13 avr 2022

Drag-queens et histoire coloniale : le Turner Prize 2022 dévoile quatre finalistes engagées

Depuis 1984, le Turner Prize récompense chaque année un artiste contemporain né ou vivant au Royaume-Uni pour sa pratique. Découvrez les quatre nouveaux finalistes sélectionnés pour la 38e édition d’un des plus prestigieux prix au monde. Leurs œuvres seront réunies dès la fin octobre à la Tate Liverpool avant l’annonce du lauréat en décembre.

Ces dernières années, le plus grand prix artistique britannique a enchaîné les coups de théâtre. Entre le Turner Prize 2019, dont les quatre finalistes ont demandé à se partager le prix et la somme totale de 40 000 livres, puis le Turner Prize 2020, transformé en bourse pour soutenir dix jeunes artistes à l’heure de la pandémie, ou encore le Turner Prize 2021, qui nommait pour la première fois cinq collectifs d’artistes au lieu de quatre artistes individuels dans sa sélection de finalistes, la récompense institutionnelle fondée en 1984 n’a pas hésité à bouger les lignes de son histoire. Pour sa 38e édition, le prix semble revenir à la tradition avec l’annonce ce printemps de ses quatre nouveaux finalistes, qui dénotent tout de même par leur engagement, la diversité de leurs pratiques et l’audace de leurs formes. Trois femmes et un·e artiste non-binaire composent désormais cette prestigieuse sélection : Heather Phillipson, Ingrid Pollard, Veronica Ryan et Sin Wai Kin. Soutenu par la Tate depuis sa création, le Turner Prize présentera les projets des quatre nommés dans son antenne de Liverpool dès la fin octobre, dans laquelle l’événement n’avait pas eu lieu depuis quinze ans, avant d’y dévoiler en décembre le nom du lauréat, qui succèdera au collectif irlandais Array Collective, et lui remettre le prix.

 

 

Poèmes, sculptures, œuvres sonores, installations fantasmagoriques étranges et parfois absurdes… L’œuvre audacieuse et multi-sensorielle de Heather Phillipson, première finaliste de la promotion 2022, séduit par ses formes ludiques et ses mystères magiques. En été 2020, la quadragénaire londonienne étonnait en faisant du quatrième socle de la très touristique place Trafalgar Square le support d’une glace à l’italienne géante, recouverte de crème chantilly et surmontée d’une cerise sur laquelle une mouche et un drone venaient se poser – une manière de moquer avec humour l’autorité politique et historique des statues érigées sur la place. C’est également la dimension sensorielle saillante dans le travail de Veronica Ryan qui a interpelé le jury du Turner Prize 2022. Âgée de 66 ans  la plasticienne utilise principalement la sculpture pour recomposer un monde où les éléments naturels se transforment, se décuplent, s’agrandissent ou changent complètement de contexte. Entre ses fruits géants des Caraïbes sculptés dans le bronze et le marbre et installés en octobre dernier sur la Narrow Way Square à Londres, hommages aux immigrants afro-caribéens débarqués en bateau au Royaume-Uni baptisés depuis “génération Windrush”, ses céramiques emballées dans des filets comme des fruits et ses textiles tissés et teints à la main, la Britannique utilise l’artisanat et la nature pour parler du sentiment d’appartenance et de déracinement, l’histoire collective des communautés qui peuplent le Royaume-Uni ou encore l’écologie

À travers son personnage de drag-queen, Sin Wai Kin – anciennement Victoria Sin – explore en vidéo, performance et objets divers les possibilités fictionnelles offertes par le travestissement, et les conditions réelles d’une existence à la frontière des genres. Si ses transferts de visages fardés laissées sur des lingettes démaquillantes avaient pu marquer les visiteurs de la dernière édition de la FIAC, c’est l’un des films de l’artiste trentenaire qui a conquis le jury du Turner Prize : réalisé en 2021, Dream of Wholeness in Parts s’inspire d’un texte du penseur taoïste Tchouang-tseu pour imaginer une fable onirique, croisant la tradition chinoise avec la culture drag contemporaine. Doyenne des quatre nommés, la dernière finaliste du prix Ingrid Pollard déploie depuis une quarantaine d’années une démarche de chercheuse, presque anthropologique, où la photographie a longtemps joué un rôle clé. De ses clichés et vidéos d’Afro-Britanniques dans la campagne anglaise réalisés dans les années 80 à ses récentes sculptures cinétiques inspirées par la représentation des personnages de couleur dans les films coloniaux, très appréciées du jury du prix, en passant par ses collages explorant la représentation du corps et du genre dans les médias des années 90, l’artiste née en Guyane en 1953 explore la place des individus dans la société à la lumière des questions raciales, de genre et de l’histoire. Une promotion variée et prometteuse qui, malgré la diversité des pratiques et des générations, met l’accent sur des problématiques très contemporaines qui résonnent tout particulièrement avec l’actualité du Royaume-Uni – et du monde.

 

 

Turner Prize 2022, exposition 20 octobre 2022 au 19 mars 2023, Tate Liverpool. Le prix sera remis en décembre à Liverpool.