15 sept 2021

Diptyque réunit artistes et créateurs dans une exposition visuelle… et olfactive

Cette année, la maison de parfumerie française Diptyque fête ses soixante ans d’existence. Un anniversaire qu’elle célèbre à travers plusieurs projets inédits tels qu’une collaboration avec des artistes contemporains – dont Hiroshi Sugimoto, Johan Creten et Rabih Kayrouz – sur la création de cinq œuvres olfactives inspirées par une région du monde, du Japon au Liban. Produites en édition limitée, les pièces sont à découvrir jusqu’au 24 octobre dans l’ancienne Poste du Louvre au sein d’une exposition qui célèbre le voyage comme expérience introspective et sensorielle.

Retour en 1794, en pleine Révolution française. En cette fin du siècle des Lumières, alors que la France expérimente un changement radical de régime où son peuple revient au sommet de l’État, l’écrivain savoyard Xavier de Maistre publie ce qui deviendra son œuvre la plus connue : Voyage autour de ma chambre. Autobiographique, le texte raconte l’exploration comique et poétique par un jeune officier de sa chambre, dans laquelle il se trouve enfermé suite à une blessure. Un récit qui démontre comment faire du nomadisme et de l’immobilité forcés le point de départ d’un imaginaire foisonnant, revenu particulièrement d’actualité après 2020 et l’expérience inédite des confinements dans le monde entier. Depuis le 10 septembre, l’héritage de cette approche se ravive également à Paris avec la toute première exposition de la maison de parfumerie Diptyque, qui l’organise pour célébrer ses soixante ans d’existence. Pour l’imaginer, l’enseigne parisienne s’est posé une question fondamentale : au-delà du visuel et du virtuel, supports fortement exploités depuis la pandémie, comment voyager aux quatre coins de la planète sans traverser les frontières de son pays, ni de sa ville ? Leur réponse fut bien évidemment de mobiliser l’odorat en mêlant le parfum à la matière. En résultent cinq œuvres olfactives, réalisées par autant d’artistes ou créateurs contemporains pour rendre hommage à l’histoire de la maison. Tous y ont intégré un parfum Diptyque inspiré par une région différente du monde, entre Paris, Venise, le Japon, la Grèce et le Liban.

Sublimés par les artistes invités, qui leur ont parfois apporté de légères modifications, les fragrances des œuvres sont aussi variées que leurs supports, tous réalisés à une taille réduite afin de concentrer leur odeur. Là où la jeune plasticienne sud-africaine Zoë Paul compose un petit rideau dont émane une effluve méditerranéenne emplie de cyprès et de figuiers, avec des perles en céramique modelées manuellement par des femmes originaires de la Grèce qui l’a inspirée, le grand photographe japonais Hiroshi Sugimoto encapsule dans une pyramide de verre miniature, bien plus rigide et épurée, l’odeur des champs d’agrumes d’une colline au centre du Japon. La ville de Venise et ses incontournables canaux se reflètent quant à eux dans les notes marines et la cire bleu azur d’une bougie parfumée, qui en fondant dévoilera une statuette en bronze créée par le céramiste Johan Creten à l’image d’une sirène, tandis que les ruines d’un temple de Byblos au Liban adoré par le couturier Rabih Kayrouz se matérialisent dans des escaliers, un coquelicot et une branche de cèdre en céramique, tous réduits à l’échelle miniature pour rentrer dans un coffret de bois et préserver leur senteur boisée. Évidemment la ville de Paris, siège historique de la maison française, est elle aussi à l’honneur : pour l’occasion, l’artiste malgache Joël Andrianomearisoa s’est plongé dans le passé littéraire de la capitale, berceau d’inspiration des écrivains, et a parfumé 34 poèmes sur feuilles blanches d’une fragrance fumée et domestique rappelant aussi bien l’odeur du tabac que du feu de cheminée.

Vues de l’exposition “Voyages immobiles“ de Diptyque à la Poste du Louvre, Paris, 2021.

Produite en édition limitée à une dizaine jusqu’à une trentaine d’exemplaires selon les artistes, chacune de ces œuvres olfactives s’ajoute au catalogue de vente de la maison comme un objet de collection, et forme le cœur de l’exposition présentée par Diptyque jusqu’au 24 octobre. Dans l’un des espaces de l’ancienne Poste du Louvre, qui rouvre ses portes après cinq ans de travaux, elles jalonnent un parcours décrit comme un “cadavre exquis” par Jérôme Sans, commissaire de l’exposition et cofondateur du Palais de Tokyo, désormais amplifiées par leur mise en scène et l’intervention de leurs auteurs. Ainsi, les poèmes de Joël Andrianomearisoa s’alignent sur un mur entre des nuages de papiers de soie noirs et parfumés pendant que la bougie de Johan Creten s’encastre dans une cloison en bandes de cassette vidéo aux côtés de colonnes de coquillages colorés signés par l’Allemand Gregor Hildebrandt, puis trouve son écho dans des sirènes en céramique réalisées par son créateur et montées sur socle en bas des escaliers. À l’étage, l’odyssée sensorielle se dessine avec davantage de clarté alors que les quatre salles, telles des chambres, se font les chapitres d’un récit transcontinental s’ouvrant vers le ciel et la couleur. De l’ambiance zen et dépouillée des œuvres de Hiroshi Sugimoto, dont le film et le monochrome photographique jaune incitent à la contemplation, à la salle des amphores imaginée par Zoë Paul sur fond rose saumon, où le corps humain triomphe dans des sculptures voluptueuses couvertes de peintures expressives, en passant par les jardins lumineux et graphiques de l’artiste franco-marocaine Chourouk Hriech, qui intègrent l’œuvre de Rabih Kayrouz à leur faune et flore luxuriantes, chacun invite dans son propre écrin et ouvre les portes d’un paysage fantasmé. Où l’on se plonge avec le nez comme avec les yeux.

 

 

“Voyage immobiles”, une exposition présentée par Diptyque jusqu’au 24 octobre à la Poste du Louvre, Paris 2e.