13 juin 2019

Erwin Wurm, le maître de l’absurde exposé à Marseille

À Marseille, l’artiste contemporain est l'objet d'une grande rétrospective déployée dans trois lieux différents : le musée Cantini, le musée des Beaux-Arts et la chapelle de la Vieille Charité. Une occasion de redécouvrir l'humour et tout le travail autour de l'absurde de cet Autrichien qui s'est illustré aussi bien dans la sculpture que dans la vidéo ou la performance. À voir jusqu'au 15 septembre. 

L’artiste Erwin Wurm lors d’une de ses performances en 2012. © Gerald Y. Plattner / © ADAGP, Paris; 2019

Grande figure de l’art contemporain née en 1954, Erwin Wurm s’est rendu célèbre dès les années 1990 avec ses One Minute Sculptures (à Marseille, présentées au Musée des Beaux-Arts). Leur dispositif est extrêmement simple : un socle blanc sur lequel sont disposés divers objets du quotidien (balles de tennis, seaux à serpillères, bouteilles en plastique…) accompagnés d’un dessin expliquant comment le corps du spectateur est censé interagir avec l’œuvre. Une fois sur le socle, réifié comme une sculpture instable, burlesque et drolatique, le spectateur fait corps avec l’œuvre ou, pour ainsi dire, le corps du spectateur devient œuvre… au moins le temps d’une minute. Avec ces nouvelles formes plastiques où tout un chacun peut devenir art, l’artiste a vite conquis le monde. Jusqu’aux magazines de mode, par exemple lorsqu’il fit poser Claudia Schiffer en 2009 dans le Vogue allemand, où la mannequin allemande se prenait aux jeux de ses One Minute Sculptures, ou, plus récemment, dans la série Wunderkammer du troisième numéro de Numéro Berlin ou même en 2013, dans la 143e parution de Numéro Magazine, dédiée au “Corps”.

Erwin Wurm, “Fat Mini”, 2018, Techniques mixtes, 138 x 180 x 340 cm. Courtesy of Galerie Thaddaeus Ropac / © ADAGP, Paris, 2019

Dans la vidéo 59 Positions, c’est 59 fois l’artiste qui, devant la caméra, joue avec des pull-overs, qu’il porte en déformant le tissu, changeant ainsi son corps en sculpture approximative.

 

Sculpture, performance et aussi vidéo. À Marseille sont présentées deux des premières vidéos de l’artiste : Fabio Getting Dressed [Fabio s’habillant] et 59 Positions, datnt toutes les deux de 1992. Dans la première, l’artiste se présente en sous-vêtements pour s’emmitoufler jusqu’à étouffement sous la masse des couches successives des habits qu’il revêt. Dans 59 Positions, c’est 59 fois l’artiste qui, devant la caméra, joue avec des pull-overs, qu’il porte en déformant le tissu, changeant ainsi son corps en sculpture approximative. Une réflexion “insensée” sur les limites de notre corps. Le corps tel un volume que le sculpteur pourrait modifier. Prolongeant cette réflexion, l'année suivante, l'artiste a même produit un livre : From L to XXL in 8 days (1993). Tournant en dérision les livres de régime classiques, il invite les lecteurs à travailler sur le volume de leur propre corps, mettant à mal avec humour le diktat incessant de la minceur comme norme de la beauté.

À la Vieille Charité, imposante et monumentale avec ses 7 mètres de hauteur sur à peine 1 mètre 30 de largeur, l'œuvre Narrow House – la reproduction compressée de la maison des parents de l'artiste…

 

La sculpture chez Erwin Wurm interroge encore les formes conventionnelles, à travers des motifs surprenants : voitures bouffies, maquettes d’architecture boursouflées et fondantes, maisons étroites, sculptures performances ou encore stations de boissons (avec sa série des “Drinking Sculptures”)… À la Vieille Charité, imposante et monumentale avec ses 7 mètres de hauteur sur à peine 1 mètre 30 de largeur, l'œuvre Narrow House est en réalité la reproduction compressée de la maison des parents de l’artiste en Autriche, qui obstrue l’espace intérieur de la chapelle. Présentée la première fois à Venise en 2011, l’iconique Narrow House [Maison Étroite] fait écho à narrow-minded [étroit d’esprit]. Revue dans ce format étriqué, l’habitation de ses parents témoigne de l’étroitesse d’esprit qui caractérise l’Autriche des années 1980, de laquelle l'artiste est originaire. Une fois à l’intérieur, l'aspect cosy du vestibule, du séjour, de la chambre, de la cuisine, des WC et de la salle de bain, se transforme en sentiment d’angoisse et d’enfermement, où les couleurs criardes du papier peint (symbole ultime de la décoration typique des années 1980) viennent nous oppresser comme si nous étions prisonniers d’un mauvais voyage psychédélique.

L’artiste rend hommage aux grands architectes et décorateurs de l’époque, tout en nous alertant sur cet héritage en péril.

 

Le corps, grossi ou rétréci, galbé ou déformé, de l’humain ou de toutes sortes d'objets manufacturés, traverse l'ensemble de l’œuvre d’Erwin Wurm. Le volume, souvent exagéré, se fait le miroir de la société : de la surconsommation des masses et de l'occupation de l’espace urbain. Dans ses maquettes architecturales coulantes, Erwin Wurm pastiche les créations parmi les plus connues du siècle dernier : le musée Guggenheim de Frank Lloyd Wright, le Seagram Building de l'architecte du Bauhaus Mies van der Rohe, et la Villa Moller d’Adolf Loos à Vienne. Les façades sont obèses, les murs dégoulinent comme de la glace au soleil. L’artiste rend hommage aux grands architectes et décorateurs de l’époque, tout en nous alertant sur cet héritage en péril. Le grossissement ou la fonte des architectures ou des corps dans ses œuvres n’est pas seulement caractéristique d’un écœurement face à la surconsommation des images, publicitaires comme artistiques, dans notre société. Critique certes, Erwin Wurm rend hommage à ces figures par la satire, tel un iconoclaste qui reconnaît la puissance des œuvres qu’il détruit.

 

Exposition Erwin Wurm, au musée Cantini, à la chapelle du Centre de la Vieille Charité et au musée des Beaux-Arts, Marseille, jusqu’au 15 septembre.

Erwin Wurm, « Organisation of Love”, 2007, Performance, Durée variable. Photo : Wolfgang Guenzel / © ADAGP, Paris, 2019