Chronique du monde impitoyable de l’art contemporain [épisode 4]
Notre chroniqueur infiltré a passé une semaine intensive… Découvrez le quatrième épisode de notre chronique du monde impitoyable de l’art contemporain.
Par Nicolas Trembley.
À voir les réactions outrées des vieux dinosaures du cinéma français qu’a suscitées le départ flamboyant d’Adèle Haenel lors de la soirée des César, on peut fièrement dire que le milieu de l’art contemporain a su, lui, se régénérer et inclure les nouveaux paramètres d’une culture sociétale qui a su relire son passé pour en combler les manques. Si l’ouverture de l’extension du MoMA a éveillé tant d’intérêt, c’est aussi pour ses propositions d’accrochage qui contrebalancent une vieille histoire de l’art désormais jugée lacunaire. Dorénavant, les artistes qui n’étaient pas pris en compte parce qu’ils ne représentaient pas le pouvoir de ceux qui les exposaient ou les achetaient ont trouvé leur place au musée. Il est bien plus pertinent de se dire qu’au moment même où la modernité se développait, il y avait des productions qui prenaient forme ailleurs que dans le monde occidental, et que des artistes femmes, par exemple, dont les œuvres ne correspondaient pas aux critères du moment n’en étaient pas moins captivantes. La juxtaposition de ces diverses créations rend désormais bien plus dynamique et complexe le contexte de l’art, et les changements se font sentir dans toutes les institutions et dans le marché.
À Paris, on pourra voir Wols ou Alice Neel au Centre Pompidou, qui auront dû attendre d’être passés à trépas depuis longtemps pour obtenir une consécration parisienne. Plus de soixante ans après sa mort pour le premier, et trente-cinq ans après pour la seconde. Mais on en est ravi de découvrir que l’exposition Chine Afrique – Crossing the world color line, qui, comme le dit Alicia Knock, conservatrice au musée national d’Art moderne, “libère des systèmes de représentation affranchis du cadre colonial comme de celui de l’Occident et affirme la nécessité d’un commun décentrement”.
Mais le marché n’est pas toujours au diapason. Ainsi, la collection de Donald Marron, qui fait l’actualité en ce monent, est principalement constituée d’artistes blancs et masculins. Ancien propriétaire de Paine Webber, l’une des sociétés d’investissement les plus lucratives des États-Unis avant d’être vendue à la banque UBS, l’Américain Donald Marron était surtout, depuis les années 80, un très grand collectionneur, mais aussi un formidable mécène et donateur. Il s’est éteint en décembre 2019, laissant une collection estimée à plusieurs centaines de millions de dollars et qui devait être dispersée par les plus importantes maisons de ventes aux enchères. Coup de théâtre, quelques semaines plus tard : la famille décide de disperser le trésor via trois titans, Pace, Gagosian et Acquavella, pour une fois unis pour le meilleur. Les héritiers auraient-ils eu peur que plus personne ne se rende aux ventes aux enchères ?
Les premiers chiffres des ventes privées commencent à tomber, via Bloomberg, fin février. 70 millions de dollars pour un Rothko, 100 pour deux Picasso vendus à Steve Wynn, le magnat des casinos de Las Vegas, etc. Verra-t-on ces chefs-d’œuvre sur les stands des foires ? En tout cas, Pace et Gagosian vont en montrer une partie lors des prochaines ventes de mai à New York, et un catalogue sera publié par Phaidon… si le coronavirus est contenu.