Art

4 avr 2023

Comment l’artiste Kaws s’est érigé en phénomène de la pop culture

À deux pas des Champs-Elysées, la Skarstedt Gallery dévoile jusqu’au 22 avril 2023 une série d’œuvres réalisées par l’artiste Kaws au cours de l’année écoulée. L’occasion de retracer le succès d’un homme devenu monument de la pop culture et de l’art contemporain.

L’exposition KAWS: TIME OFF à la galerie Skarstedt © KAWS. Avec l’autorisation de l’artiste et de Skarstedt, New York.

Companion, Chum, BFF ou encore Skully : ces noms ne vous disent peut-être rien. Pourtant, vous avez sûrement déjà croisé l’une des ces œuvres d’art en errant sur les réseaux sociaux, dans les foires d’art contemporain ou encore dans les concept stores branchés. Et pour cause… ces quatre modèles de figurines imaginés par Brian Donnelly, alias Kaws, reconnaissables par leur apparence cartoonesque et leurs yeux remplacés par des croix, sont devenus ultra-désirables au fil de nombreuses ventes en édition limitée, jusqu’à occuper aujourd’hui une place de choix dans l’art contemporain. Alors que l’artiste américain de 48 ans expose aujourd’hui ses œuvres aux quatre coins du monde, l’époque où ce dernier détournait de simples panneaux publicitaires dans les rues new-yorkaises en y apposant sa signature semble bien lointaine. À Paris, Kaws fait en ce moment l’objet d’une exposition personnelle intitulée “TIME OFF” à la Skarstedt Gallery, où il présente une série de sculptures et d’œuvres produites au cours de l’année écoulée. Un corpus où l’artiste décline les fameux personnages enfantins qui ont contribué à l’ériger en véritable sensation de l’art… et de la pop culture.

Kaws : des studios de Disney au Brooklyn Museum

Pour comprendre l’origine du succès de Kaws, il faut remonter à l’aube des années 2000. Fraîchement diplômé de la School of Visual Arts de New York en 1996, Brian Donnelly commence à travailler dans les studios de Disney, où il dessine les arrière-plans de nombreux films. Le jeune homme développe parallèlement sa propre activité de street artiste, dessinant des crânes et inscrivant en lettres capitales son nom d’artiste sur les panneaux publicitaires de la ville. En tant qu’ancien skateur et graffeur, la rue s’impose naturellement pour l’artiste comme le lieu idéal pour défendre un art populaire et accessible à tous. Il faudra attendre 2008 pour que sa carrière prenne un véritable tournant, alors qu’il édite à Tokyo son premier designer toy baptisé Companion. Très appréciée des collectionneurs, la figurine inspirée des personnages de Mickey, dont elle partage les mains gantées et surdimensionnées, présente pour particularité d’avoir les yeux remplacés par des croix.

Vue de l’exposition KAWS: TIME OFF à la galerie Skarstedt © Nicolas Brasseur / KAWS. Avec l’autorisation de l’artiste et de Skarstedt, New York.

Très vite, le succès de Companion fait des émules. Kaws décline à l’envi cette figurine et de nouveaux personnages analogues sous plusieurs formes et volumes, souvent en édition limitée afin d’attiser encore le désir des collectionneurs. Devenus sa signature, ces petits êtres s’érigent peu à peu au rang d’objets d’art connus de tous, mais aussi d’icône de la pop culture grâce à l’intérêt de personnalitsé très connues, de Nigo (le créateur de la marque A Bathing Ape), à Pharrell Williams en passant par le rappeur Kanye West (pour qui il travaille sur la pochette de l’album 808s & Heartbreak, 2008). Aussi bien apprécié par les collectionneurs que par les galeristes – l’artiste est représenté en France par la galerie parisienne de renom Perrotin jusqu’en 2018, puis la galerie Skarstedt –, Kaws rentre également dans les institutions avec des expositions personnelles à la National Gallery of Victoria de Melbourne, mais aussi au Brooklyn Museum de New York en 2021. 

Ventes records et collaborations intempestives 

Si le personnage de Kaws est aujourd’hui aussi connu et plébiscité dans le monde entier, c’est également grâce aux labels de mode et des enseignes de renommée internationale avec lesquelles il a collaboré depuis le début des années 2010. En 2011, l’artiste américain pose sa patte sur une des bouteilles de cognac du label Hennessy (propriété du groupe LVMH) éditée en édition limitée. Au-delà des spiritueux, l’œuvre de Kaws est aussi reproduite sur des flacons de parfums, à l’instar de sa prestigieuse collaboration avec Pharrell Williams et Comme des Garçons en 2014, et des tee-shirts – pour le label japonais Uniqlo en 2018, l’artiste revisite le personnage de Snoopy, dont il perce une fois de plus les yeux de croix.

La même année, il signe l’un des décors les plus remarqués de la Fashion Week printemps-été 2019 en collaborant avec le créateur Kim Jones pour son premier défilé Dior homme. Au milieu du podium s’érige une sculpture représentant son personnage BFF, sorte d’ours en peluche duveteux, ici agrandi sur dix mètres de haut et recouvert de pivoines et de roses. Plus récemment, en plein confinement, Kaws s’essayait à la réalité augmentée. Si l’on connaissait le goût du touche-à-tout new yorkais pour repousser les limites de sa création, qui pouvait imaginer ainsi que son Companion pouvait parcourir virtuellement de grands sites touristiques du monde, flottant dans les airs au-dessus de la Pyramide du Louvre ou encore de Times Square ?

L’exposition KAWS: TIME OFF à la galerie Skarstedt © KAWS. Avec l’autorisation de l’artiste et de Skarstedt, New York.

Au tournant des années 2010, la côte de popularité de l’artiste Kaws ne cesse de grimper, au point que les produits dérivés sur lesquels il pose son nom et ses designs se retrouvent systématiquement en rupture de stock. Fortement inspiré par l’univers du cartoon, l’artiste continue de multiplier les références aux personnages de la pop culture dans ses œuvres, des Simpsons aux Schtroumpfs, touchant une audience de plus en plus large et de plus en plus jeune. Au même titre qu’une planche de skate Supreme ou qu’une paire de Yeezy Boost – fameuses sneakers imaginées par Kanye West en collaboration avec Adidas –, les œuvres de Kaws complètent la panoplie d’adolescents passionnés par la culture streetwear. Les Bearbricks (un des modèles de figurine sur lesquels il a posé ses designs) s’arrachent à prix d’or sur les marchés de revente en ligne : sur le site stockX.com, le modèle “Coco Chanel 1000%” est par exemple proposé à la vente au prix de 80 000€. Sur les marchés plus traditionnels de l’art, Kaws devient en 2015 l’auteur de l’œuvre de graffiti la plus chère du monde avec son tableau CONTROL, une acrylique sur toile fixée sur panneau de bois vendue au prix de 218 800 €, détrônant les précédents records de JonOne, en 2007 et même de la star en la matière, Banksy. En 2019, l’artiste américain pulvérise son propre record de vente lorsque l’une des ses peintures est adjugée 14,8 millions de dollars par la maison de vente Sotheby’s

Une filiation artistique New Yorkaise : de Keith Haring à Andy Warhol 

Difficile toutefois de comprendre le succès de Kaws sans se référer aux artistes qui ont ouvert le sillon dans lequel il s’inscrit aujourd’hui. De l’influence pop art d’Andy Warhol dans son détournement de campagnes publicitaires, aux couleurs vives et aux dessins enfantins de l’artiste Kenny Scharf que l’on retrouve dans ses personnages, l’œuvre de Kaws semble influencée par de grandes figures new-yorkaises dont la pratique a redéfini les codes de l’art, tout en étendant son spectre à la rue ou à des objets de consommation. Dans la mode, par exemple, sa collaboration avec Dior n’aurait peut-être pas vu le jour sans la rencontre marquante entre l’artiste japonais Takashi Murakami et Louis Vuitton (2003 et 2009), perçue aujourd’hui encore comme l’une des collaborations les plus marquantes de l’histoire de la maison française. En transposant de créatures issues de l’imaginaire collectif de l’enfance à un monde plus adulte et ambigu, tout en parant ses toiles et sculptures de couleurs pop, Brian Donnelly continue, à l’instar de ses aînés, de briser le plafond de verre qui sépare le milieu de l’art contemporain de la culture populaire, devenant l’un des représentants d’un “art pop” accessible au plus grand monde. Le mystère continue de planer, toutefois, sur son utilisation intempestive de croix pour remplacer les yeux de ses personnages : véritable symbole politique ou simple gimmick, qu’il peut décliner sur tout ce qui lui passe sous sa main ? Malgré sa notoriété,Kaws reste encore aujourd’hui un personnage énigmatique qui conserve son lot de secrets.

”KAWS: TIME OFF”, du 17 mars au 22 avril 2023 à la Skarstedt Gallery, Paris 8e.