29 nov 2022

5 performances dérangeantes à découvrir au 3537

Du 1er au 3 décembre, le 3537 accueille la quatrième édition d’opyum festival. Intitulée Empathy for the pain on our skin, la programmation de cette année mêle une sélection de performances live et de vidéos pour le moins audacieuses qui investissent les locaux du bâtiment parisien. Numéro a sélectionné 5 performances dérangeantes à y découvrir.

Rituel cabalistique, fétichisme de la nourriture façon ASMR ou encore ingestion de rats morts… Tel est un premier aperçu prometteur de la programmation de la quatrième édition d’opyum festival, présenté chaque année à Paris depuis 2019. Pour cet évènement mêlant performances live et vidéos subversives, les travaux de seize jeunes artistes internationaux sont réunis autour de la thématique Empathy for the pain of our skin (Empathie pour la douleur de notre peau) et investissent l’hôtel particulier du 3537, en plein cœur du Marais, du jeudi 1er au samedi 3 décembre. Parmi eux, bon nombre partagent un intérêt pour les effets des normes sociales sur les corps ou encore sa transposition – et commercialisation – dans le monde numérique. Au fil des cinq performances sélectionnées par Numéro, chaque artiste développe à sa manière une pratique qui traduit la violence du monde contemporain, la volonté de le bouleverser de l’intérieur ou de s’en échapper, tout en explorant à la fois les limites de la chair et les possibilités permises par la technologie.

Nidia Aranha, “Ordenha 002” (2022)

X

Joseph Häxan, “The Black Rite” (2022)

3. Petr Davydtchenko, l’artiste qui mange des rats

 

Et si, face au capitalisme, il ne demeurait d’autre choix que d’adopter une existence à la marge ? C’est en tout cas l’expérience qu’a tentée l’artiste russe Petr Davydtchenko, qui, après la crise économique de 2008, a vécu deux ans reclus et adopté un « mode de vie semi-autonome et non gouverné”, selon ses termes. Se nourrissant uniquement de fruits et de dépouilles trouvées sur la route, l’artiste aujourd’hui âgé de 36 ans y appliquait une vision bien macabre de la stratégie “zéro déchets”. Pour l’opyum festival, au 3537, l’homme combine cette réflexion empirique sur l’autosuffisance à un protocole plus que dérangeant, capturé par une caméra : l’artiste a mangé 115 rats, qu’il a ensuite convertis en 100 NFT (non-fungible tokens, soit “jetons non fongibles”) pour créer des objets numériques uniques, intégrés au marché de l’art en ligne. Chaque nouveau rat ingéré adopte alors une valeur supérieure au précédent. S’intégrant dans l’héritage radical de la performance, des actionnistes viennois aux interventions plus récentes du Russe Piotr Pavlenski (qui s’est cloué le scrotum sur la Place Rouge en 2013), Petr Davydtchenko interroge ici avec ironie et subversion la production de valeur à l’ère du capitalisme technologique. Créant délibérément le malaise, ce projet de l’artiste permet de tourner en dérision l’emballement récent autour des NFT et des crypto-monnaies, dont l’instabilité et les conséquences délétères sur l’environnement ont récemment été démontrées.

Emilia Rat, “Time for dessert 2” (2022)

4. Le fétichisme édulcoré d’Emiliana Rat

 

Gelée servie dans des assiettes en porcelaine sur une table basse humaine dans une chambre rose bonbon. Voilà le tea-time insolite, ultra-sensuel et kitsch où nous invite, en vidéo, l’artiste uruguayenne Emiliana Rat pour l’opyum festival au 3537. Prolongeant son travail sur les fantasmes sexuels, ce film réalisé en 2021 immerge le spectateur dans un moment intime et torride mêlant food fetish (pratique sexuelle qui consiste à être sexuellement attiré par la nourriture), BDSM et ASMR (sensation agréable en réponse à un stimulus auditif, visuel, olfactif ou cognitif). Munie d’un micro, l’artiste vêtue de lingerie et de bas affriolants enchaîne de manière lascive les desserts qu’elle écrase, effleure de ses faux-ongles longs ou avale goulûment… autant de textures sonores étranges rythmant les actions à la sensualité exagérée de l’artiste. Entre poupée et dominatrice, le personnage incarné par l’artiste transforme son partenaire en table, plaçant un plateau de verre sur son corps à quatre pattes, dénudé et seulement vêtu d’un caleçon doré. Emiliana Rat explore ici la relation de confiance unissant deux personnes pendant l’acte sexuel. “L’empathie est au cœur du sexe et devient le médiateur des relations sexuelles, explique-t-elle. C’est grâce à l’empathie que nous pouvons nous sentir en sécurité et à l’aise pendant l’acte sexuel, c’est grâce à l’empathie que nous pouvons créer des espaces sûrs et exprimer nos fantasmes et nos désirs sans avoir honte ni être gênés.”

L’artiste Aun Helden
Stacie Ant, “Cyborg Love”, (2022)

5. Chez Stacie Ant, les avatars à l’épreuve de l’amour 3.0

 

L’univers de l’artiste russo-canadienne Stacie Ant est peuplé de figures numériques féminines humanoïdes, d’un hyperréalisme confondant. Leur plastique immaculée sert un propos politique, car si ces avatars correspondent aux standards de beauté, leur mise en scène en vidéo cherche à renverser le rapport de pouvoir entre les muses et leurs créateurs – généralement masculins. Leur sensualité exacerbée est en effet une manière de défier le male gaze, ce regard masculin omniprésent dans l’histoire des représentations qui objectifie le corps des femmes. Modélisées en 3D, les figures féminines archétypales de l’artiste reprennent le pouvoir sur ceux qui les ont façonnées. À travers ce film présenté au 3537, l’artiste emploie la figure du cyborg pour imaginer l’amour 3.0, mêlant récit d’anticipation et dystopie. “Ce sont souvent [mes avatars féminins] qui objectivent les personnages masculins qui les entourent, alors qu’elles sont présentées comme les souveraines de leur propre univers”, explique l’artiste lors d’une interview accordée en 2019 à Coeval Magazine.

 

opyum festival, du 1er au 3 décembre 2022, 35-37 rue des Francs-Bourgeois, Paris 3e. Programmation ici.

Petr Davydtchenko, “Language of catastrophe” (2022)

1. Le corps humain transformé en bétail par Nidia Aranha

 

Dans une salle aseptisée aux néons d’une blancheur aveuglante, l’artiste Nidia Aranha se dévoile à quatre pattes sur le carrelage blanc, l’air éreinté et le souffle court. Son corps est connecté par la poitrine à un système de traite d’élevage bovin, qui lui pompe le lait directement depuis ses seins. Chaque respiration, à l’unisson avec l’impressionnant robot de traite, semble être une souffrance pour celle qui fait littéralement “corps” avec la machine. Jouant sur la frontière fine entre animalité et humanité, la jeune Brésilienne livre une performance forte dont la captation vidéo est projetée au festival, explorant la surexploitation capitaliste et patriarcale des corps – tout en rappelant les réalités dérangeantes des conditions d’élevage intensif des animaux. Son statut de femme transgenre ajoute un prisme de lecture à l’œuvre, interrogeant la fascination et la déshumanisation des personnes non-cisgenres et leur exploitation sexuelle alors que son souffle laborieux et son expression faciale suscitent la compassion du spectateur.

2. Le rituel sataniste de Joseph Häxan

 

Puisant dans l’imaginaire des rites païens et l’occultisme, Joseph Häxan présente lors de l’opyum festival une vidéo inspirée du film Witchcraft through the Ages (1922), du Danois Benjamin Christensen. Ce long-métrage culte horrifique réalisé il y a cent ans, qui retrace l’histoire visuelle de l’occultisme en sept chapitres depuis l’Antiquité, est considéré comme l’un des premier du genre. Dans l’œuvre The Black Rite (2022) de l’artiste australien âgé de 27 ans, filmée en pleine nuit, une pluie de météorites annonce la fin du monde. Au contact du feu destructeur (ou salvateur?), une foule de corps nus semble émerger des arbres, comme réveillés par l’appel de l’apocalypse. Entre torsions de leurs bustes et gestes frénétiques, ces âmes possédées dansent autour des flammes. Entre sabbat et rituel sataniste, cette scène nocturne aborde la question de la bestialité primitive, et l’idée d’un retour à l’état de nature, mêlant sensualité et violence.