Rencontre avec Jenna Coleman, l’actrice magnétique de Sandman et Le Serpent
Repérée dans la mythique série Doctor Who, l’actrice anglaise Jenna Coleman impressionne aussi aux côtés de Tahar Rahim dans Le Serpent en 2021. Cette année, on la retrouve sur Netflix dans la série fantastique Sandman, adaptée des romans graphiques éponymes de Neil Gaiman. Un rôle à la hauteur de son talent magnétique.
De son rôle captivant dans Le Serpent à sa performance magnétique dans Sandman
Plus que tout autre pays, le Royaume-Uni détient le secret de l’excellence des acteurs et actrices. À longueur d’année, les écrans du monde en témoignent, au point que Hollywood regorge de Britanniques qui forcent l’accent américain pour régner sur les séries et les blockbusters. Jenna Coleman fait partie de cette vague, tout en restant souvent insaisissable. Cette année, elle jouait une détective occulte dans la prestigieuse série de fantasy Sandman, une création de la légende Neil Gaiman pour Netflix. L’un de ces objets culturels nouveau genre, regardés en simultané sur toute la planète.
Durant l’année 2021, en plein confinement, la trentenaire interprétait la Québécoise Marie-Andrée Leclerc, complice d’un tueur en série joué par Tahar Rahim, dans Le Serpent, l’un des hits de ce printemps étrange. “C’était une personne torturée et romantique, que nous avons travaillée dans le détail. Jusque dans la manière dont elle s’habillait, elle dissimulait sa vraie nature.” Avec ce rôle, Jenna Coleman s’est fait connaître bien au-delà de son pays natal, sous une forme fictionnelle à la fois séduisante et vorace. Elle se découvre d’ailleurs une tendance à jouer des femmes tourmentées. “Je me bats depuis longtemps contre les rôles de fille d’à côté et de bonne copine sympa, explique-t-elle comme une profession de foi. Finalement, je joue des femmes en colère qui jurent beaucoup ! Il semble que je penche vers le sombre, récemment [rires].”
La jeune femme qui se trouve face à nous se trouverait plutôt du côté de la lumière, même si la vie qu’elle a choisie la pousse vers les limites de la fatigue, à force de braver les fuseaux horaires de l’entertainment mondialisé. “J’étais en tournage dans l’Arizona, et, quelques jours plus tard, me voilà à Paris pour le défilé Chanel. En ce moment, mon quotidien ressemble à cela. Parfois il m’arrive de me poser, mais j’aime l’incertitude, le changement et les voyage qu’implique mon métier, cette idée que l’on ne sait pas dans quel endroit on habitera la semaine suivante. Je crois que cela m’épanouit. Je suis une de ces personnes bizarres qui adorent les aéroports et le mouvement permanent.” Cette existence sous les projecteurs, Jenna Coleman la connaît depuis le milieu des années 2000. Elle avait 19 ans quand les producteurs du soap Emmerdale lui ont proposé le rôle de Jasmine Thomas, qui devait apparaître à l’écran pour quelques semaines mais dont la présence s’est étendue sur quatre ans. Le temps de parfaire son art dans un médium populaire, très respecté en Angleterre.
Contrairement à beaucoup de comédiens du Royaume-Uni, elle n’a pas suivi les cours d’une grande école d’art dramatique comme les londoniennes RADA ou LAMDA. Aucun regret pour celle qui a commencé par arpenter les planches durant son adolescence, dans des pièces créées par une compagnie locale de Blackpool, sa ville natale du nord-est de l’Angleterre. “Quand j’ai eu enfin le temps de faire de grandes études, c’était déjà un peu tard. J’ai renoncé car j’aurais raté cette période des débuts de la vingtaine, fructueuse pour une actrice. Alors j’ai appris sur le tas, avec des acteurs et des metteurs en scène aux méthodes différentes. Fondamentalement, cela me convient : j’aime réagir à l’autre.”
“Je me renseigne sur l’époque et les personnages, je construis une histoire en notant de nombreux détails, pour mieux m’en débarrasser au moment de tourner.” Jenna Coleman
Quand on observe son jeu, à la fois séduisant et précis, on ne peut que se dire que la multiplicité des approches a forgé une excellente comédienne, qui ne s’égare jamais dans une vision froide et technique de ses rôles. Elle évoque le syndrome de l’imposteur qui a pu l’accompagner, comme lors de ces répétitions au théâtre Old Vic de Londres en 2019, quand elle a ressenti un manque de technique qui pouvait la handicaper. Sauf que le complexe ne dure jamais bien longtemps, tant Jenna Coleman s’empare des rôles, les travaille, les malaxe jusqu’à les faire siens.
Son moment favori ? La phase de préparation, où elle s’investit totalement, surtout quand elle interprète un personnage historique comme la reine Victoria dans la série homonyme, entre 2016 et 2019. “Je me renseigne sur l’époque et les personnages, je construis une histoire en notant de nombreux détails, pour mieux m’en débarrasser au moment de tourner. Alors je suis imprégnée, mais je me sens libre d’aller où je veux. Sans ce travail préalable, je n’aurais pas ma base et je me sentirais trop proche de moi-même.” On s’arrête un instant sur la dernière formule, qui intrigue venant d’une actrice. Maître Eckhart a bien écrit dans ses célèbres sermons la formule suivante, aussi obscure que fascinante : “Observe-toi toi- même, et à chaque fois que tu te trouves, laisse- toi ; il n’y a rien de mieux.” On ignore si la Britannique a lu le penseur allemand du Moyen Âge, mais sa conception du jeu ressemble à son enseignement.
Jenna Coleman, une actrice talentueuse révélée par Doctor Who
L’oubli de soi comme une clé de la réussite, Jenna Coleman en parle d’ailleurs très bien. “Moins je suis cérébrale, meilleur est mon jeu. L’effort que je dois faire, c’est de parvenir à sortir de ma tête, c’est d’abandonner mon côté perfectionniste pour me laisser diriger par l’instinct. C’est à ce moment-là que ce métier devient vraiment excitant. On a le sentiment de sauter d’une falaise sans rien contrôler. Ces moments n’arrivent pas tout le temps, mais c’est exactement ceux que nous recherchons dans cette profession.” Une telle méthode, la comédienne l’applique à travers toutes ses apparitions, que ce soit dans son nouveau film indépendant Klokkenluider, une comédie sur les lanceurs d’alerte, ou la série qui a fait d’elle une star, la mythique Doctor Who. Au milieu des années 2010, elle s’est révélée comme l’actrice la plus alerte et déliée de sa génération, le showrunner Steven Moffat s’extasiant sur sa capacité à dire les répliques à la fois très vite et très bien.
Une qualité qui rappelle celle des grands de la comédie screwball, dont l’âge d’or fut les années 30. Un genre que le cinéma contemporain semble avoir malheureusement délaissé. “Ce serait génial de faire le remake de certaines de ces comédies comme Bringing Up Baby [L’Impossible Monsieur Bébé de Howard Hawks], l’un de mes films préférés. Concernant Steven Moffat, le scénariste de Doctor Who, son écriture est très rythmique, et comme je bois beaucoup de café, ça aide avec la vitesse ! La comédie repose souvent là-dessus, notamment la comédie noire, que j’aime beaucoup.”
Jenna Coleman admire des films aussi différents que 37°2 le matin, Les Moissons du ciel et Breaking the Waves. Est-elle née quelques décennies trop tard pour se sentir en phase avec l’industrie contemporaine des images, souvent très formatée ? La complainte ne fait pas vraiment partie de son vocabulaire. Elle compte bien faire fructifier ce qui lui est offert, comme la série Wilderness, qu’elle vient de tourner pour Amazon aux quatre coins du continent américain, sous la direction de So Yong Kim. “Quatre mois de très longues journées, mais c’était passionnant !” confirme cette amie de la maison Chanel. “Hier soir, j’ai eu le plaisir de visiter l’appartement de Coco, et , dans ce lieu, on peut mesurer à quel point l’attachement de cette maison à la culture est sincère et profond. Chanel prête une grande attention aux personnes que nous sommes. Elle s’intéresse réellement à ce nous avons à dire en tant que comédiens, et à notre travail. Elle ne cherche pas seulement à m’habiller, mais à identifier quelle femme je suis. L’univers Chanel a beaucoup de personnalité, j’y retrouve à chaque fois quelque chose de fort et de fragile, de féminin et de masculin. Grâce à cela, on a le sentiment que les pièces ne vieillissent jamais.”