13 avr 2023

5 femmes qui ont bousculé les codes du surréalisme

Si aujourd’hui encore, les noms les plus célèbres du surréalisme restent masculins, l’exposition “Surréalisme au féminin ?” offre jusqu’au 10 septembre 2023 au musée de Montmartre un coup de projecteur salutaire sur une cinquantaine de femmes qui ont marqué ce mouvement artistique majeur du 20e siècle. De Kay Sage à Mimi Parent, focus sur cinq des plus radicales.

Kay Sage (1898-1963), “Magic Lantern” (1947). Huile sur toile, Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, © ADAGP, Paris, 2023/Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. R.

1. Kay Sage : paysages désolés et structures utopistes


Dans l’imaginaire de Kay Sage (1898-1963), on trouve des étendues arides et désertiques peuplées d’étranges monolithes, cadres et autres constructions verticales aux lignes pures. Aussi mystérieux qu’empreints de mélancolie, ces environnements peints dans des nuances de gris évoquent immédiatement le silence des paysages désolés ou en ruines qu’ont représentés de nombreux romantiques puis symbolistes. Arrivée à Paris des États-Unis en 1935, Katherine Lynn Sage – de son vrai nom – rejoint rapidement le groupe des surréalistes français, où elle rencontre notamment son futur époux, Yves Tanguy, également peintre. Si ses décors fictifs et métaphysiques peuvent faire écho aux paysages dépeints par ce dernier, ainsi qu’à ceux imaginés par Giorgio De Chirico, Leon Spilliaert ou encore Salvador Dalí, la plasticienne originaire de l’État de New York s’en distingue par l’attention particulière qu’elle accorde à l’architecture, illustrée par sa représentation précise de structures inhabitables, tels des polyèdres flottants, assemblages de cadres renversants et autres bâtiments étonnants, dans la lignée du graveur néerlandais Maurits Cornelis Escher. Autre caractéristique de son œuvre : elle est dépourvue des êtres vivants et autres créatures qui hantent souvent les toiles des peintres surréalistes, remplacés ici par des textiles drapés immaculés ondulatoires, dont la présence spectrale souligne l’aspect insaisissable de ces paysages mentaux. Très appréciée et reconnue de son vivant, l’artiste s’ôte la vie en 1963, deux ans après la disparition de son époux dont elle finalisait alors le catalogue raisonné.

Suzanne Van Damme (1901-1988), “Couple d’oiseaux anthropomorphes” (1946). Huile sur panneau RAW (Rediscovering Art by Women), photo © Stéphane Pons.

2. Suzanne Van Damme

Emila Medkova (1928-1985), “Vitr (Wind)” (1948). Épreuve gélatino-argentique, 30 x 40 cm, Galerie Les Yeux Fertiles, Paris.

2. Emila Medková : la photographie comme énigme insoluble

 

Si le centre géographique du surréalisme se trouve principalement entre l’Europe de l’Ouest et l’est des États-Unis, le mouvement théorisé par André Breton s’est étendu à d’autres pays dont il a parfois grandement affecté la production artistique. Dans l’ancienne Tchécoslovaquie, par exemple, le surréalisme a connu un passage fugace mais empli d’audace à partir de 1934, porté par des artistes tels que Toyen et Jindřich Štyrský. Durant l’après-guerre, la photographe Emilia Medková (1928-1985) émerge comme l’une des figures centrales du Groupe des surréalistes tchèque. À l’image de la célèbre photographie Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie de Man Ray, ses mises en scèneopèrent des associations improbables aux portes de l’absurde : un œuf à la coque orné d’un œil et un robinet duquel émerge une mèche de cheveux, une paire de bottines jaillissant d’un mur, comme si leur propriétaire se cachait derrière… “S’il n’y a pas de mystère dans une photographie et que sa réalité ne sert pas un autre dessein, alors celle-ci est vide”, écrivait d’ailleurs l’artiste. Réalisée en 1949, sa série Stínohry – “jeu d’ombre” – dévoile d’ailleurs un éventail de silhouettes mystérieuses en ombres chinoises dans des scènes étranges voire inquiétantes. Si l’on y reconnaît régulièrement le corps d’une femme de profil, (qui pourrait bien être le sien), des symboles plus engagés y apparaissent tels qu’une faucille, manière d’incarner les dangers liés à la montée du communiste.

Marion Adnams (1898-1995), “Medusa Grown Old” (1947). Huile sur panneau, 55×39,5 cm, RAW (Rediscovering Art by Women) © Stéphane Pons.

4. Marion Adnams

Mimi Parent (1924-2005), “Léda” (1997). Assemblage de matériaux mixtes, boîte sous verre, Collection Mony Vibescu. Photo : Gilles Berquet.

3. Mimi Parent : du surréalisme à l’absurde

 

Les cheveux et les poils obsèdent les surréalistes. Si plusieurs femmes telles qu’Emilia Medková ou Meret Oppenheim ont exprimé cette passion à leur manière, Mimi Parent l’a manifestée à de nombreuses reprises dans des œuvres majeures de sa carrière, entre un fouet dont les lanières sont réalisées à partir de deux tresses blondes (Maîtresse, 1996) et une cravate formée autour d’une chemise par une longue chevelure châtain (Masculin-Féminin, 1959). Née en 1924 à Montréal et disparue en 2005, la Française d’origine québécoise fait partie de la dernière génération des surréalistes, arrivée à la fin des années 50 dans le groupe parisien, avec lequel elle a pu présenter ses œuvres dans nombre d’expositions collectives. Dotée d’une créativité sans bornes, Mimi Parent n’a pas eu peur d’investir jusqu’à la fin de sa vie des techniques très diverses, du dessin à la broderie en passant par la peinture et la sculpture. Mais ce sont notamment ses fameux tableaux-objets qui ont fait sa notoriété, formes de “boîtes à rêves” et mini dioramas dont les sujets – femmes-cygnes, sirènes, et autres mammifères – émergent en relief dans des paysages oniriques baignés de couleurs surnaturelles. À l’instar de plusieurs de ses consœurs, l’artiste puise aussi bien dans les rêves que dans les mythes de l’Antiquité et particulièrement ceux qui traitent de la métamorphose et de la rencontre entre animal et être humain – la romance entre Zeus et Léda, par exemple. Proche de Marcel Duchamp, Mimi Parent a réalisé avec lui le catalogue de L’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (EROS) en 1959, dans une boîte aux lettres en carton vert olive intitulée La Boîte-alerte.

Ithell Colquhoun (1906-1988), “La Cathédrale Engloutie” (1952). Huile sur toile, 130×194,8 cm, RAW (Rediscovering Art by Women) © Stéphane Pons.

4. Ithell Colquhoun : l’art comme porte vers le monde occulte

 

“Nous ne pouvons avoir de libertés sans explosions répétées”, a écrit un jour Ithell Colquhoun (1906-1988). Moins célèbre que ses contemporaines Leonor Fini ou Leonora Carrington, dont la peinture a fait florès au milieu du 20e siècle, la Britannique n’a pas moins développé une œuvre aussi libre qu’iconoclaste : sur ses toiles, les forêts vertes composent des corps, les montagnes beiges des membres osseux, tandis que des formes organiques colorées évoquent aussi bien l’anatomie d’une fleur qu’une vue hallucinée des astres et planètes. Passionnée par l’alchimie, les pratiques occultes ou encore les mythes et la culture celtes, l’artiste n’a cessé de nourrir ses œuvres de références druidiques ou maçonniques. En atteste La Cathédrale engloutie (1952), vaste paysage vu du ciel où des menhirs plantés à la verticale forment un cercle sur une colline jusqu’à descendre dans la mer, évoquant un Stonehenge fantasmé. Aussi précises que mystérieuses, les toiles de l’artiste traduisent sa quête obsessionnelle du point suprême, état esthétique qu’elle qualifie d’extase poétique engendrant une harmonie qui abolit les antagonismes imposés par la raison”. Dès les années 20 lors de ses séjours en France, Ithell Colquhoun s’est rapidement intégrée à la scène surréaliste parisienne avant de la quitter en 1940 en raison de différends artistiques et de sa volonté d’indépendance. Si cet éloignement l’a privée de publier et d’exposer autant qu’elle aurait pu de son vivant, l’artiste n’a jamais cessé de peindre, de développer sa pratique de l’écriture et a même créé son propre jeu de tarot. Avant de connaître une redécouverte majeure en 2009, plus de vingt ans après sa mort.

Unica Zürn (1916-1970), “Le Château d’Éros” (1956). Huile sur panneau. Collection Mony Vibescu.

7. Unica Zürn

 

 

 

 

 

“Surréalisme au féminin”, jusqu’au 10 septembre 2023 au Musée de Montmartre, Paris 18e.

Jane Graverol (1905-1984), “Le Sacre de Printemps” (1960). Huile sur toile, RAW (Rediscovering Art by Women), © Stéphane Pons, ADAGP Paris 2023.

5. Jane Graverol : peindre pour émanciper les femmes

 

Placardée aux quatre coins de Paris depuis plusieurs mois, l’affiche de l’exposition “Surréalisme au féminin ?” a de quoi intriguer. Vêtue d’une robe rouge boutonnée jusqu’au col, une femme (dont le visage est coupé) voit sa poitrine dévoilée par un geai bleu, qui semble s’approcher de son téton pour le piquer de son bec. Comme le montre cette jeune anonyme qu’elle a peinte en 1960, auréolée d’une sensualité mystérieuse, Jane Graverol n’a cessé d’explorer les clichés féminins au fil de ses toiles, de la silhouette d’odalisque qu’elle dessine dans le flanc d’une montagne à un fauteuil rouge doté de jambes nues croisées avec élégance. À travers des éléments récurrents, comme la cage ou le mobilier domestique, l’artiste belge n’hésite pas à présenter la femme comme prisonnière du foyer, tout en utilisant la faune et flore comme allégories de son émancipation sociale, intellectuelle et sexuelle. Si la peintre rencontre le groupe surréaliste en 1949, à l’âge de 44 ans, et s’inspire de l’univers développé par son confrère René Magritte, elle s’en détache peu à peu au profit d’une conception plus intuitive et introspective du mouvement, allant même contre ses préceptes théoriques parfois rigides. “Être surréaliste est un état que l’on porte en soi ou non, disait-elle. Sans théorie, je possédais ce qui me fondait à eux.” Jane Graverol a également affirmé son engagement politique en confondant en 1953 la revue littéraire et artistique aux idéaux marxistes Les Lèvres nues, où écrivait notamment Guy Debord.

 

“Surréalisme au féminin ?”, jusqu’au 10 septembre au musée de Montmartre, 12, rue Cortot, Paris 18e.

Catalogue disponible chez In Fine éditions d’art.

Existe-t-il, à proprement parler, un “surréalisme féminin” ? Telle est la question que posent les commissaires Alix Agret et Dominique Païni, commissaires de l’exposition “Surréalisme au féminin ?”, présentée jusqu’au 10 septembre au musée de Montmartre, à Paris. En réunissant les œuvres d’une cinquantaine de femmes nées entre la fin du 19e siècle et la moitié du 20e, et qui ont été affiliées de près ou de loin au mouvement théorisé par André Breton en 1924, ce projet permet de découvrir et redécouvrir des artistes parfois méconnues et moins renommées que leurs homologues masculins malgré des pratiques qui, pour certaines, ont même bousculé les codes du surréalisme en Europe. Outre les plus célèbres telles que Leonor Fini, Meret Oppenheim ou Claude Cahun, focus sur cinq femmes dont l’œuvre radical a nourri l’histoire du mouvement et contribué à le transformer, aussi bien dans l’ombre que dans la lumière.