17 mar 2022

Francis Kéré, premier architecte africain à remporter le prix Pritzker, en 3 projets visionnaires

C’est la distinction la plus prestigieuse dans le monde de l’architecture. Créé en 1979 par la Pritzker family à Chicago, le prix Pritzker vient de dévoiler son nouveau lauréat : Francis Diébédo Kéré. À 56 ans, le Burkinabé d’origine et Allemand d’adoption doit sa notoriété à ses projets ambitieux dans son pays de naissance mais aussi au Mali, au Kenya, au Bénin ou encore aux États-Unis, faisant chaque fois appel aux ressources matérielles et humaines locales tout en donnant accès à des structures scolaires, médicales ou politiques dans les villes et régions qui en manquent. Il devient à cette occasion le premier architecte africain à remporter le prix

 

Francis Kéré, Gando Primary School. Photo courtesy of Erik-Jan Owerkerk

1. École de primaire, Gando (2001) : un projet de terrain pour une meilleure éducation

 

 

En 1998, Francis Kéré crée à Berlin la Kéré Foundation e.V. avec pour ambition de “rendre à la communauté de Gando ce qu’elle lui a donné” en améliorant ses conditions de vie des habitants du village burkinabé par des actions très concrètes. L’école primaire de Gando en sera le premier grand projet. Construit en 2001, tout en longueur et de plain-pied, le bâtiment fait de briques à base de ciment et de terre de la région témoigne des engagements du jeune architecte : mobiliser des ressources naturelles et artisans locaux en intégrant le moins d’équipements artificiels possible (éclairages, climatisation…). Marqué par son expérience dans des salles de classe suffocantes et mal ventilées, l’artiste fait en sorte de faire entrer l’air et la lumière naturelle dans le bâtiment par les fins interstices de stores colorés, tout en permettant à l’air chaud de ressortir par les perforations du toit en étain, qui protège de la pluie les murs de briques poreux. Afin que la toiture métallique ne retienne pas la chaleur dans le bâtiment, celle-ci est habilement surélevée et inclinée pour faire obstacle aux rayons du soleil. Depuis sa création, l’école primaire de Gando s’est largement développée, augmentée d’un nouveau bâtiment dédié aux salles de classe, d’une bibliothèque et d’hébergements pour ses professeurs. Elle accueille aujourd’hui 700 élèves.

Francis Kéré, Burkina Faso National Assembly, rendering courtesy of Kéré Architecture.

2. Xylem, Montana (2019) : un pavillon chaleureux à base de bûches de pins

 

 

En 2017, Francis Kéré réalise le prestigieux pavillon de la Serpentine Gallery, structure éphémère en plein Hyde Park commandée chaque année à un studio d’architectes. Lumineuse et aérée, sa création se distingue par son utilisation étonnante du bois, coupé, peint en bleu et empilé pour dessiner des triangles en relief dont le motif abstrait n’est pas sans rappeler les tissus africains. Car le bois est l’un des matériaux favoris de l’architecte. Dans une forêt non loin des monts Beartooth au Montana, Francis Kéré installe deux ans plus tard un nouveau pavillon au milieu des trembles et des peupliers, dans le centre d’art à ciel ouvert Tippet Rise Art Centre. De forme circulaire, l’architecture est réalisée à base de centaines de bûches de pins de la région américaine, agglomérées dans des alvéoles en acier. Sous le toit, ces fagots semblent tomber du plafond tels des stalactites tandis qu’au sol, ils forment un mobilier chaleureux qui invite à s’asseoir. Intégralement ouverte, la structure s’inspire des toguna, ces espaces aux airs d’agoras des villages dogons du Mali où les habitants se réunissent pour parler de la vie en communauté.

Francis Kéré, Xylem. Photo courtesy of Iwan Baan

3. Assemblé nationale du Burkina Faso, Ouagadouou (en cours, depuis 2015) : une utopie citoyenne
 


Ouagadougou, 30 octobre 2014 : des centaines de citoyens burkinabés hostiles à leur président Blaise Compaoré, qui tente de briguer un nouveau mandat, manifestent leur colère en incendiant l’Assemblée nationale. Invité en 2015 à créer un bâtiment sur les ruines de celui qui vient d’être détruit, Francis Kéré s’inspire de ce moment pivot dans l’histoire politique du Burkina Faso pour imaginer une structure pyramidale à degrés offrant une vue imprenable sur la capitale. Grâce à cette architecture, le bâtiment pourra accueillir sur ses étages extérieurs un espace de restauration, des parterres de fleurs locales, et même un grand arbre traversant une toiture ouverte. À l’intérieur, on trouvera notamment une salle à gradins pour réunir les 127 membres de l’Assemblée nationale, tandis qu’un espace de circulation permettra au public de traverser le bâtiment. Des espaces d’exposition et un monument en l’honneur des civils ayant perdu la vie durant les manifestations sont également à prévoir dans ce projet entamé il y a sept ans, dont l’avancement a été depuis interrompu par la situation politique du pays. Dans l’attente que l’on considère à nouveau la force d’une démarche ambitieuse, pensée pour ouvrir le dialogue entre citoyens et politiciens.

Lorsque Francis Diébédo Kéré est né en 1965 à Gando, au Burkina Faso, il n’y avait dans son village ni électricité, ni eau courante, ni école, ni système de soins. Une situation d’une grande précarité qui a rapidement amené chez le jeune homme une volonté de revanche : contraint de quitter sa famille à l’âge de sept ans pour aller étudier à 30 kilomètres de son foyer, le Burkinabé se jure qu’il fera tout pour apporter à sa région les infrastructures dont elle manque. Promesse tenue. En 1998, le charpentier de formation, ensuite diplômé d’architecture à l’université technique de Berlin, crée dès la fin de ses études une association pour subvenir aux besoins de son village. Après y avoir installé une école primaire, son premier projet abouti, l’Allemand d’adoption étend son champ d’action au reste du pays en construisant un lycée ici, un centre de santé là, puis un campus au Kenya, ou encore très récemment l’Assemblée nationale du Bénin, projet toujours en cours… Désireux de mobiliser les ressources matérielles et humaines locales, l’architecte encourage un circuit court qui fait appel aux artisans de la région, grands connaisseurs de leur environnement, tout en leur offrant des opportunités d’ampleur qui les valoriseront sur le marché du travail. Une approche qui n’a pas manqué de séduire le jury du prix Pritzker : après le couple de Français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal en 2021, celui-ci a récompensé cette année Francis Kéré de 100 000 dollars et d’une médaille de bronze. L’occasion de revenir sur sa démarche en trois projets marquants.