9 mar 2023

Exposition : les grandes obsessions de David Hockney au musée Granet

Star internationale de l’art contemporain et de son marché, le peintre David Hockney a traversé plus de six décennies et présente désormais un échantillon de son travail dans une grande exposition personnelle au musée Granet d’Aix-en-Provence. Entre les piscines et la haute société, retour sur certaines de ses grandes obsessions à travers trois chefs-d’œuvre exposés, éclairés par la commissaire de l’exposition Pamela Grimaud.

David Hockney, « Water made of lines », 1978-1980, lithographie sur papier, 75 x 86,7 cm, Tate, don de Tyler Graphics Ltd en l’honneur de Pat Gilmour, Département des estampes de la Tate 1974-1977, 2004, © David Hockney / Tyler Graphics Ltd. Photo Credit : Richard Schmidt

2. Water Made of Lines : l’eau, ou le calme avant la tempête

 

En 1967, David Hockney peint A Bigger Splash, le plongeon le plus célèbre de l’histoire de l’art. Dans le décor ensoleillé d’une piscine de Californie, des éclaboussures blanches maculent le bleu de l’eau du bassin et perturbent cette composition géométrique, évoquant la scène qui vient de survenir : une personne a sauté du plongeoir jaune pâle pour s’immerger sous l’eau, échappant totalement au regard du spectateur. Si ce célèbre tableau n’est pas présent dans l’exposition du musée Granet – trésor bien gardé de la Tate Modern de Londres –, une œuvre similaire dessinée dix ans plus tard par l’artiste comble son absence. Dans cette lithographie intitulée Water Made of Lines, représentant également une piscine pleine et un plongeoir, David Hockney continue d’explorer les sujets qui l’obsèdent lors de sa vie à Los Angeles à la fin des années 60, incarnés par une couleur : le bleu – de l’eau, du ciel, des bassins ou encore de l’océan Pacifique. Depuis le hublot des avions qu’il emprunte lors de ses voyages à travers les États-Unis, Hockney se fascine pour la forme courbe des piscines, omniprésentes dans les quartiers résidentiels huppés de la ville, et la démultiplie dans ses œuvres pour traduire l’ondulation de l’eau. Un motif réniforme qui se retrouve dans beaucoup de ses tableaux comme Garden with Blue Terrace (2015), The Wave (1990) ou au sein d’une composition géométrique dans The Splash (1966). Selon Pamela Grimaud, la scène représentée par l’artiste semble être celle de l’attente d’une action soudaine annoncée par le mouvement de l’eau. Un événement qui, comme dans la toile A Bigger Splash, viendrait alors perturber ce moment paisible.

Mr & Ms Clark & Percy, 1970-1971, acrylique sur toile, 213,4 x 304,8 cm, Tate, don des Amis de la Tate Gallery 1971, © David Hockney, Photo : Tate

1. Mr & Ms Clark & Percy : petits secrets de la haute société

 

Près de dix ans après avoir obtenu son diplôme au Royal College of Arts, David Hockney revient dans la capitale britannique, qu’il avait quittée pour s’installer à Los Angeles au milieu des années 60. À Londres, il profite de l’effervescence des swinging sixties et fréquente de nombreuses figures éminentes de l’époque, dont il peint le portrait : le conservateur Henry Geldzahler, le danseur Wayne Sleep, le politique George Lawson ou encore… ses propres parents. Ceux-ci sont la plupart du temps représentés au sein de décors d’intérieur intimistes, dans la tradition des “conversation pieces”, portraits de groupe dont les personnages sont capturés dans des situations de la vie quotidienne. C’est le cas du créateur de mode très influent Ossie Clark, de sa femme Celia Birtwell et de leur chat Percy, que l’artiste britannique peint en 1971 dans Mr & Mrs Clark & Percy. Sur ce tableau de deux par trois mètres, les deux époux sont tournés l’un vers l’autre mais ne se regardent pas, dirigeant leur attention vers le troisième protagoniste du tableau, invisible mais omniprésent : David Hockney.

 

Pour la commissaire Pamela Grimaud, leurs regards traduisent respectivement leur relation avec le peintre britannique. Celui de Celia Birtwell est doux et son attitude est bienveillante, tandis que celui d’Ossie Clark est aguicheur et son allure plus nonchalante. Car la première est une des muses de l’artiste, qui la représentera toute sa vie, et le second est un de ses amants, qu’il fréquente avant son mariage. Inspiré par les nombreuses représentations de l’Annonciation dans l’histoire de la peinture occidentale, David Hockney peint à côté de Celia Birtwell un bouquet de fleurs de lys, symboles de la pureté et associées à la Vierge, afin d’évoquer sa grossesse qui n’est ici pas montrée. Il bouscule toutefois la tradition biblique en représentant la femme debout, telle l’incarnation de la stabilité du couple, à l’inverse de son époux, assis de manière instable, comme s’il semblait prêt à partir. L’artiste choisit comme attribut pour ce dernier une cigarette et un téléphone, allégories de de ses sorties mondaines et de ses relations sociales. Personnage de la composition sans l’être vraiment, Hockney se représente discrètement sur le mur de leur séjour à travers une de ses gravures, issue de sa série La carrière d’un libertin (1961)… Comme le dernier membre de ce triangle amoureux.

David Hockney, « A Bigger Card Players », 2015, dessin photographique imprimé sur papier et monté sur cadre aluminium, exemplaire 11/12, 177 x 177 cm, Galerie Lelong & co, Paris, © David Hockney

3. A Bigger Card Players : inscrire son nom dans l’histoire de la peinture

 

Tout au long de sa carrière, David Hockney n’a cessé de s’inspirer des grands maîtres de l’histoire de l’art : Fra Angelico, Henri Matisse, Fernand Léger, Pablo Picasso ou encore Paul Cézanne. C’est à ce dernier que le Britannique rend hommage en 2015 dans A Bigger Card Players, explicitement inspirée du célèbre chef-d’œuvre Les Joueurs de cartes (1890-1895) du peintre aixois. David Hockney propose ici une version moderne de cette toile majeure de la fin du 19 siècle, représentant des ouvriers du sud-est de la France réunis dans un café en fin de journée pour jouer aux cartes. Outre la position des protagonistes, identique à l’œuvre d’origine, le peintre ajoute une autre référence au tableau original en accrochant au mur un sarrau, bleu de travail traditionnel portés par les paysans et ouvriers provençaux. Plus implicite, son travail de la perspective renvoie aux recherches de Cézanne sur la déconstruction de l’image plane et, par conséquent, du réalisme pictural : ainsi, Hockney représente la table verte au premier plan dans le sens inverse de la perspective traditionnelle, afin que le point de fuite sorte du tableau pour se diriger vers son spectateur et l’inclure dans la représentation. Au-delà de ces clins d’œil apparents à son aîné, A Bigger Card Players inscrit également David Hockney dans cette lignée de grands peintres en intégrant des fragments de sa propre carrière à la composition. Les yeux les plus connaisseurs reconnaitront ainsi en arrière-plan les reproductions de deux de ses toiles, Card Player #3 (2014) et Pearlblossom Highway (1986), véritable mise en abîme composée par collage numérique. L’artiste continue ainsi d’explorer son concept de “dessin photographique”, entamé dans les années 70, dans lequel il compose tantôt des œuvres à l’aide de dizaines de Polaroids colorés juxtaposés sur une toile, tantôt à l’aide de logiciels de traitement d’images, comme pour A Bigger Card Players.

 

 

David Hockney, collection de la Tate, jusqu’au 28 mai 2023 au musée Granet, Aix-en-Provence.

David Hockney, « In the Studio », 2017, dessin photographique imprimé sur 7 feuilles de papier, monté sur 7 feuilles de Dibond, 278 x 760 cm, assisté de Jonathan Wilkinson. Tate : don de l’artiste 2018. © David Hockney

4. In the Studio : du polaroid au numérique 

 

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Exposition “David Hockney, collection de la Tate”, jusqu’au 28 mai au Musée Granet, Aix-en-Provence.