18
18
Comment la DJ Jeune Pouce s’est imposée dans la nouvelle scène club française
Figure montante de la scène parisienne, la DJ parisienne Jeune Pouce s’impose avec des sets hybrides mêlant afrobeat et baile funk et anime, depuis 2024, l’émission Tears in the Club sur la radio NTS, emblème de la scène underground londonienne. Le 14 novembre 2025, elle s’est produite lors de la soirée Numéro Art x Paris Photo à Lafayette Anticipations, dans le cadre de la grande foire internationale dédiée à la photographie ancienne et contemporaine. Rencontre.
par La rédaction.

Jeune Pouce, star de la soirée Numéro art x Paris Photo
Lorsqu’on lui demande d’explorer l’étymologie de son prénom à l’université. La DJ Chloé Thomas découvre alors que son patronyme désigne, en grec ancien, la “jeune pousse”, moment fragile et tenace où une tige perfore la terre. Elle en fera son pseudonyme : Jeune Pouce, sans les deux “s” déjà monopolisés sur les réseaux sociaux. Une graine devenue force motrice dans les nuits parisiennes…
Basée à Paris, la jeune femme de 29 ans navigue aujourd’hui entre afrobeat, bouyon, funk brésilien et drum & bass, avec une science de l’hybridation qui l’a menée des after-shows Mugler et Jacquemus x Boiler Room à Londres, où elle anime depuis 2024 son émission Tears in the Club sur NTS. Là, elle met en lumière ses homologues féminines et offre une plateforme à une nouvelle génération de producteurs et d’artistes issus de la diaspora. Rencontre avec la DJ, qui a récemment performé lors de l’événement Numéro Art x Paris Photo en novembre 2025 à Lafayette Anticipations, à Paris.
L’interview de la DJ Jeune Pouce
Numéro : Commen est née votre fascination pour la musique ?
Jeune Pouce : Chez moi, ma mère passait du makossa camerounais à la country américaine. Ce mélange improbable m’a appris très tôt qu’on pouvait aimer plusieurs mondes sans devoir forcément choisir son camp. Mon premier choc esthétique reste les clips de Destiny’s Child sur MTV. Trois femmes noires, puissantes, stylées, qui savaient tout faire. En France, je n’avais jamais vu ça.
Vous sentez-vous parfois assignée à un genre en raison de votre métissage ?
Oui, constamment. On m’imagine naturellement dans le hip-hop ou le R’n’B, alors que dans un set de 80 morceaux, je passe peut-être trois titres de rap. Beaucoup de programmateurs ne prennent même pas le temps d’écouter : ils projettent une esthétique sur un physique. Au début, j’ai accepté ces bookings, parce que je pensais que c’était ce qu’on attendait de moi. Puis j’ai compris que mon identité musicale était ailleurs — dans l’afro diasporique, les rythmes brésiliens, un peu de club, une pointe de techno. Depuis, je refuse ce qui ne me correspond pas. C’est une question de cohérence et de respect de son propre goût.
“Les réseaux uniformisent les attentes : il faudrait être stylée, populaire, danseuse, performeuse… presque un produit clé-en-main.” Jeune Pouce
Le nombre de followers est-il la principale source d’anxiété d’un DJ ?
Je crois que ce n’est pas tant le chiffre que la comparaison permanente. Les réseaux uniformisent les attentes : il faudrait être stylée, populaire, danseuse, performeuse… presque un produit clé-en-main pour les marques. J’ai moi-même pris part à ce jeu sans m’en rendre compte. Avec la mode, les collaborations, vous devenez très vite une image plus qu’une DJ. Je comprends que certains puristes soient frustrés : des influenceurs débutent et se retrouvent directement sur des scènes énormes. Cela bouscule l’écosystème.
Pourquoi avoir nommé votre émission pour la radio diffusée sur Internet NTS Tears in the Club ?
Je voulais un espace où jouer des morceaux trop sensibles ou trop mélancoliques pour les clubs. J’y mets en avant des rappeuses, des voix de la diaspora, et des titres qui mélangent émotion et énergie. Un ami a lancé en rigolant “It’s giving… tears in the club”, et c’était exactement ça. Le clin d’œil à FKA twigs m’a convaincue. C’est probablement le geste le plus politique que je fais : offrir une plateforme à des artistes qu’on entend peu.
“Mes DJ sets semblent parfois improvisés, mais j’aime cette liberté.” Jeune Pouce
À quel moment vous êtes-vous sentie légitime en tant que DJ ?
Très tard. J’ai commencé en organisant des soirées avec des amis, puis on m’a proposé de mixer alors que je n’étais pas encore prête. J’étais maladroite, timide, incapable de gérer la pression. Certains venaient me dire : “T’es jolie, mais c’est vraiment pas bon”. Charmant. La légitimité est venue avec les premières radios. Là, j’ai compris que j’avais une voix, une direction.
Le concept de chaos semble prendre une grande place dans votre manière de mixer…
Le chaos reste un “désordre élégant”. Je suis une ancienne bordélique, ça laisse des traces : mes DJ sets semblent parfois improvisés, mais j’aime cette liberté. Un très beau “n’importe quoi” peut être parfaitement juste.
“Il faudrait mettre plus de femmes partout : aux platines, à la technique, à la programmation…” Jeune Pouce
Que faudrait-il, selon vous, changer dans la nuit française ?
D’abord les sound systems qui sont souvent catastrophiques. Cela répresente au moins 40 % de l’expérience. Et rendre les soirées plus sûres pour les femmes. Mettre plus de femmes partout : aux platines, à la technique, à la programmation… Et j’aimerais voir plus de fêtes hors des clubs, dans des lieux atypiques, ouverts, inattendus. Londres est une ville beaucoup plus ouverte. J’y ai joué dans une soirée ultra-spécifique qui aurait été un échec total à Paris. En France, on vient souvent écouter ce qu’on connaît déjà. Récemment, un programmateur m’a demandé un set “Gen-Z friendly”. Je n’ai toujours pas compris ce que ça voulait dire…
La ville dans laquelle on fait le mieux la fête ?
Rio, au Brésil, sans hésiter. C’est une énergie vitale. On a l’impression qu’ils ne vivent que pour ça.
Et le lieu immanquable de Paris ?
La Station – Gare des Mines, avenue de la Prte d’Aubervilliers, dans le 18e arrondissement.
Les dates de DJ sets de Jeune Pouce sont à retrouver ici.