3 nouvelles galeries d’art qui électrisent la scène parisienne
Elles s’appellent DS galerie, Spiaggia Libera ou encore Lo Brutto Stahl. Toutes ont ouvert leurs portes au cœur du Marais il y a seulement quelques mois, contribuant au renouveau du paysage des galeries parisiennes en favorisant la découverte de dizaines d’artistes internationaux et émergents. Focus sur ces trois structures et leurs jeunes fondateurs aux parcours singuliers.
Par Matthieu Jacquet.
1. DS galerie : l’histoire d’une galerie née dans le séjour d’un appartement
Devant la lumineuse façade de la DS galerie à deux pas de la place de la République, on est loin de se douter que son histoire a commencé dans le salon d’un appartement de l’est parisien. C’est pourtant là qu’elle voit le jour il y a sept ans, lorsque le jeune architecte Thomas Havet a l’idée d’organiser chez lui des expositions d’artistes qu’il apprécie, par pur plaisir de travailler avec eux et faire découvrir leur travail. Dans son séjour se succèdent alors bientôt des œuvres de jeunes noms aujourd’hui très appréciés de la scène française, de Jean Claracq à Cécilia Granara, à raison de quatre ou cinq accrochages par an, et notamment de nombreuses expositions à quatre mains. Le projet “Double Séjour” prend racine jusqu’à s’étendre hors des frontières de Paris, se déplaçant à Marseille, Arles ou encore Bruxelles, toujours porté par la passion sincère de son fondateur. Après avoir occupé un espace permanent chez Poush en 2020 et 2021, résidence d’atelier d’artistes au nord de la capitale, Double Séjour passe peu à peu de projet curatorial à galerie d’art, “car pour moi, le galeriste est avant tout un curateur”, précise Thomas Havet. C’est notamment en étudiant l’approche de ses aînés parisiens Jérôme Poggi et Guillaume Sultana, dont il admire la forte proximité avec les artistes, que le trentenaire décide de cette transition. Un itinéraire qui n’est pas sans rappeler celui de la galerie parisienne Sans titre, originellement projet nomade né dans un duplex parisien désormais implanté à quelques pas du Centre Pompidou.
Ainsi, en mars dernier, Double Séjour disparaît au profit de l’acronyme DS galerie et pose ses valises dans une ancienne boutique de mode de 100 mètres carrés avec pignon sur rue. Un espace que transforme Thomas Havet, fort de son œil d’architecte : au rez-de-chaussée, l’ajout de cimaises blanches dévoile le mur en briques claires par intermittences sans pour autant fermer les angles, dynamisant l’habituel format du white cube. Au sous-sol, une ambiance plus feutrée et domestique, appuyée notamment par une moquette violette, se prête à des projets duo ou solo plus expérimentaux. C’est ainsi que l’on y découvrait récemment les peintures mystérieuses de la jeune artiste Alison Flora, réalisées à partir… de son propre sang. “Les artistes qui m’intéressent sont ceux qui demandent du temps”, ajoute le galeriste, qui continue d’affirmer avec ce nouveau projet son intérêt pour la scène émergente avec la nécessité d’un accompagnement sur-mesure et au long cours. À l’heure qu’il est, la DS galerie représente déjà quatre plasticiens, tels que Louis Jacquot et Raphaël Bachir-Osman, diplômés au cours des six dernières années. Elle inaugurera cette semaine une nouvelle exposition en duo, où les étonnantes œuvres en métal de Margot Pietri, à la frontière entre la peinture et la sculpture, rencontreront les assemblages en textile et bois de Jot Fau. Deux pratiques autodidactes mettant le travail de la main et la matière au premier plan, qui aboutiront dans l’espace à l’écriture de récits composites.
DS Galerie, 15 rue Béranger, Paris 3e.
Expositions “La rencontre des eaux” de Margot Pietri et Jot Fau, du 29 juin au 29 juillet 2023.
2. Spiaggia Libera : la galerie comme famille artistique
En italien, spiaggia libera signifie “plage libre”, espaces publics qui bordent la Méditerranée et l’Adriatique où tout le monde peut se réunir, quel que soit son milieu et ses origines. Une philosophie qui inspire particulièrement la Française Sacha Guedj Cohen, qui entretient avec l’Italie un lien fort depuis qu’elle y a vécu, au point d’en faire le nom de sa propre galerie fondée en février dernier. Chez cette jeune doctorante en théorie de l’art, le métier de galeriste est en réalité une histoire de famille hérité de sa mère, qui avait installé sa propre galerie d’art dans la maison familiale dans le sud de la France. Alors qu’elle y rencontre toute une communauté d’artistes, plasticiens et écrivains, l’adolescente rêve de suivre les traces de ses parents et d’ouvrir un jour son propre espace. Une ambition qui la mènera jusqu’à Perrotin avant de devenir assistante puis artist liaison chez Kamel Mennour, deux galeries parmi les plus influentes de la place parisienne dont elle retiendra aussi bien l’acuité commerciale que l’accompagnement dans des artistes dans des productions parfois colossales. Après avoir travaillé pour plusieurs fondations et entamé sa thèse en histoire de l’art, la Parisienne inaugure fin 2021 une exposition collective dans la capitale qui lui inspire l’idée de concrétiser son rêve d’enfant. Il faudra attendre plus d’un an et quelques mois de recherche pour que Spiaggia Libera voit le jour, dans un ancien showroom de près de cent mètres carrés derrière le musée des Arts et Métiers. L’exposition collective inaugurale donne le ton, réunissant les peintures liquides abstraites de Chloé Royer et Jenna Sutela, les nus féminins subtilement esquissés par Soukaina Joual, ou encore les vidéos face filmées à la webcam de Petra Cortright. Autant d’indices qui annoncent la ligne de la galerie, tournée vers une pluralité de pratiques ultra contemporaines où transparaît notamment l’influence des nouvelles technologies et les porosités croissante entre le monde physique et le monde numérique.
Imprégnée par ses journées passées jadis dans l’entreprise familiale, Sacha Guedj Cohen est claire sur le rôle de sa galerie, qui doit avant tout “permettre de constituer une communauté autour des artistes et développer la recherche.” Animée par un désir de renouvellement permanent, elle organise déjà des événements qui rythment ses expositions, tels qu’une rencontre avec le philosophe Emanuele Coccia ou une performance de la musicienne Inès Chérifi, afin de constituer un lieu de vie et de rendez-vous dont l’activité s’étend au-delà de la vente. En accompagnant une dizaine d’artistes, dont 90% sont étrangers pour l’instant, la galerie souhaite faire découvrir des noms peu connus au public français, comme elle le fera fin août lors de sa première participation à la foire marseillaise Art-o-rama en présentant le travail de Gaby Sahhar. Pour l’heure, la galerie accueille l’exposition personnelle du Londonien Jack Warne, dont les œuvres d’apparence floues et abstraites mêlent photographies d’archives argentiques, techniques numériques et supports industriels pour former des images ambiguës captivantes. Qui, comme nombre d’œuvres présentées par Spiaggia Libera, “disruptent” l’expérience du spectateur en mettant sa perception à l’épreuve.
Spiaggia Libera, 56 rue du Vertbois, Paris 3e.
Exposition “Alors, je ferme les yeux” de Jack Warne, jusqu’au 29 juillet 2023.
3. Lo Brutto Stahl : d’étudiants en art à galeristes entrepreneurs
Les études d’art ne forment pas toujours des artistes. La preuve avec Vincent Lo Brutto, et Pablo Stahl qui, à l’issue de leurs études à l’Ecole des Beaux-arts de Mulhouse où ils se sont rencontrés, ont préféré passer de l’autre côté de la création. Il y a quatre ans, les deux jeunes hommes unis par une grande fibre entreprenariale décident en effet de fonder leur propre galerie Lo Brutto Stahl afin de défendre le travail de leurs homologues. Mais nullement question pour les associés de se jeter à corps perdu dans le premier lieu venu, ni de présenter des expositions faites de bric et de broc : dès leurs débuts, toutes les conditions doivent être réunies pour défendre au mieux le travail des artistes, avec pour mots d’ordre exigence et professionnalisme. C’est ainsi dans la discrète rue des Vertus, à quelques encablures du square du Temple, qu’ils trouvent leur nid, un espace d’une surface généreuse de 200 m2 dont ils démontrent le potentiel dès leur exposition inaugurale.
En rassemblant non moins de dix-huit artistes lors de son ouverture, Lo Brutto Stahl présente d’emblée des pratiques très diverses et une sélection très internationale, sans limite d’âge ni de région, entre des sculptures mutantes organiques d’Ivana Basic et de Giulia Cenci, des paysages évanescents de Brett Ginsburg et Jean-Baptiste Bernadet, une impression photographique changeante d’Yves Scherer, ou encore une large toile écarlate perforée du Britannique Simon Callery, artiste d’une soixantaine d’années plus établi dont la jeune galerie a déjà annoncé la représentation. Si l’attention extrême qu’ils accordent à l’éclairage et à l’accrochage traduit leur passé d’artiste-étudiants et leur volonté de présenter des expositions d’ambition muséale, les deux fondateurs mettent au premier plan la dimension commerciale de leur activité, inspirés par la grande histoire du marché de l’art français et des figures telles que Paul Durand-Ruel, galeriste très influent de la fin du 19e siècle. Jusqu’à a fin juillet, Vincent Lo Brutto et Pablo Stahl présentent actuellement la première exposition personnelle du jeune peintre géorgien Tornike Robakidze. Énigmatiques voire ténébreuses, ses toiles ultra contemporaines mêlant légendes et folklores, créatures fantastiques et visions oniriques ont conquis les galeristes par leur caractère aussi mystique qu’intimiste. Et se voient déjà, grâce à cette belle visibilité qui leur est offerte en France, promises à un avenir florissant
Lo Brutto Stahl, 21 rue des Vertus, Paris 3e.
Exposition “My voice suspended in the air” de Tornike Robakidze, jusqu’au 29 juillet 2023.