5 sep 2022

Artist Michael Heizer unveils a colossal city-sized work in the American desert

Figure phare du land art, l’artiste américain Michael Heizer vient de dévoiler dans le désert du Nevada une ville-sculpture monumentale, entamée au début des années 1970 et tout récemment terminée. Baptisée City, cette œuvre exceptionnelle longue de deux kilomètres ouvrira ses portes au public le 2 septembre prochain, qui pourra la parcourir à sa guise. Une première dans l’histoire de l’art. 

En 1972, l’artiste américain Michael Heizer a une idée folle : fonder sa propre ville en plein milieu d’un désert de l’ouest des États-Unis. L’homme alors âgé de 28 ans imagine un ensemble à la frontière entre un décor de film de science-fiction et une cité archaïque d’une civilisation déchue comme celle des Incas, composé de sculptures géométriques dispersées dans l’immensité des terrains arides et totalement vides de l’État du Nevada. Figure phare du land art, Michael Heizer continue avec ce nouveau projet de s’inscrire dans ce mouvement apparu dans les années 60, au sein duquel les artistes font de la nature la source et souvent le cadre de leurs créations en utilisant sa matière brute, en s’inspirant de ses formes organiques, jusqu’à produire des installations in situ dans des forêts, des montagnes, des étendues d’eau ou des déserts. Mais à l’époque, il ne se doute pas encore que ce projet l’occupera pendant un demi-siècle. Baptisée City, la ville-sculpture vient tout juste d’être terminée et ouvrira au public le 2 septembre prochain, soit cinquante ans après avoir germé dans l’esprit de l’Américain.

Si le projet de City se distingue par son audace et son ambition démesurée, il prolonge une recherche déjà initiée par Michael Heizer depuis la fin des années 1960. A l’époque, l’artiste commence à puiser son inspiration et ses matériaux principaux dans la roche du désert du Nevada : fort de son succès, l’Américain décide de quitter le centre-ville de New York, où il travaillait jusqu’alors, pour revenir explorer les plaines occidentales de son pays, d’où il est originaire. En 1967 il construit ainsi North, East, West et South, quatre sculptures réalisées à partir des roches constituant la chaîne de montagne de la Sierra, qui marque la frontière entre la Californie à l’est et le Nevada à l’ouest : l’artiste expose ces œuvres brutes afin de les laisser parler d’elles-mêmes du paysage dont elles proviennent. Entre 1969 et 1970, il continue ses recherches au sud du désert du Nevada, où il coupe une mésa (relief tabulaire présent dans certains paysages désertiques) en deux. Nécessitant le déplacement de 240 000 tonnes de roches, sa nouvelle œuvre, intitulée Double Negative, est l’une des premières traces que l’artiste laisse dans ce territoire sec et rocailleux.

 

Lorsqu’il planifie la conception de son immense City, ses ambitions changent drastiquement d’échelle, requérant un budget et une temporalité beaucoup plus importants. Sur plusieurs décennies, Heizer achètera au fur et à mesure de nombreuses parcelles de badlands du désert du Nevada – terrains ruiniformes caractérisés par leur aspect aride et minéral peu propice à agriculture –, qui constitueront finalement un ensemble assez grand pour accueillir son projet. Par son ambition inégalée dans la carrière de l’artiste, et plus largement dans l’histoire de l’art, cette œuvre nécessitera bien plus de moyens que ses précédentes. Des financements considérables lui sont alloués par quatre grandes institutions américaines dont, entre autres, le Los Angeles County Museum of Art et le MoMA de New York. En 1998, la Triple Aught Foundation est fondée afin d’encadrer exclusivement son édification, veiller à sa préservation au fil de son avancée et après son ouverture. À elle seule, la fondation injectera dans le projet 30 millions de dollars avant qu’en 2015, la région dans laquelle sera délimitée l’œuvre ne fasse partie du Basin and Range National Monument, un espace proclamé par décret présidentiel pour ses incomparables ressources géologiques, naturelles, culturelles et également scientifiques. Autant d’étapes qui contribueront à l’accélération du projet pour l’artiste, qui depuis plusieurs décennies possède son propre ranch dans le Nevada.

Bien que Michael Heizer ait continué à réaliser quelques peintures et sculptures depuis les années 90, l’ampleur colossale du projet City l’a amené à y consacrer presque exclusivement son temps de création au fil de ces trois dernières décennies. Construites à partir de terre, de roche et de béton extraits dans la région, conformément aux principes phares des artistes du land art, les sculptures monumentales qui la composent s’inspirent de la géométrie trapézoïdale d’anciens temples pré-colombiens, et rappellent également, par leur organisation et leur matière bétonnée, l’architecture brutaliste d’une ville moderne. Longue de 2,4 kilomètres et larges de 1,6 kilomètres, la surface totale de l’œuvre est composée de grandes esplanades parfois laissés vides, semblables aux pistes d’atterrissage d’une base spatiale, bordés de murets droits ou courbés qui délimitent chaque espace. Disposés ci et là, les édifices clairs aux tonalités grises, beige et ocre s’intègrent parfaitement à leur environnement, reflétant le soleil éblouissant qui baigne quotidiennement la région tout en rappelant le sable et les pierres du désert qui les entoure.

 

Mais l’artiste n’est pas le premier, ni le dernier, à faire de grandes étendues arides le décor de ses œuvres : en 1977, une autre figure incontournable du land art, Walter de Maria, remplit un grand plateau désert de poteaux en acier pour attirer la foudre. Intitulée The Lightning Field, l’œuvre invite les visiteurs à passer la nuit dans une cabane au milieu de ce champ en espérant qu’un orage viendra activer cet immense paysage métallique. Vingt ans plus tard, en 1997, les artistes Danae Stratou, Alexandra Stratou et Stella Constantinides, qui s’inscrivent également dans ce courant artistique, conçoivent Desert Breath en Égypte : une spirale de trois cent mètres, sculptée dans la roche désertique. Bien que menacée par l’érosion, l’œuvre existe toujours à ce jour. Au-delà des artistes du land art, les environnements désertiques ont depuis souvent accueilli d’immenses structures artistiques, impossibles à réaliser ailleurs. À ce titre, le projet Desert X invite par exemple tous les deux ans des artistes contemporains (tels que Judy Chicago, Alicja Kwade ou Oscar Murillo) à créer des œuvres monumentales dans les déserts de Californie et même, il y a quelques mois, d’Arabie Saoudite. 

Malgré ces différents et ambitieux projets, celui d’une ville toute entière déployée sur plus de deux kilomètres, conçue à l’initiative d’un seul et même artiste, est une première dans l’histoire de l’art. Construite à la charnière du 20e et du 21e siècle, City est à la hauteur de l’importance de la carrière de Michael Heizer, tant dans les années 1970 qu’aujourd’hui. Édifiée sur le sable du Nevada, cette immense cité-sculpture n’a rien à envier aux décors des films de science-fiction Dune ou même Star Wars car, contrairement aux structures réalisées pour le cinéma, l’œuvre de l’artiste se destine à une expérience physique et totalement immersive. Ouverts au public à partir du 2 septembre prochain, les espaces circulaires et les édifices anguleux de la City resteront néanmoins inhabités : seuls six visiteurs par jour seront autorisés à animer la ville imaginée par l’artiste. À l’image du paysage naturel qui l’entoure, l’œuvre perdue dans le désert n’a ni début ni fin, et est destinée à se visiter “à l’instinct”. Seule restriction imposée : la réservation de sa visite bien en amont, les places (au tarif de 150 dollars) étant limitées afin de préserver l’œuvre et son environnement. 

 

 

Michael Heizer, City (1972-2022), ouverture au public le 2 septembre dans le désert du Nevada, États-Unis. tripleaughtfoundation.org

45°, 90°, 180°, City © Michael Heizer. Courtesy of Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell
© Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell
Complex One, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Mary Converse
45°, 90°, 180°, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Joe Rome
© Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell

In 1972, the American artist Michael Heizer came up with a crazy idea: to found his own city in the middle of a desert in the west of the United States. The then 28-year-old artist imagined a complex at the crossroads of a science-fiction film set and the ancient city of a lost civilisation like the Incas, composed of geometric sculptures scattered across the vast, arid and completely empty land of the state of Nevada. A leading figure in land art, Michael Heizer continues with this new project to drive this movement that emerged in the 1960s, in which artists make nature the source and often the setting for their creations, using its raw material and drawing inspiration from its organic forms, to the point of producing site-specific installations in forests, mountains, expanses of water or deserts. But at the time, he had no idea that this project would occupy him for half a century. Entitled City, the sculpture-city has just been completed and will open to the public on 2nd September, fifty years after the idea first took seed in the American’s mind.

45°, 90°, 180°, City © Michael Heizer. Courtesy of Triple Aught Foundation. Photo: Ben Blackwell

Though the City project stands out for its audacity and outrageous ambition, it stems from the research initiated by Michael Heizer since the late 1960s. At the time, the artist began to draw his inspiration and his main materials from the rocks of the Nevada desert: bolstered by his success, the American decided to leave downtown New York, where he had been working until then, to explore the western plains of the state where he was originally from. In 1967 he designed North, East, West and South, four sculptures made from the rocks of the Sierra Nevada, which marks the border between California to the east and Nevada to the west: the artist exhibited these raw pieces to evoke the landscape which they hailed from. Between 1969 and 1970, he continued his research in the southern Nevada desert where he cut a mesa (a flat-topped elevation visible in certain desert landscapes) in two. Requiring the displacement of 240,000 tons of rock, this work, entitled Double Negative, is one of the first traces the artist left in this dry, rocky territory.

 

When he planned the design of his huge City, his ambitions changed drastically in scale, requiring a much broader budget and time frame. Over the course of several decades, Heizer gradually purchased numerous plots of badland in the Nevada desert – ruin-like landscapes characterised by their arid and mineral aspect that were not suitable for agriculture – which finally constituted a piece of land large enough to welcome his project. Because of its unrivalled ambition in the artist’s career, and more broadly in the history of art, this work required far more resources than his previous ones. Considerable funding was provided by four major American institutions, including the Los Angeles County Museum of Art and the New York’s MoMA. In 1998, the Triple Aught Foundation was founded to exclusively oversee the building of the site and its preservation as it progressed and after it opened. The foundation alone would invest 30 million dollars in the project before the region in which the work was located became part of the Basin and Range National Monument in 2015, an area created by a presidential proclaim as a result of its unmatched geological, natural, cultural and scientific resources. All steps that would help fast-track the artist’s project, who for several decades has owned a ranch in Nevada.

Complex One, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Mary Converse

Although Michael Heizer has continued to make a few paintings and sculptures since the 1990s, the colossal scale of the City project has led him to devote his creative time almost exclusively to it over the past three decades. Built with local soil, rock and concrete in accordance with the principles of land art, the monumental sculptures are inspired by the trapezoidal geometry of ancient pre-Columbian temples, and are also reminiscent of the brutalist architecture of a modern city in their organisation and use of concrete. 2.4 kilometres long and 1.6 kilometres wide, the total surface of the work is composed of large esplanades, sometimes left empty, similar to the landing strips of a space base, bordered by straight or curved walls that delimit each space. Here and there, light-coloured buildings in shades of grey, beige and ochre blend in perfectly with their surroundings, reflecting the dazzling sun that bathes the region every day while evoking the sand and stones of the surrounding desert.

 

But the artist is not the first, nor will he be the last, to use vast arid expanses as the backdrop for his works: in 1977, another key figure of land art, Walter de Maria, filled a large desert plateau with steel poles to attract lightning. Entitled The Lightning Field, the work invites visitors to spend the night in a cabin in the middle of the field, in the hope that a storm will activate this huge metallic landscape. Twenty years later, in 1997, the artists Danae Stratou, Alexandra Stratou and Stella Constantinides, also part of this artistic movement, created Desert Breath in Egypt: a 300-metre spiral sculpted in the desert rock. Although threatened by erosion, the work still exists today. In addition to land art, desert environments have often been the site of huge artistic structures that are impossible to create elsewhere. For example, every two years the Desert X project invites contemporary artists (such as Judy Chicago, Alicja Kwade or Oscar Murillo) to create monumental works in the deserts of California and even, a few months ago, Saudi Arabia.

45°, 90°, 180°, City. © Michael Heizer. Courtesy Triple Aught Foundation. Photo: Joe Rome

Despite these different ambitious projects, the creation of an entire city over two kilometres long by a single artist is a first in the history of art. Built at the juncture of the 20th and 21st centuries, City is equal to the importance of Michael Heizer’s career, both in the 1970s and today. Built on the Nevada sands, this immense city-sculpture does not compare unfavourably to the sets of science fiction films such as Dune or even Star Wars because, unlike the movie sets, the artist’s work is intended to be a physical and fully immersive experience. Open to the public from 2nd September, the circular spaces and angular buildings of City will nevertheless remain uninhabited: only six visitors per day will be allowed to wander through the city imagined by the artist. Like the natural landscape that surrounds it, the work lost in the desert has no beginning and no end, and is intended to be visited « by instinct ». The only restriction is that the visit must be booked well in advance, as places (that cost 150 dollars) are limited in order to preserve the work and its environment.

 

Michael Heizer, City (1972-2022), opening to the public on 2nd September in the Nevada desert, USA. tripleaughtfoundation.org