Art

20 juin 2025

Nouveau Printemps : 5 œuvres engagées à découvrir au festival

Jusqu’au 22 juin prochain, le Nouveau Printemps investit les rues de Toulouse. La manifestation d’art contemporain distille dans la Ville Rose une myriade d’œuvres centrées sur les questions de la famille et de la communauté, avec une curation assurée par le DJ et icône de mode Kiddy Smile. Alors que s’ouvre le dernier week-end du Nouveau Printemps 2025, ce dernier revient avec Numéro sur les cinq temps forts à découvrir absolument avant la fin du festival.

  • par Jordan Bako.

  • Le Nouveau Printemps : le rendez-vous toulousain de l’art contemporain

    D’abord imaginé à Cahors sous un format biennal – portant alors le nom de Printemps de Cahors –, le Nouveau Printemps s’est institué comme le rendez-vous de l’art contemporain toulousain, depuis son installation dans la Ville Rose en 2023. La programmation du festival est curatée chaque année par un artiste associé, s’emparant d’un quartier différent de la ville. Un dispositif visant à embrasser tous les horizons de la culture…

    Et après la designer Matali Crasset sous le signe de l’écologie puis le cinéaste Alain Guiraudie sur le thème de l’avenir et les nouvelles technologies, c’est au tour de l’artiste Kiddy Smile, d’assurer cette année la curation de l’évènement aux côtés du directeur artistique du Nouveau Printemps Clément Postec.

    Ouvert jusqu’au 22 juin 2025, le Nouveau Printemps se colore ainsi de la thématique de la famille cette année : celle que l’on choisit, unie par les liens de l’âme plutôt que par ceux du sang. Un fil conducteur politique, en résonance avec l’engagement que l’on connaît à l’artiste issu de la culture ballroom.

    Une édition 2025 curatée par Kiddy Smile

    Au sujet de son rôle d’artiste associé, Kiddy Smile confie : “À travers mon parcours artistique et les opportunités que j’ai pu saisir, j’ai aujourd’hui accès à des espaces où les personnes qui me ressemblent sont très peu représentées. Or, ma famille de cœur me ressemble, parce que nous partageons des traumas communs, mais aussi
    des trajectoires diasporiques communes.

    À l’intersection des questions queer et raciales, cette nouvelle édition du Nouveau Printemps se complète également d’une exposition collective intitulée Faire famille, dont le commissariat est assuré par Yandé Diouf. “Je voulais emmener avec moi ma famille choisie, ma communauté.” ajoute Kiddy Smile. “Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir les portes, mais de les maintenir ouvertes pour celles et ceux qui viendront après moi.

    S’ajoutent aux festivités une série d’évènements culturels, à l’instar de projections, de vernissages et de concerts, relayant le beau message porté par l’artiste au sein de cette édition. Éparpillées aux quatre coins du quartier Saint-Sernin / Arnaud-Bernard, les œuvres réunies à l’occasion de cette manifestation retranscrivent ainsi cette nécessité de l’art de répondre à des enjeux sociaux et politiques. Zoom sur cinq propositions qui ont retenu l’œil de Numéro, et commentées exclusivement par Kiddy Smile.

    Joséfa Ntjam et Tarek Lakhrissi à la chapelle des Carmélites

    À la chapelle des Carmélites, institution affectueusement surnommée la Chapelle Sixtine toulousaine par ses fresques murales peintes au plafond, deux mondes se rencontrent. Pour la première fois de leur carrière, Joséfa Ntjam et Tarek Lakhrissi font œuvre commune dans le cadre du Nouveau Printemps. Deux artistes hétéroclites : en effet, la première panse les blessures infligées par le colonial en mettant ses victimes au centre de mondes de science-fiction, aux moyens de l’art vidéo, de l’impression 3D et de la sculpture. Quant au second, il croise vidéo, poésie et peinture pour imaginer de possibles avenirs. 

    C’est peut-être en cela que tient la passerelle entre ces deux propositions : penser le pouvoir émancipatoire de l’image. Si l’une étaye une réflexion décoloniale, mûrie des mémoires de la guerre d’indépendance camerounaise, l’autre narre plutôt une histoire d’amour fantastique, mettant toute convention au défi. Ces propositions artistiques se nourrissent ainsi l’une de l’autre, formulant ensemble un propos à rebours des rapports de pouvoir communément institués.

    Le mot de Kiddy Smile

    Au départ, les invitations de Tarek Lakhrissi et Joséfa Ntjam étaient deux invitations séparées. Mais quand Tarek et Joséfa ont compris qu’ils étaient tous les deux invités au Nouveau Printemps, et qu’ils ont commencé à en parler ensemble, l’envie de collaborer est née très naturellement entre eux. Et c’est justement ce que je trouve fort : parce qu’on a une curation cohérente, portée par des valeurs communes, cela crée un terrain propice à l’émergence de liens, de ponts entre les artistes. Parfois, ce sont desartistes qui sont amis depuis longtemps, mais qui n’ont jamais eu l’opportunité, ni même l’espace, pour réellement collaborer.

    Les œuvres de Roméo Mivekannin au Lieu-Commun et au musée Saint-Raymond

    Dans cette édition du Nouveau Printemps, les toiles de Roméo Mivekannin sont à retrouver comme dans un jeu de piste. Intégrées à l’exposition collective “Faire famille”, ses œuvres s’exposent ici et là, au musée Saint-Raymond comme au Lieu-Commun, ancien espace industrie réinventé en lieu d’art contemporain. D’origine béninoise, l’artiste peint sur des toiles sans cimaises, plongées au préalable dans une décoction de plantes selon un rituel vaudou.

    Il revisite des motifs récurrents de l’histoire de l’art en remplaçant ses personnages principaux par son propre visage. Réhabilitant ainsi les figures noires, longtemps oubliées par cette dernière… Dans son interprétation de la figure de la Pietà, exposée à la chapelle des Cordeliers, le visage de Roméo Mivekannin se cerne d’un halo doré, étreignant par ses bras un corps mourant. Mais malgré la tragédie représentée, c’est le regard du peintre qui continue de nous hanter, semblant fixer le spectateur pour l’éternité.

    Le mot de Kiddy Smile

    Le travail de Roméo Mivekannin me touche profondément, parce qu’il interroge la mémoire, les corps, les représentations coloniales et des sujets qui résonnent directement avec nos trajectoires diasporiques et nos histoires partagées. C’est la brillante Yandé Diouf, commissaire de cette exposition collective, qui m’a présenté son travail.

    Roméo a cette capacité rare à proposer un regard critique tout en restant dans une forme de beauté, de poésie, de sensibilité. C’est aussi un artiste qui questionne de manière très frontale ce que c’est d’être noir·e dans les espaces institutionnels de l’art. Et, pour moi, c’était important que ces questions soient visibles et présentes dans plusieurs lieux du festival, qu’elles circulent, qu’elles dialoguent avec les publics.

    Verena Paravel, Alice Diop et Penda Diof à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine

    Toutes deux réalisatrices, Verena Paravel et Alice Diop quittent le monde des écrans avec le Nouveau Printemps. Elles s’allient à l’autrice et comédienne Penda Diouf pour imaginer une installation intitulée “Est-ce que je peux pleurer avec toi ?”. Nichée dans une petite salle de la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine toulousaine,leur œuvre ne distingue pas au premier regard.Les murs de la pièce se couvrent de papier peint légèrement suranné, sertis de photographies encadrées – comme pour reproduire l’atmosphère tranquille d’un salon. 

    Au centre de la salle, une table basse drapée d’un tissu noir et clairsemée de coussins, avec une boîte en son centre qui s’apparente à une grande boîte de Pandore. Légués en héritage, les clichés qu’on y découvre sont d’une cruauté insondable. Des corps excisés immortalisés en gros plan sur papier glacé – alors utilisés en guise de carte postale par des prochesde Verena Paravel. Entre deux chairs mutilées, se dévoilent des photographies de l’artiste enfant, issues d’un âge tendre passé dans divers pays d’Afrique. La juxtaposition des images souligne alors le pouvoir insidieux du regard colonial : celui de transformer la violence en banalité. La voix de Penda Diouf achève enfin de mettre des mots sur ce qui aurait pu ne rester que de l’ordre de l’image.

    Le mot de Kiddy Smile

    En invitant Verena, Alice et Penda, je trouvais intéressant de rappeler la violence du regard colonial avec cette installation justement parce que la fête ne doit pas être un espace d’oubli. Je crois profondément qu’on peut célébrer, se retrouver, partager de la joie tout en gardant la mémoire des violences et des luttes qui nous traversent.

    La fête a souvent été, dans nos communautés, un espace de résistance. On y danse, on y rit, mais en portant nos cicatrices avec nous, en les sublimant parfois. Rappeler ces violences, qu’elles soient coloniales, patriarcales ou liées au contrôle des corps, dans un événement festif, c’est donc affirmer qu’on ne les met pas de côté, qu’on ne les efface pas pour pouvoir “s’amuser”. Au contraire : on célèbre aussi pour survivre à ces violences, pour leur opposer la force de nos existences et de nos créations.

    L’installation de Brandon Gercara à l’université Toulouse Capitole

    Figure de proue de la réflexion kwir (terme désignant l’intersection entre l’identité queer et réunionnaise), Brandon Gercara élit aujourd’hui domicile à l’université Toulouse Capitole. Dans un ilôt fraichement inauguré en marge du bâtiment principal, l’artiste déploie une œuvre intitulée Magic Kwir. À la croisée de la littérature afro-futuriste et de la performance, Brandon Gercara comble les silences d’entités invisibilisées, mobilisant l’emploi du créole réunionnais comme un moyen de fédérer.

    D’un poème écrit à la suite d’une agression d’une amie à une série de nouvelles fantastiques centrée sur des personnages queer et réunionnais, en passant par le vogoya, forme de danse hybride inventée par Brandon Gercara entre le voguing et le Maloya, danse traditionnelle réunionnaise… L’artiste tapisse ainsi les murs de l’université de récits frondeurs, réquisitoires d’une jeunesse résiliente.

    Le mot de Kiddy Smile

    Cette intersection me parle énormément, parce qu’elle fait écho à ma propre expérience et à celle de ma communauté. On ne peut pas penser la queerness comme quelque chose d’universel et détaché des contextes historiques et géographiques. Être queer à Paris, à New York ou à l’île de La Réunion, ce n’est pas la même chose, car les héritages coloniaux, les constructions sociales, les imaginaires collectifs y sont différents.

    Le travail de Brandon est précieux parce qu’il nous rappelle cela : que l’identité queer est traversée par des couches multiples, l’histoire coloniale, les migrations, les résistances locales. Il ouvre un espace pour penser une queerness décentrée, décolonisée, qui ne se conforme pas aux modèles dominants ou occidentaux, mais qui puise dans les cultures locales, dans les mémoires oubliées, pour se réinventer.

    André Atangana au centre culturel Bellegarde et à l’université Toulouse Capitole

    Ancien danseur, André Atangana a ensuite fait de la photographie et de la vidéo ses arts de prédilection. Collaborateur de longue date de Kiddy Smile, ses œuvres continuent de se teinter de ce goût pour le corps dans tous ses émois. Devant sa caméra, les courbes du corps sont sinueuses, entortillées – tantôt écrasées par les lois de la gravité, tantôt élevées vers le firmament. Dans Uprooting, le projetvidéotourné lors de sa résidence à Toulouse et qu’il défend au centre culturel Bellegarde, André Atangana questionne les reconfigurations de la masculinité noire. Comment regarder le corps noir masculin, à la fois fétichisé et ostracisé ? Comment se réconcilier avec son enfant intérieur lorsque aucune brèche de vulnérabilité n’est permise ?

    Au travers de cette œuvre, André Atangana suit ainsi trois danseurs noirs dans leur quête personnelle sur la masculinité. Trois âmes, issues d’origines géographiques différentes, qui se rencontrent à traversla danse. Imprimées en noir et blanc, des photographies issues de ce projet s’emparent des murs de l’université Toulouse Capitole, exposant ainsi dans un lieu public toute la puissance latente d’un instant de complicité.

    Le mot de Kiddy Smile

    Il était primordial pour moi d’inviter des artistes qui font partie de mon environnement, de mon cercle proche, et qui ont contribué à façonner mon image autant qu’à nourrir mon parcours artistique. André faisait évidemment partie de ces personnes qui m’accompagnent et qui portent des messages essentiels. Lorsqu’on m’a proposé d’inviter des artistes, mon premier choix s’est naturellement porté sur lui.

    Son projet, dans le cadre du festival, consistait alors à partir en résidence à Toulouse pour rencontrer des communautés locales et interroger ce que signifie aujourd’hui être un homme noir au pluriel, et comment cette identité est représentée. Cette démarche a d’autant plus de sens que le festival est fondé sur l’idée de dialogue avec un quartier et en l’occurrence ici le quartier Arnaud-Bernard. André a été l’un des premiers artistes à se rendre à Toulouse, à rencontrer les habitants, à dialoguer avec eux.”

    Le Nouveau Printemps, 3e édition, festival du 23 mai au 22 juin 2025, à Toulouse.