6 expositions de photographie à découvrir dans les galeries parisiennes
Du Maroc coloré de Harry Gruyaert aux auto-portraits délicats de Margaret Lansink, en passant par la fièvre du voguing capturée par Chantal Regnault dans les années 80 et les natures mortes de Luciano Perna, plusieurs galeries parisiennes présentent actuellement des photographes dont le travail incite à l’évasion. Focus sur 6 expositions à ne pas manquer, entre février et avril prochains.
Par Alice Pouhier.
et Jordane de Faÿ.
1. (UN)HIDDEN à la galerie Dominique Fiat, ou l’art du dévoilement
“(UN)Hidden” (ou “(dé)cachée”) : dès son titre, l’exposition présentée par la galerie Dominique Fiat formule sa volonté de révéler les vies et pratiques marginales de la diaspora africaine disséminée dans le monde entier, en vue de les montrer comme symboles de la réappropriation de leur héritage culturel. Longtemps laissées pour compte, ces populations parfois meurtries y sont sublimées par le travail de quatre photographes qui documentent leurs nouvelles pratiques et rites, interdits ou non, témoins d’une puissante volonté de faire société. En Sicile, Nicola Lo Calzo s’intéresse au culte du Saint oublié Binidittu, à New York, Chantal Regnault découvre les spectacles de voguing à la fin des années 80, à Londres, Rut Blees Luxemburg suit la transformation d’un quartier motivée par le profit au détriment de ses populations locales, tandis que Sue Williamson retrace dans une série poignante l’ultime soirée d’une famille la veille de la démolition de leur maison en Afrique du Sud – rasée au même titre qu’un quartier entier, pour y construire des logements pour Blancs. Pendant quelques semaines, tous ces travaux sont réunis dans une exposition vouée à dévoiler ce qui fut longtemps souterrain, dévoilant des communautés motivées par le désir de se réinventer, même lorsque le sort s’acharne.
“(UN)HIDDEN” jusqu’au 27 février à la galerie Dominique Fiat, Paris 3e.
2 – La Chine aux mille visages de Marc Riboud
En 1957, après avoir voyagé aux confins de l’Europe, Marc Riboud découvre la Chine et en tombe amoureux. Dès lors, durant plus d’un demi-siècle, le photographe français – intégré à l’agence Magnum sur l’invitation d’Henri Cartier-Bresson – sillonne l’empire du Milieu avec la volonté tenace de capturer l’essence d’un pays fascinant et complexe en perpétuel changement. De l’austérité maoïste à l’opulence consumériste des années 2000, la Polka Galerie dévoile toutes les “Chine(s)” de Marc Riboud en 40 tirages issus de ses archives personnelles. On y retrouve les visages sublimes de jeunes Chinoises, les montagnes sacrées du Huang Shan, les spectacles millimétrés du Ballet de Shanghai, la chaleur des fourneaux d’une aciérie, le labeur des intellectuels s’adonnant aux travaux forcés durant la révolution culturelle… Autant de clichés dévoilant la passion du photographe pour ce pays aux mille visages, dont il dit qu’il y a vu “partout” la beauté. Présentées en grand format, tirage vintage de référence, les photographies sont aussi accompagnées par des épreuves en couleur réalisées selon la technique du dye-transfer, qui permet d’obtenir une densité des teintes inégalable par le numérique. Un ensemble captivant qui fait de cette exposition un voyage aussi esthétique qu’historique.
“Chines” de Marc Riboud, jusqu’au 27 février 2021 à la galerie Polka, Paris 3e.
3. Les couleurs chatoyantes du Maroc par Harry Gruyaert
Comme nombre d’artistes occidentaux avant lui, notamment Eugène Delacroix ou Jean-Léon Gérôme, Harry Gruyaert s’est pris de passion pour la couleur en découvrant dans les contrées ensoleillées d’Orient et d’Afrique. En 1969, le premier voyage du photographe belge en Afrique du Nord lui fait ainsi l’effet d’une révélation : après avoir découvert les ocres puissantes et les teintures vives sublimées par la lumière éclatante du Maroc, l’artiste – qui avait jusqu’alors uniquement travaillé en noir et blanc – décide de se consacrer entièrement à la photographie en couleur. La galerie Magnum, qui met à l’honneur des artistes ayant appartenu à la célèbre agence de presse photographique éponyme, revient sur ce parcours initiatique de Harry Gruyaert – qui a intégré l’agence en 1982 – en présentant une dizaine de ses photographies aux airs de tableaux orientalistes. Lors de ses nombreuses expéditions au pays du couchant lointain, le Belge tente chaque fois d’y saisir l’âme du pays, réalisant des clichés aux compositions fortes qui englobent l’individu dans des ensembles plus larges où se rencontrent les éléments, des paysages et les espèces animales. Fasciné par le peuple marocain, dont il dit que sentiment de “réserve” est inhérent à la culture, Harry Gruyaert capture avec respect et admiration sa grâce et sa dignité en mettant en scène les habitants du pays dans des photographies pittoresques réveillées par des pigments chatoyants.
“Maroc” par Harry Gruyaert, jusqu’au 2 avril 2021 à la galerie Magnum, Paris 18e.
4. Les souvenirs tissés au fil d’or de Margaret Lansink
Comment exprimer la disparition et le deuil ? Peut-on réparer un souvenir brisé ? Effacer l’effacement ? Remplacer l’irremplaçable? Ce sont autant de questions posées par l’exposition “(Re)connexions Humaines” de Margaret Lansink à la Galerie XII à Paris. Au coeur de cette première exposition solo en France, sa série Borders of Nothingsness – On the Mend (2019) se lit ainsi comme le récit visuel d’une rupture puis d’une reconstruction intérieure de la photographe néerlandaise, née en 1961, suite à la décision de sa fille de couper les ponts avec elle. Archéologue de son propre passé, Margaret Lansink sonde les abysses de ses émotions pour tenter de faire apparaître à la surface du papier photographique l’invisible et intangible de l’âme humaine. Cette mémoire floue mais bien vivante d’un être désormais absent à sa vie, Margaret Lansink la rend visible par des photographies argentiques au gros grain, dont le noir et blanc souligne un contraste fort. Quant aux déchirures et à leurs réparations, l’artiste les matérialise dans le découpage et collage de fragments photographiques, ne laissant deviner que par éclipses les regards et les corps entièrement dénudés de ces femmes dont les images se mêlent à celles de montagnes, de cimes d’arbres et de bords de lacs. Là où les Japonais adeptes de la pratique du kintsugi réparent une céramique brisée avec la feuille d’or, la photographe fait de même avec ses images, assemblées délicatement par de fines lignes dorées comme pour mieux recoller les fragments épars de ses souvenirs brisés.
“(Re)Connexions Humaines ” de Margaret Lansink, jusqu’au 15 avril 2021 à la galerie XII, Paris 4e.
5. Les natures mortes au noir de Luciano Perna
Comme un remède au fond blanc si familier de nos divers écrans, la libraire de la galerie Marian Goodman propose les arrières-plans noirs des clichés de Luciano Perna. Pour sa toute nouvelle série intitulée Psiche, en référence à la déesse grecque de l’âme aussi connue pour son exceptionnelle beauté, l’artiste italien a photographié des objets variés – plantes, fruits, coquillages, vinyles, mais aussi sculptures antiques et paysages urbains – toujours devant un fond noir à l’exception de deux clichés, dont celui d’une tranche de pain si carbonisée qu’elle est apparaît contre le fond blanc entièrement grise foncée. Le temps semble suspendu dans ces natures mortes où notre œil peut enfin, ne serait-ce que pour le court instant de visite, se reposer de la luminosité aveuglante du monde digital parcouru du matin au soir. Artiste conceptuel et multimédia, Luciano Perna n’a cessé d’illustrer sa propre vie dans son travail ainsi qu’y faire référence à ses propres sources d’inspiration artistique, que l’on retrouve ici dans la rencontre entre des statues antiques, des natures mortes – évoquant l’histoire de l’art mais aussi ses origines italiennes, notamment un cliché de citrons jaunes intitulé Lemons (Capri Batteries) – jusqu’aux représentations de sa ville d’adoption, Los Angeles, et ses emblématiques cactus et plantes grasses. Délicatement illuminées contre ce rideau noir occultant tout horizon, ces fruits ouverts, corps sculptés dans le marbre ou paysages urbains nocturnes apparaissent alors comme des vestiges d’un passé soudainement figé dans le temps, rendu artificiellement éternel.
6. Les multiples reflets urbains de Vivian Maier
Il y a les artistes incompris de leurs temps, les artistes oubliés, les artistes méconnus et les artistes retrouvés. La photographe américaine Vivian Maier (1926 -2009) fait glorieusement partie de cette dernière catégorie. Nourrice de profession, elle passe quarante ans de sa vie à parcourir les rues de New York, Chicago et Los Angeles et y photographie en noir et blanc les passants, les carrefours bondés, les devantures de magasins, mais aussi son reflet dans ces vitrines et leurs miroirs ou son ombre allongée sur le béton chaud de Manhattan. Ce sont à ces autoportraits que se consacre actuellement l’exposition personne de l’artiste à la galerie Les Douches. L’occasion de s’approcher un peu plus la personnalité ainsi que l’oeuvre de l’artiste, (re)découverte seulement en 2008 par deux collectionneurs américains qui mettent la main sur environ 150 000 clichés. Ses photos font alors le tour du monde sur internet, avant qu’un documentaire Finding Vivian Maier (2013) ne permette de rendre hommage à l’histoire et à l’héritage d’une femme désormais aussi reconnue que les grands noms de la photographie de rue américaine du XXe siècle, à qui on la compare à juste titre : Helen Levitt, Robert Frank, Diane Arbus ou Joel Meyerowitz.
« Self-Portraits » de Vivian Maier, jusqu’au 27 février 2021 à la galerie Les Douches, Paris 10e.