31 mar 2023

Behind the scenes of Anna-Eva Bergman’s masterpiece, currently shown in Paris

Grande peintre du 20e siècle, Anna- Eva Bergman (1909-1987) connaît enfin en France, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, la rétrospective qu’elle mérite. Pour le magazine de Paris+ par Art Basel, le critique d’art et commissaire d’exposition Sam Cornish s’arrête sur l’un de ses chefs-d’œuvre, synthèse de sa pratique aux confins de la figuration et de l’abstraction mais également de son approche poétique du paysage.

En collaboration avec Paris+ par Art Basel.

Anna-Eva Bergman (1909-1987) a débuté sa carrière en tant qu’illustratrice. Au début des années 1950, l’artiste norvégienne – également connue pour avoir été l’épouse de Hans Hartung – s’est tournée vers la peinture. N°2-1953, Stèle avec lune (1953) est une œuvre de ces années, une tempera sur toile. Exposée dans la première grande rétrospective de l’artiste au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, cette œuvre fait partie d’une série de représentations de roches et de pierres, en lien avec la fascination qu’ont toujours exercé les minéraux sur l’artiste.

 

Anna-Eva Bergman : une peintre de paysages cosmiques exposée au musée d’Art moderne de la Ville de Paris

 

Ces éléments, oscillant entre le terrestre et le céleste, parcourent toute son œuvre. On y trouve également des étoiles, des planètes, des horizons, des ciels dégagés, des bateaux, des montagnes, des vallées et des grottes – qui, s’ils sont aisément discernables, peuvent aussi se fondre les uns dans les autres. À quel moment le sommet d’une montagne devient-il une voile gonflée ? À quel moment la haute mer se transforme-t-elle en cavité ? Dans l’œuvre qui nous intéresse, si la stèle évoque un monolithe dressé vers le ciel, elle peut également être vue comme une ouverture sur le vide.

Une peinture imprégnée par sa Scandinavie natale

 

Bien qu’ayant vécu dans le sud de la France à partir des années 1970, la lumière et les paysages de sa Scandinavie natale restent omniprésentes dans l’œuvre d’Anna-Eva Bergman. Une luminosité forte et sereine se dégage de toutes ses peintures. Reflétant des tons délicatement agencés, que viennent souvent compléter des feuilles d’or ou d’argent réfléchissant la lumière, les matériaux comme les motifs ont leur propre résonance archétypale. Dans cette œuvre en particulier, un étrange magnétisme relie la stèle et la lune, qui semblent à la fois proches et isolées l’une de l’autre. Alors même qu’elles semblent assujetties à la gravité par ce qui les arrime au bord inférieur de la toile, qui indique qu’elles ne sont pas en apesanteur, elles ne nous en apparaissent pas moins comme suspendues au-dessus du vide.

 

L’œuvre d’Anna-Eva Bergman se situe quelque peu en marge du drame et des excès propres à la peinture abstraite gestuelle, si populaire dans les années 1950. Même lorsque son travail atteint un haut degré d’abstraction et de pureté formelle, l’artiste ne renonce pas à emprunter les formes du monde réel. Cet art, lumineux et patiemment élaboré, est à l’opposé de la rapidité d’exécution et de l’immédiateté multidirectionnelle de l’action painting. Plutôt que de projeter le spectateur dans le flux de l’expérience, il le maintient à la juste distance. L’artiste américaine Joan Mitchell (1925-1992), qui a également choisi de s’installer en France, peignait des paysages partiellement anthropomorphisés, transformant la nature en une scène où nos émotions peuvent s’exprimer. Anna-Eva Bergman propose, à l’opposé, la vision d’une nature perçue lointaine, nous renvoyant à ce qui nous éloigne de nos propres sentiments.

Il semble que le moment soit venu de redécouvrir l’art d’Anna-Eva Bergman. Ses images nous révèlent ce qui, jusqu’alors, nous était demeuré invisible. L’artiste nous montre ce qui, pourtant, a toujours été là ; ce qui, après avoir traversé le temps, nous apparaît à présent comme entièrement nouveau. C’est en quelque sorte comme si, une fois dépouillées de tout ce qui les masquait à notre vue, les choses pouvaient naître une seconde fois. Les deux éléments de N°2-1953, Stèle avec lune nous sont aussi familiers que des galets trouvés en bord de mer, mais ils sont ici portés à une dimension monumentale.

 

 

Anna-Eva Bergman, “Voyage vers l’intérieur”, du 31 mars au 16 juillet 2023 au musée d’Art moderne de Paris, Paris 16e.

Anna-Eva Bergman est représentée par Galerie Jérôme Poggi, Paris.

Sam Cornish est un auteur et commissaire d’exposition basé à Londres.

Traduction française : Henri Robert.

Published in collaboration with Paris+ by Art Basel.

Anna-Eva Bergman (1909–1987) started her career as an illustrator. In the early 1950s, the Norwegian artist – also known as Hans Hartung’s wife – shifted to painting. No.2-1953, Stèle avec lune (1953) is one her early works, a tempera on canvas. Presented in the artist’s first major retrospective, which is held at the musée d’Art moderne de la Ville de Paris, it relates to drawings she made of rocks and stones, part of a lifelong fascination with the earth’s material substances.

 

Anna-Eva Bergman, painter of cosmic landscapes, has her first big retrospective in Paris

 

The two elements depicted are regular players in Bergman’s revolving cast of motifs, which oscillate between the terrestrial and celestial. Elsewhere we find stars, planets, horizons, open skies, boats, mountains, valleys, and caves. They are easily identified but can also readily merge into one another. At what point does a mountain peak become a raised sail? When does the open sea turn into a cave? The stele in this instance easily conjures an upright figure, but also implies the opening of a void.

A painting inspired by her native Scandinavia

 

 

Despite living in the south of France from the 1970s onwards, Bergman’s art continually returned to the light and landscape of her native Scandinavia. A quiet, clearly stated luminosity can be found throughout her paintings. This comes from carefully adjusted tones, often supplemented by the reflective surfaces of gold or silver leaf, materials that, like her motifs, have their own archetypal resonance. In this particular work, there is a curious magnetism between the stele and the moon, which are at once brought together and isolated from each other. They appear suspended in a vacuum, although a clear relation to the lower edge of the canvas means they do not float free of gravity.

 

Bergman’s work sits somewhat awkwardly alongside the drama and excesses of the gestural abstract painting so popular in the 1950s. Working with a high degree of abstraction and formal purity, she never abandoned motifs borrowed from the real world. Her art has a slowness and clarity that is far removed from Action painting’s speed and multidirectional immediacy. Rather than flinging the viewer into the flux of experience, she maintained a carefully judged distance. American artist Joan Mitchell (1925–1992), who also chose to make France her home, presented a partially anthropomorphized landscape, turning nature into a stage where our emotions can play out. Bergman on the other hand approaches it the other way round, identifying a remoteness in the natural world which suggests an emotional remoteness within ourselves.

Bergman’s art seems primed for rediscovery. Her images imply a previously obscured or sheltered existence brought out into the open. She shows us things that have always been there, that seem to have endured over time. Yet they also appear fresh, or perhaps even somehow newly born, as if given life by being cleansed of the incidental. The two elements in No.2-1953, Stèle avec lune retain the handheld intimacy of pebbles found on the seashore but are taken here in the direction of the monumental.

 

 

Anna-Eva Bergman, “Voyage vers l’intérieur”, from March 31st to July 16th 2023 at the musée d’Art moderne de Paris.

Anna-Eva Bergman is represented by Galerie Jérôme Poggi, Paris.

Sam Cornish is a writer and curator based in London.