3 young, queer and promising artists shaking figurative painting up
Cela fait maintenant un mois que le monde de la culture est en ébullition depuis la réouverture des musées, salles de spectacle et cinémas. Outre cette offre foisonnante, les galeries d’art recèlent elles aussi de nombreuses pépites, offrant au public de découvrir de plusieurs jeunes talents. Focus sur trois artistes exposés actuellement à Paris, qui donnent à la peinture figurative une impulsion nouvelle : Matthias Garcia, Anthony Cudahy et Louis Fratino.
Par Matthieu Jacquet.
1. Les fantasmagories printanières de Matthias Garcia
Matthias Garcia a trouvé sa saison favorite il y a bien longtemps : le printemps. Mais pas n’importe lequel. Un printemps éternel s’étirant dans le temps et l’espace, où l’humain et la nature ne font qu’un, ou la terre et l’eau s’entremêlent dans des paysages florissants et jubilatoires. Dans l’imaginaire de ce jeune peintre, les nymphes lascives cohabitent avec les sirènes à deux têtes, les fleurs adoptent des visages chérubins et de discrètes fillettes se promènent parmi les plantes grimpantes. Toujours situés entre l’enfance et l’adolescence, ces personnages se fondent dans une végétation luxuriante telles des présences juvéniles évanescentes, tandis que le spectateur se perd dans leurs couleurs rabattues de ces œuvres, réveillées par quelques pigments fulgurants. Tout juste diplômé de l’Ecole des Beaux-arts de Paris, le Français de 26 ans n’a pas peur d’investir aussi bien des supports réduits que de très grands formats, mêlant la finesse de son trait de dessinateur aux superpositions de peinture à l’huile et d’acrylique, dont les multiples couches apportent texture et relief. En résultent de douces et denses fantasmagories, qui pourraient bien se faire l’allégorie des méandres de notre inconscient.
Matthias Garcia, “Fakelores”, jusqu’au 24 juillet à la galerie Sultana, Paris 20e.
2. La peinture de genre expressive d’Anthony Cudahy
Dans la hiérarchie des genres picturaux, la peinture d’histoire et le portrait ont longtemps été en tête. Pourtant, dès le XVIIe siècle, un autre type d’œuvres a commencé à s’affirmer : la scène de genre, représentant des situations du quotidien dans lesquelles ne triomphaient ni héros, ni homme de pouvoir, mais davantage l’ambiance d’un moment voyant sa banalité sublimée. Si Jean-Siméon Chardin et Jean-Baptiste Greuze se sont faits les chantres de cette peinture en France au XVIIIe siècle, Anthony Cudahy pourrait bien en reprendre le flambeau aujourd’hui. Surpris dans des conversations nocturnes ou des confessions entre deux portes, capturés en train de déchirer un tableau au couteau ou nus en train d’installer un appareil photo, les personnages de ses œuvres sont chaque fois si absorbés dans leur activité qu’ils en oublieraient le spectateur qui les regarde, caché comme derrière un miroir sans tain. Fragments isolés d’un récit incomplet et silencieux, ces instants de vie se prolongent parfois d’une œuvre à une autre comme plusieurs facettes d’une même réalité. Outre ses traits de peintures énergiques brossant ou griffant presque la toile, toute la force plastique et l’expressivité du trentenaire américain résident sans doute dans son utilisation des couleurs qui, surnaturelles et éblouissantes, donnent le ton de la scène et imprègnent le réel d’émotion. Bleutées, elles évoquent la douceur et le rêve, jaunes, la joie et la gloire, ou rouges, la colère et la passion – en atteste un ensemble de toiles dans lesquelles on aperçoit deux figures de dos en plein coït, à la fois intime et pudique.
Anthony Cudahy, « The Moons Sets a Knife”, jusqu’au 3 juillet à la galerie Sémiose, Paris 4e.
3. L’homoérotisme doux et domestique de Louis Fratino
Chez Louis Fratino, la rondeur et la tendresse passent d’abord par le geste. Celui du pinceau qui, par ses mouvements continus et circulaires, caresse la toile pour y tracer les contours de ses acteurs figés. Puis celui du crayon qui, sur ces traces d’ombres, de lumières et de couleurs, vient chatouiller le support et lui apporter sa texture et ses détails. Enfin, celui des corps masculins charpentés qui, souvent dénudés dans ses œuvres, s’y prélassent, s’y enlacent voire s’y imbriquent dans des scènes homoérotiques plus ou moins explicites. Attentif à la bidimensionnalité de la peinture, des hiéroglyphes et bas-reliefs aux peintures cubistes ou naïves, l’artiste new-yorkais l’a longtemps appuyée en amenant tous ses sujets au premier plan de ses toiles. La domesticité des couples queer y devient le sujet central : à l’aide d’une palette de tonalités chaudes voire flamboyantes, le peintre compose des atmosphères accueillants où le spectateur se sent invité comme auprès de l’âtre ou au coin du lit. Une rassurante convivialité à laquelle répondent parfois des tables dressées remplies d’appétissants repas, des bouquets garnis de fleurs multicolores jusqu’à, plus récemment, des paysages dépouillés et mélancoliques en demi-teintes où s’élèvent avec grâce tantôt une hirondelle majestueuse, tantôt des arbres éclairés par la lueur automnale.
Louis Fratino, “Growth of the Earth”, jusqu’au 10 juillet à la galerie Ciaccia Levi, Paris 3e.