24
24
Que vaut Bugonia, le nouveau film de Yórgos Lánthimos avec Emma Stone ?
Avec le film Bugonia, au cinéma le 26 novembre 2025, le réalisateur grec Yórgos Lánthimos (Pauvres Créatures) retrouve Emma Stone et Jesse Plemons pour un thriller satirique directement inspiré de Save the Green Planet! (2003), film coréen barré de Jang Joon-hwan. Une exploration ambitieuse, mais inégale, du complotisme américain et de la paranoïa contemporaine.
par Alexis Thibault.
Publié le 24 novembre 2025. Modifié le 24 novembre 2025.

Bugonia, le nouveau film de Yórgos Lánthimos avec Emma Stone
Porté par le triomphe de Pauvres Créatures (2023) et nullement ralenti par l’accueil tiède réservé à son Kinds of Kindness un an plus tard au Festival de Cannes, le réalisateur grec Yórgos Lánthimos enrôle à nouveau les excellents Emma Stone et Jesse Plemons dans Bugonia (2025).
Ce thriller délirant présenté à la Mostra de Venise 2025 qui sortira au cinéma le 26 novembre 2025 met en scène deux apiculteurs obsédés par les théories du complot qui enlèvent la PDG d’un groupe pharmaceutique. Tous deux sont persuadés qu’elle est une extraterrestre venue provoquer l’extinction des abeilles (un clin d’œil au mythe grec de la bugonia, rituel fondé sur la croyance que les abeilles peuvent naître du cadavre d’un bovin). S’ensuivent une séquestration et un interrogatoire nourri de fantasmes glanés sur le dark web.
L’origine du long-métrage nous ramène à un autre cinéaste : Ari Aster. Futur producteur du projet, il recommande vivement à Will Tracy, son scénariste, de regarder l’obscur Save the Green Planet! (2003) de Jang Joon-hwan. Introuvable et résolument culte, le film coréen devient pour Will Tracy un choc esthétique et une matrice narrative. Plus tard, Yórgos Lánthimos s’empare de ce matériau acide pour lui donner une forme plus sèche, plus frontale, plus contemporaine, comme un conte moral rivé à l’absurde.
Un film pensé comme une exposition photographique
On connaît l’attrait de Yórgos Lánthimos pour les mondes grinçants où la normalité se fissure sous l’ironie. Avec Bugonia, le cinéaste grec de 52 ans transforme presque son film en exposition photographique. Une succession de plans fixes millimétrés, héritant autant de Gregory Crewdson que de Todd Hido ou de Stephen Shore. Chaque image semble taillée dans l’inquiétude, comme si l’on scrutait notre époque moribonde à travers la vitre d’un musée…
Pour obtenir ce rendu hypnotique, le cinéaste tourne en 35 mm VistaVision, format horizontal rarissime qui offre une surface d’image élargie et une précision sidérante. Un retour à un luxe visuel d’un autre temps. Robbie Ryan, déjà chef opérateur sur La Favorite (2018), sculpte le moindre détail.
Fidèle à son goût pour les happenings visuels, Yórgos Lánthimos orchestre aussi une campagne promotionnelle improbable : une projection était réservée à quiconque accepte de se raser la tête. Référence directe à la transformation imposée au personnage d’Emma Stone, la présumée alien dont la chevelure lui permettrait de communiquer avec ses semblables.

Une satire qui manque de mordant ?
Malgré ses 120 minutes, un léger flottement nous gagne au bout d’un moment. Le film, fidèle aux manies du cinéaste, étire ses situations et laisse ses personnages s’enliser dans des dialogues parfois trop elliptiques. On devine l’intention, portrait d’une époque saturée de discours, de postures, de croyances et de dialogues de sourds, mais Bugonia paraît par moments piégé par sa propre rigueur formelle. Le sarcasme affleure mais ne percute pas toujours, comme si Lánthimos préférait commenter à distance plutôt que mordre à pleines dents.
Le dernier mouvement, construit comme un long diaporama photographique, parachève ce glissement vers l’installation artistique. Idée brillante sur le papier, mais une fracture entre l’ambition plastique et la mécanique narrative du film apparaît. Yórgos Lánthimos ne trébuche pas, mais s’essouffle quelque peu.
Reste deux atouts majeurs : Emma Stone et Jesse Plemons, deux interprètes d’une précision rare, capables d’habiter le grotesque sans le réduire à une grimace. Leur présence apporte au récit une densité humaine que son cadre, parfois trop conceptuel, tend à éroder.
Bugonia de Yórgos Lánthimos, au cinéma le 26 novembre 2025.