Les pires châtiments infligés aux fous exposés au musée du Louvre
Jusqu’au 3 février 2025, le musée du Louvre consacre une grande (et dense) exposition aux Figures du fou, du Moyen Âge à la fin du 19e siècle. Visages tordus par la démence, corps en proie à des supplices effroyables… De la périlleuse fonction de bouffon du roi à l’opération dite “lithotomie” en passant par l’enfer des hôpitaux psychiatriques, retour sur les pires châtiments réservés aux fous à travers l’histoire.
Par Camille Bois-Martin.
Dès l’entrée dans l’exposition “Figures du fou” au musée du Louvre, le thème est clair : au Moyen Âge, les fous sont avant tout associés à la religion. Incarnation de ceux qui se refusent à Dieu, ils symbolisent pour les fidèles l’exemple à ne pas suivre, se livrant à l’oisiveté, la lubricité ou encore la paresse. Autant de concepts qui les assujettissent à de nombreux châtiments, dont on retrouve différentes représentations au sein d’un parcours rythmé par plus de 300 œuvres, datées du 13e au 19e siècle.
Représenté dans la marge des illustrations du Nouveau Testament ou encore dans les sculptures qui ornent les cathédrales gothiques, le fou imbibe progressivement la culture populaire et émerge comme un personnage à part entière de la société, échappant à la fiction. À l’image, notamment, des bouffons de la cour royale, contrastant, par leur démence, avec la sagesse des souverains. Institutionnalisé, leur rôle se décompose selon deux terminologies : le fou “naturel”, autrement dit “simple d’esprit” ou infirme, et le fou “artificiel”, plein d’esprit et de malice.
Exil, exorcisme : les châtiment des fous au Moyen Âge
Bien que l’on ne garde que peu de traces des “fous” présents dans la société, si ce n’est par leur statut juridique et religieux marginalisé les empêchant de se marier, de communier ou de profiter du droit civil, la vie de ceux intégrés à la cour s’avère en revanche largement documentée. Comme l’une des figures les plus célèbres de l’histoire, Triboulet, bouffon bien-aimé du roi François Ier dont on connaît aujourd’hui de nombreux portraits en médaille (un honneur normalement réservé aux penseurs, artistes et princes).
Apprécié pour son humour franc et pour ses scènes de démences excentriques (il frappa à coups de bâton un prêtre en pleine cérémonie), ce dernier trouva néanmoins une limite à sa folie : alors qu’il se moque d’une courtisane du roi, ce dernier, vexé, le condamne à mort, et lui demande de choisir la façon dont il souhaite mourir. Triboulet lui rétorque qu’il aimerait mourir de vieillesse… Une dernière extravagance, à laquelle François Ier se montre sensible en décidant de le condamner à l’exil.
Tous n’auront pas eu la même chance. Faute de pouvoir amuser la cour ou après avoir fait la blague de trop, nombre de bouffons subissent les châtiments d’une société pétrie par la foi chrétienne et finissent exorcisés (pour éloigner l’esprit “diabolique” responsable de leur démence), sont sujets à des saignées (pour les “purifier”) ou atterrissent parfois sur la table d’opération d’un médecin, persuadé de pouvoir retirer le morceau “malade” de leur cerveau…
La lithotomie, un remède à la folie, entre médecine et torture
À la fin de l’époque médiévale et au début de l’époque moderne naît en effet une croyance pour le moins surprenante : une pierre de folie, située dans le crâne, serait responsable de la maladie mentale des fous. Une simple opération, appelée lithotomie, permettrait alors de la retirer, et de les guérir de tous leurs maux.
Mythe ou véritable pratique, cet acte chirurgical alimente l’imaginaire de beaucoup d’artistes au 16e siècle, qui le représentent de manière explicite. Sur les cimaises du musée du Louvre, on retrouve notamment une peinture de Jérôme Bosch où un homme, crâne ouvert, se fait retirer une fleur du cerveau par un médecin à l’aide d’une petite lame aiguisée. Symbole des plaisirs de la chair, cette fleur remplace ici la pierre de folie et sous-entend que la maladie du patient ne serait autre que la luxure… Loin des peintures foisonnantes de détails que l’artiste a pourtant l’habitude de peindre, cette toile se concentre sur une scène en particulier, au sein de laquelle la précision de Bosch pousse l’atrocité (et l’ironie) à son paxorysme.
Tout près, une autre œuvre abondante en détails exemplifie avec ironie cette pratique. Signée Pieter van der Heyden (d’après un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien), la gravure déploie une foule ramassée de “fous” qui se bouscule afin de se faire opérer – ou bien pour espérer observer ce spectacle morbide.
Au milieu de cette cohue, les chirurgiens, bras tendus vers les bourses d’argent des clients plus que vers leurs outils d’opération, soulignent l’aberration de ce type d’expérimentation. Caché sous une table, l’un deux fait un clin d’œil au spectateur, complice de cette pratique de charlatan, tandis que d’autres malheureux se tordent de douleur, le crâne ouvert, alors que l’on tente de leur retirer le fameux caillou.
Les hôpitaux psychiatriques, de Paris à Saragosse
À la fin du 18e siècle, et avec l’apparition des premières notions des Droits de l’Homme, la considération des maladies mentales évolue. Pour étudier les crises de démence et les différentes pathologies, de nombreux scientifiques se plongent dans le quotidien des premiers hôpitaux psychiatriques où les “fous” sont alors entassés. Un questionnement (ou une curiosité morbide) qui gagne également les artistes de l’époque, tel Francisco de Goya qui, atteint de surdité, décide de passer sa période de convalescence entre les murs de l’hôpital de Nuestra Señora de Gracia à Saragosse.
Avide de ce type de sujet funeste, le peintre espagnol y réalise une série de tableaux où “le caprice et l’invention n’ont pas leur place” (lettre de 1794), tant ce qu’il y voit suffit à épancher sa soif d’horreur. Un en particulier, exposé au musée du Louvre, témoigne de son expérience : intitulé L’Enclos des fous, il représente une lutte entre deux corps nus, fouettés à coups de verge par un gardien malveillant, tandis que d’autres malades autour rampent au sol, les encouragent ou regardent les spectateurs droit dans les yeux, d’un regard vide terrifiant. Le traitement “flou” de la toile, plongée dans une obscurité déconcertante, ajoute à la folie de la scène dépeinte.
Inspirée d’une scène observée par Goya dans l’établissement, la toile montre l’enfermement forcé et mal accompagné des malades mentaux jusqu’à la fin du 18e siècle, avant l’apparition des premières études sur la psychologie. De l’autre côté de la frontière, à Paris, l’hôpital de la Salpêtrière devient un lieu symbolique de ces évolutions autour du médecin aliéniste Philippe Pinel, fondateur de la psychiatrie en France, et de son élève Jean-Étienne Esquirol.
Ensemble, ils parviennent à dissocier la folie des vices et de l’imaginaire criminel auxquels elle est associée, et retirent aux aliénés hospitalisés les fers auxquels ils étaient jusqu’alors accrochés chaque jour. Au Louvre, un large tableau de Robert-Fleury de 1795 – bien loin des vices et de l’image sombre de la toile de Goya – représente ces médecins dans la cour de l’asile pour femme de la Salpêtrière en train de libérer les patientes de leurs entraves, témoignant du passage à une prise en charge plus raisonnée (et scientifique) de la folie. Tapis dans l’ombre, les médecins et spectateurs observent le personnage féminin libéré de ses chaînes, éclairé par un halo de lumière prémonitoire…
“Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques”, exposition jusqu’au 3 février 2025 au musée du Louvre, Paris 1er.