Christie’s, première maison à vendre une œuvre d’art numérique
Deux ans après avoir vendu la première œuvre d’art intégralement réalisée par un algorithme, la maison de vente aux enchères Christie’s innove encore : pour la première fois, elle met en vente une œuvre intégralement numérique réalisée par l’artiste américain Beeple.
Par Matthieu Jacquet.
Octobre 2018 : à New York, Christie’s adjuge un portrait pour 432 500 dollars. À l’époque, l’événement semble ordinaire pour la célèbre maison de vente mais en s’intéressant à l’auteur de l’œuvre, on découvre qu’il ne s’agit pas d’une personne physique : le portrait a en fait été réalisé par une intelligence artificielle qui l’a conçu à partir de milliers de peintures rentrées dans sa base de données. Caché derrière l’acronyme GAN, le collectif parisien Obvious était à l’origine de ce procédé innovant, qui valut à la maison de vente de devenir la première à mettre aux enchères une œuvre générée intégralement par un algorithme.
Deux ans et demi plus tard, Christie’s se place une fois de plus à l’avant-poste des nouvelles technologies qui façonnent l’art contemporain. Cette fois-ci, la maison met pour la première fois en vente une œuvre 100% numérique. Composée de 5000 images aux proportions diverses, cette dernière se présente comme une immense mosaïque colorée dont les dimensions se mesurent non plus en pouces ou en centimètres mais en pixels, et son auteur répond au nom de Beeple. Connu pour réaliser des affiches en 3D et vidéos en animation, l’Américain Mike Winkelmann – de son vrai nom –, 40 ans, a parallèlement réalisé et publié une image chaque jour pendant treize ans, sans s’arrêter une seule journée, avant de les assembler dans cette étonnante composition peuplée de visages, de décors de science-fiction ou cosmiques et de paysages abstraits aux tonalités hallucinatoires. Entièrement numérique, et donc impalpable, l’œuvre baptisée Everydays – The First 5000 Days se fait donc la synthèse visuelle de sa pratique artistique sur plus d’une décennie autant que le témoignage de son indéfectible détermination.
Mais comment acquérir l’exclusivité d’une œuvre virtuelle ? Telle est la question brûlante posée par l’art digital à l’heure de son expansion, favorisée par la crise sanitaire et la disparition forcée des expositions physiques. En effet, jusqu’alors, la propriété des œuvres face à leurs potentielles copies et reproduction se vérifiait toujours par deux éléments majeurs : la signature de l’artiste et le certificat d’authenticité, fondamentalement liés à l’objet matériel. Pour l’art virtuel, Mike Winkelmann a trouvé une solution : encrypter sa signature dans le fichier même en utilisant la blockchain – technique sécurisée de stockage d’informations –, et ainsi intégrer des données uniques au fichier qui empêchent sa duplication. Labellisée “NFT” (Non Fungible Token, c’est-à-dire “preuve non fongible”), l’œuvre est donc informatiquement liée à son propriétaire grâce à ce procédé dont se félicite Beeple : “Je pense que nous allons constater une explosion non seulement de nouvelles œuvres, mais aussi de nouveaux collectionneurs et je me sens honoré de prendre part à ce mouvement.” Pour souligner le caractère exceptionnel et historique de cette vente, Christie’s la consacre uniquement à l’œuvre en question et l’organise exclusivement en ligne du 25 février au 11 mars. Ses enchères commenceront à 100 dollars, laissant ainsi planer le mystère sur un montant qui ouvrira sans doute la voie encore timide d’un pan inédit du marché de l’art.