Corps érotisé, glorifié ou fantomatique : 5 artistes à découvrir au 3537
Jusqu’au 7 août, le 3537 présente la troisième édition de son “Exposition Collective Libre”. Pour l’occasion, plus de trente créateurs internationaux investissent l’architecture de cet ancien hôtel particulier du Marais, transformé en lieu accueillant des expositions pluridisciplinaires et autres événements variés. Des photographies de Marvin Bonheur à la sculpture textile de Jeanne Vicérial, découvrez le travail de cinq artistes interrogeant notre rapport au corps, aux normes sociales, à la sexualité ou encore à la nature.
Entre humain et nature, les corps hybrides d’Axel Besson
Paysages industriels en ruines, explosions et nuages de fumées… Accrochés aux murs du 3537, les dessins au graphite d’Axel Besson mettent en scène des figures humaines au sein de paysages apocalyptiques. Sensuels, leurs personnages semblent se prélasser et toisent le spectateur dans une troublante dissonance avec l’environnement hostile qui les entoure. En dialogue avec ces dessins, au centre de l’installation, des sculptures de visages se mêlent à des vases qui évoquent des textures naturelles – poils, écailles ou encore pétales de fleurs. Car il est avant tout ici question d’une hybridation entre l’humain et la nature : les figures humaine et les sculptures organiques émergeant toutes d’une amas de débris. Originaire du Jura, l’artiste qui a grandi a Manille et Mexico City avant de déménager à Paris envisage ici le futur d’une humanité dans un monde où la nature s’autonomise et reprend peu à peu ses droits. Entre la sculpture et le dessin, son travail prend racine dans ses expériences personnelles et interroge les liens complexes entre nature et culture à notre époque.
Glorifier les corps invisibilisés : les clichés de Marvin Bonheur
Comment la photographie peut-elle glorifier les habitants des quartiers populaires, sans pour autant esthétiser leur quotidien au-delà du réalisme ? C’est là tout l’enjeu de la pratique de Marvin Bonheur. Au 3537, l’artiste originaire d’une cité de Seine-Saint-Denis expose des tirages grands formats de trois de ses voyages, à la rencontre de la jeunesse et de la population locale de Martinique, de Londres et de Mayotte. Pêle-mêle, on découvre au mur des portraits magnétiques de jeunes hommes et femmes à la posture nonchalante, des habitations en tôle au milieu d’une végétation luxuriante, des corps tatoués, des femmes en train de cuisiner… Ici, le photographe propulse dans le quotidien de ces populations sans aucun artifice, bien loin des mises en scène qui dominent les images idéalisées et touristiques de chacune de ces régions. L’artiste de trente ans dépeint une jeunesse bouillonnante, prise en étau entre l’héritage de la colonisation et la pauvreté, et ponctue ici ses images de témoignages sonores, récits de vie des personnes qu’on retrouve sur les portraits. Au centre de l’espace une installation en tôle, béton et plantes résonne même avec certains lieux capturés par le photographe, tandis qu’un enregistrement audio de l’artiste sonne comme dialogue introspectif. Dans ses propos, le jeune trentenaire se replonge dans la peau de l’adolescent qu’il était à 17 ans, et exprime ses angoisses et ses ambitions de l’époque.
Les corps masculins érotisés d’Alessio Boni
C’est souvent la puissance du désir qui attire un photographe vers son sujet. Tel est ce qu’on perçoit immédiatement dans l’installation du photographe Alessio Boni, où les fragments de corps masculins capturés en gros plan dégagent une grande sensualité. Cette série regroupant d’anciens travaux mêle photographies numériques et expérimentations analogiques. Les images érotiques retravaillées aux couleurs intenses – le rouge de la chambre noire, le bleu profond de l’eau – évoquent une odyssée sensorielle. Alignées au mur, elles composent une déambulation où les corps dénudés apparaissent comme des flashs, entrecoupés de clichés dans l’intimité d’une chambre ou de vues panoramiques d’espaces urbains oniriques, jusqu’à l’apparition de statues grecques dont les courbes et les reliefs se voient sublimés par la lumière. À travers cette série autobiographique, Alessio Boni passe son propre désir au crible et interroge la masculinité, tout en montrant combien la photographie a joué un rôle essentiel dans la découverte et de l’acceptation de sa propre homosexualité. Basé aujourd’hui à New York, le photographe italien a déjà séduit de grandes maisons de mode telles que Miu Miu, Gucci et Jean Paul Gaultier, pour lesquelles il a réalisé plusieurs campagnes.
Le marbre traité comme la peau dans les sculptures de John Miserendino
Trois blocs de marbres blanc rectangulaires sont alignés sur un mur pour former un triptyque. Des teintes rose poudré, vert d’eau et bleu turquoise s’y diluent et viennent magnifier les reliefs et brisures de la pierre, évoquant le Kintsugi – art japonais qui sublime les cassures en y ajoutant des dorures. John Miserendino s’approprie ce matériau dur et précieux en le brisant et en y incrustant des traces de son passage, motifs géométriques qui créent des compositions jouant sur les reliefs et les creux. Mais sous la main de l’artiste américain et derrière ces formes abstraites, le marbre semble évoquer un épiderme ponctué de quelques imperfections. Ainsi, de fines lignes rouges écarlates s’apparentent au sang émergeant d’une coupure à vif, d’autres d’un bleu électrique rappellent les vaisseaux tracés par les veines. Quant aux discrètes craquelures qui viennent fissurer le marbre lisse, elles pourraient bien s’apparenter aux rides et cicatrices d’une peau marquée par le passage du temps. En parallèle de son travail de sculpteur, précédemment exposé au MoMA et au Clark Art Institute dans le Massachusetts, l’artiste qui réside aujourd’hui à Paris a co-signé la réalisation du clip “Plan B” de Megan Thee Stallion en 2022, avec son époux Casey Cadwallader, directeur artistique de la maison Mugler.
Le spectre textile de Jeanne Vicerial
Dans le sous-sol du bâtiment, une figure spectrale tressée de cordes noires est placée au centre d’un espace voûté en pierre aux airs de crypte. Évoquant une silhouette féminine dont le haut du corps semble flotter, cette sculpture textile ébène baptisée Présence 2 comporte une cape évasée aux volumes tout en courbes dont les franges et les fils tombent jusqu’au sol. Ce personnage fantomatique aux airs de veuve noire convoque un imaginaire fantastique, grâce notamment à un jeu de gravité subtil qui donne une impression de flottement : le volume obscur et dense du haut du corps, qui semble s’élever vers le ciel, est contrebalancé par la finesse des fils qui forment la partie inférieure du corps et y laissent passer la lumière, tendus par la gravité qui les rattache à la terre dans un amas de volumes textiles aux formes sinueuses. On discerne ici un certain sens de la dramaturgie, qui irrigue la pratique de Jeanne Vicérial, artiste et designer spécialisé dans le textile qui a récemment réalisé les pièces d’un opéra ballet chorégraphie par Angelin Preljocaj, bien que la structure impressionnante de la cape et le travail minutieux du tissage mis en œuvre convoque également un grand savoir-faire, proche de celui mobilisé dans la haute couture. Aux confins de ces disciplines, la jeune trentenaire française, qui s’est elle-même qualifiée de “chirurgienne du vêtement”, a déjà exposé ses créations aux Palais de Tokyo en 2018, avant d’être pensionnaire de la Villa Médicis entre 2019 et 2020. Elle est aujourd’hui représentée à Paris par la galerie Templon.
“Exposition Collective Libre n°3”, jusqu’au 7 août au 3537, 35-37 rue des Francs Bourgeois, Paris 4e.