En plein désert, l’artiste Olafur Eliasson crée de gigantesques mirages
L’artiste star Olafur Eliasson dévoile sa nouvelle intervention dans le désert du Qatar. Une expérience troublante.
Par Thibaut Wychowanok.
Star incontestée et populaire depuis son soleil monumental embrasant la Tate Modern en 2003 (The Weather Project), le Danois a depuis toujours vu plus grand, installant des cascades de 30 mètres de haut sur l’East River à New York (The New York City Waterfalls, 2008) ou le lit d’une rivière au cœur du musée Louisiana au Danemark (Rwiverbed, 2014). Sa nouvelle installation en plein désert du Qatar poursuit cette veine du gigantisme. Sur des centaines de mètres se déploient depuis peu 20 sculptures – abris et ombrières à la fois –auxquelles viennent s’ajouter des anneaux géants évoquant la porte des étoiles du film Stargate (1994). De l’ordre du mirage, Shadows Travelling on the Sea of the Day s’appréhende dans la durée. Celle, d’abord, de la découverte de l’œuvre à distance où l’intervention paraît presque anecdotique face à l’étendue du désert avant de se dévoiler dans sa monumentalité, à proximité. Chaque anneau se transforme alors en fenêtre sur le ciel, encadrant l’infini de l’univers. Le visiteur y découvre les miroirs qui recouvrent le dessous des abris pour refléter la terre et réfléchir les tubes de la structure qui s’y complètent pour former des cercles parfaits, symboles du cosmos. L’effet d’optique est saisissant. La désorientation totale. Le temps semble même s’arrêter pour maintenir le spectateur entre terre et terre, replié sur son propre reflet dans la pure expérience du monde et de son existence. Sensations, prise de conscience de soi en se confrontant aux phénomènes naturels… Les grands thèmes d’Olafur Eliasson sont tous présents.
“L’installation crée une mer d’interconnexions entre individus et paysage, une manière de mettre à l’épreuve sa connexion personnelle avec le sol”, explique-t-il sur place. Avec ces jeux de miroirs, le Danois renverse la perspective habituelle du paysage construit depuis la Renaissance à partir de l’œil de l’homme. Ce n’est plus seulement le visiteur qui regarde le désert, mais le désert qui regarde le visiteur jusqu’à l’engloutir. “Je me suis toujours demandé ce que voyait vraiment un miroir, ce que pouvait être son subconscient”, nous expliquait-il déjà lors de son intervention au château de Versailles en 2016. L’opposition nature/culture se voit dépassée pour célébrer une biosphère terrestre organique totalement connectée à l’humanité. “Je réfléchis toujours à la manière dont le public va appréhender mentalement l’exposition et en faire l’expérience”, poursuivait-il à Versailles. Elle est de l’ordre du sublime au Qatar, suscitant cette passion mêlée de terreur et de surprise décrite par le philosophe Edmund Burke en 1757. Un vertige face aux manifestations de la nature, un sentiment de sidération et de solitude, de respect et de crainte, face à ce qui est plus grand que lui.