qui dénonce avec humour les pulsions sexuelles et consuméristes de l’homme standard. Dans ce riche ensemble d’œuvres, l’idée de ces artistes n’est pas de présenter la réalité cathartique habituellement produite par le porno, utilisé ici à d’autres fins. L’exposition restitue avec véracité la riche complexité du rapport qui lie l’art et la sexualité ou, par procuration, la pornographie.

 

 

 

L’exposition Art & Porn est à voir au musée ARoS à Aarhus, au Danemark, jusqu’au 8 septembre.

Monica Bonvicini, “No More #1”, doubles lettres en néon, cadres d’aluminium et câbles électriques (2016). Courtesy of Monica Bonvicini/© Monica Bonvicini et VG Bild-Kunst/Photo : Jens Ziehe.
Wilhelm Freddie, “Sex-paralysappeal”, Plaster and painted wood, glass, rope, glove, 1936 (copy 1961). © Photo Moderna Museet Stockholm.

Warning: The following post contains images that may be disturbing to some readers.

 

From a woman’s bust to the decriminalization of pornographic images

 

The story begins in 1937 with the surrealist sculptor and painter Wilhelm Freddie and his work Sex-paralysappeal: a bust of a woman whose head is crossed by a male sex (on the cheek). Two glasses of wine are hung on a rope that strangles her. This woman is seen as a figure of debauchery and excess, whereas the artist wishes to express the numbness of her unconscious – especially since at the time, as far as the deciphering of human psychologies is concerned, Freudian psychoanalysis was on the rise.

 

 

This woman is seen as a figure of debauchery and excess, whereas the artist wishes to express the numbness of her unconscious.

 

 

The sculpture imitates the “classical” form (the ancient bust), while being nevertheless destitute of its lifting aspect, perverted by the erotic fantasy. This work was presented as part of Sex-surreal – Pull the fork out of the eye on the butterfly (1937), an exhibition that became a real manifesto from its opening in Copenhagen. The event was a shock. Visitors described the works as “immoral” and denounced them to the authorities: the Danish national police confiscated most of them, the others were destroyed by groups of prudish young students.

Later on, in 1963, artist Arthur Køpcke, from the Fluxus movement, opened his gallery in Copenhague and invited Wilhelm Freddie. The latter went to court several times, demanding that his works be returned to him. He was not successful and then presented copies of these same works – which were in turn seized. The case got bigger when part of the Scandinavian artistic community began to question these decisions, which were considered too harsh. It was not until 1967, under public pressure, that the artist finally recovered his productions. Two years later, in 1969, Denmark became the first country in the world to decriminalize pornographic images in the arts.

 

 

Two years later, in 1969, Denmark became the first country in the world to decriminalize pornographic images in the arts.

 

 

Historians are unanimous: the Wilhem Freddie episode probably helped to lift the censorship of pornography in Denmark. But this story raises several questions: is art capable of shaping mentalities? Can it transform transgressive and immoral images – here pornography – into something legal?

 

Sarah Lucas, “Eros”, béton moulé et voiture écrasée (2013). Courtesy of Sadie Coles HQ, Londres/© Sarah Lucas.

Art, sex and feminine pleasure

 

Women are the first ones to use sexual images in order to ovethrow the phallocentrism and masculinism of society. Pornographic images crystallize the power relationships between the dominant (man) and the dominated (woman). In 1969, Valie Export, one of the great figures of Viennese actionism, entered a pornographic cinema, wearing leather trousers open at the crotch and threatened the men with a machine gun. A real genitalia was available to them, why not enjoy it directly?

 

 

A real genitalia was available to them, why not enjoy it directly?

 

 

Five years ealier, Carole Schneemann, who died last March, showed in her video Fuses (1964) twenty minutes of sexual intercourse with her partner of the time. The artist worked the film as a work of art that she burned, painted and cut. Schneemann showed sexual pleasure, its enjoyment, its beauty, and changed the supposed position of “procreative woman” to that of “creative artist”.

The Made In Heaven series, a resounding phenomenon of the Reagan years, openly breaks the boundary between art and pornography.

 

 

An unparalleled event upon its release, Fuses by Carole Schneemann allowed artists to move towards productions that flirted with pornography. But these subversive artistic productions were still shocking. In 1989, in a New York gallery, Jeff Koons presented his Made In Heaven series, produced with the Italian porn star (at the time a member of the Italian Assembly), the "Cicciolina" – his own wife. In this opulent series, the tanned and oiled up young couple indulges in unrestrained sexual intercourse. This series, a resounding phenomenon of the Reagan years, openly breaks the boundary between art and pornography.

When porno and the queer question meet

 

Sexual organs spread in art from the 1960s to the present day, and often became allegories of social struggles​. In the 1970s, the international gay community discovered the powerful and evocative drawings of Touko Valio Laaksonen, better known as Tom of Finland. At a time when homosexuality was being repressed worldwide, the gay community found in these works the free expression of homoerotic fantasies that are supposed to remain hidden. Tom of Finland’s pornography has undoubtedly played a decisive role in the depiction of homosexual scenes, and shows how much sexual freedom goes hand in hand with individual freedom. 

 

 

Tom of Finland’s pornography has undoubtedly played a decisive role in the depiction of homosexual scenes, and shows how much sexual freedom goes hand in hand with individual freedom.

 

 

The pornographic image remains a reflection of the clichés that weigh on our societies. In his video The Fall of Communism as Seen in Gay Pornography (1998), artist William E. Jones undermined the Western fantasy of the Soviet man. The video showed castings of young men from Eastern Europe, obviously compelled to sell their bodies for money due to their social situation. The disturbed expressions on the faces of these young men – uneasiness for the viewer, excitement for the casting director – evoked a violent, dark but authentic image of the making of X films.

View of the “Art & Porn” exhibition, at the ARoS museum, in Aarhus, Denmark. Detail of Mike Bouchet’s “Untitled Video” (2011). Courtesy of Mike Bouchet, Marlborough Contemporary and Galerie Parish Kind. Photo by Anders Sune Berg.

Sexual freedom goes hand in hand with freedom of speech

 

The issue of pornographic images is intrinsically linked to the issue of freedom of speech. Wilhelm Freddie’s example shows that going against bourgeois norms changes minds. In the artist Sarah Lucas’ work, individuals, male or female, are reduced to their sexual organs. In the exhibition, a giant phallus crashes into a compressed car; an installation that humorously denounces the sexual and consumerist impulses of the standard man. In this rich body of work, the idea of these artists is not to present the cathartic reality usually produced by porn, used here for other purposes. The exhibition truly reflects the rich complexity of the relationship between art and sexuality or, by proxy, pornography.

 

The Art & Porn exhibition is on display at the ARoS Museum in Aarhus, Denmark, until Septembre 8.

Monica Bonvicini, “No More #1”, doubles letters in neon, aluminium frames and electrical cables (2016). Courtesy of Monica Bonvicini © Monica Bonvicini and VG Bild-Kunst. Photo by Jens Ziehe.